Melancholia (Haas) à l'Opéra de Paris: mes impressions

Dimanche, j'ai pu retrouver avec plaisir le palais Garnier, son plafond peint par Chagall, son public guère moins vieux et tousseur qu'au théâtre des Champs-Elysés, même pour la musique contemporaine.

Commençons par la drame. Lars, peintre norvégien un peu benêt voire simplet, tout de blanc vêtu, regarde une grande toile blanche. Je sais peindre et les autres ne savent pas, chante-t-il en allemand, une bonne dizaine de fois. Il est amoureux de la fille de sa logeuse, qu'il a surpris déroulant ses beaux cheveux blonds. La demoiselle ayant 16 ans et les peintres fauchés n'étant pas le meilleur parti possible, il se fait mettre dehors par l'oncle. Il arrive à la taverne où d'autres peintres norvégiens et une serveuse à forte poitrine se moquent de lui. Vous allez rire, mais on est déjà à la fin du deuxième acte. Lars revient chez la logeuse, et se fait re-mettre à la porte, escorté par deux policiers (acte 3). Rideau.

Avec un matériau qui remplirait à peine trois scènes, Haas nous propose trois actes pour une durée totale d'une heure et demie. C'est un choix qui peut se défendre: l'action de La Walkyrie ne progresse-t-elle pas avec une insupportable lenteur ? Tant que la musique est belle, la relative lenteur de l'action n'est pas nécessairement un problème à l'opéra. Le temps de l'opéra est celui de l'expression des sentiments par la musique, et non celui du regard comme au cinéma, ou de l'expression des sentiments par les mots comme au théâtre.

La musique justement: on commence par un si bémol de contrebasses, dont tous les harmoniques naturels sont progressivement déployés (en utilisant des quarts et des sixièmes de tons pour les harmoniques supérieurs). Je ne sais si la comparaison a du sens mais l'ouverture m'a fait penser à celle de l'Or du Rhin, l'accord parfait majeur étant remplacé par la série des harmoniques naturels. L'orchestre est constitué de solistes uniquement: pas de masses de cordes, mais une grande variété d'instruments (dont le contrebasson, le cor anglais, le piano, une belle collection de gongs). Deux choses s'imposent à l'oreille: Haas possède un sens très fin du timbre et maîtrise parfaitement l'écriture orchestrale. Par ailleurs, les musiciens du Klangforum Wien (dirigé par Emilio Pomarico, de façon très claire) semblent aussi à l'aise avec les quarts de tons, le flatterzunge et les balayages d'harmoniques que des petits poissons dans l'eau.

L'ennui, dont les critiques parisiens ont fait leurs choux gras pour tirer à boulets rouge sur le compositeur: commençons d'abord par dire que les critiques sont des ânes capables de braire mais non de créer. Que l'un d'entre eux me montre 3 minutes de musique bien écrite (dans n'importe quel style) et je lirai ses papiers sans rire. La musique de Georg Friedrich Haas est passionnante, et c'est une grande chance de pouvoir l'entendre dans toute sa splendeur, servie par d'excellents interprètes. L'instrumentation si fouillée serait probablement un peu écrasée sur un disque (sauf peut-être un SACD sur 5 pistes, avec un très bon ampli...). Cependant, Haas s'attache durant 90 minutes à peindre, avec un luxe de détails, une seule gamme de couleurs qui va du bleu nuit au gris très foncé. Où sont le rouge pétant, le vert émeraude, le jaune canari et le bleu ciel ? Il y a bien un peu d'humour mais celui-ci est tellement grinçant et tragique qu'il ne parvient pas à alléger l'ambiance. Le spectacle tout entier est comme enfermé dans l'esprit lent et lourd du peintre dont les espoirs naïfs sont aussitôt détrompés par la société. Dès lors, on peut comprendre à défaut d'excuser certaines réactions: si l'on ne goûte pas vraiment les subtilités de la partie musicale, alors on n'a pas grand-chose à faire pour se désennuyer. Notons qu'il n'est pas nécessaire d'être un expert pour goûter la qualité de cette musique, si j'en crois l'opinion de la mélomane qui m'accompagnait et qui n'est pas spécialement aguerrie par rapport à la musique contemporaine.

Comme le reste du public (relativement nombreux d'ailleurs, je craignais une salle à moitié vide), j'ai donc applaudi de bon coeur le compositeur, les chanteurs et les musiciens. Je n'aurai pas non plus crié d'enthousiasme. La musique contemporaine est souvent enfermée dans une alternative binaire entre gros scandale et gros succès: la réception de Haas monter qu'il existe visiblement une troisième voie, et qu'il ne faut pas nécessairement avoir peur de ce qui est nouveau, ni l'aduler sans réserve. Bravo aux artistes, et je m'inscris d'ores et déjà pour la prochaine création à l'Opéra de Paris !

Commentaires

1. Le mercredi 18 juin 2008, 12:01 par Papagena

A noter que ce n'étaient pas les musiciens de l'Opéra qui jouaient dans Melancholia mais le Klangforum Wien.

2. Le vendredi 20 juin 2008, 09:47 par Papageno

Merci pour la précision, chère Papagena (Papagena ??!). J'ai corrigé mon article.

3. Le dimanche 13 juillet 2008, 09:33 par Morloch

D'accord avec tout l'article, la musique est d'une grande beauté et m'a paru assez ouverte à différents styles contemporains : musique spectrale, et même un peu de répétitivisme à un moment. Comtemplatif et vivant, j'ai adoré.

En revanche, quel choix de livret, une sorte de mêtre-étalon de l'ennui.

4. Le mardi 3 mars 2009, 22:37 par MERCATOR

Quel bel exemple de verbiage abscon cet article de papageno !
Vous voulez vraiment savoir pourquoi ce type d'opera meurt ? Que d'ânes, que d'ânes écrivez-vous, n'est-ce pas ? les autres ? alors bienheureux les simples d'esprit, le royaume ... Brisons là, voulez-vous ?
Pour qui aime LARSEN, MELANCHOLIA est certes un bon moment de jouissance pour les oreilles, sur fond "musical" de bruits lancinants, prélude à une douce nuit d'acouphènes. Et le livret, quel chef d'oeuvre ... de mièvrerie ! sans parler du décor, où l'art flotte dans le néant ... Bref, cet opera est un superbe exemple de l'art Moderne qui annonce la fin de la civilisation occidentale décadente. Mais cela n'est pas si grave sans doute, toutes les civilisations ont eu, ont et auront une fin, ainsi va le monde et l'Art renaît toujours du génie de l'homme
En résumé, opéra à éviter comme la peste au Moyen Age

5. Le mardi 3 mars 2009, 23:06 par Papageno

Verbiage, je veux bien, mais abscons ?

6. Le dimanche 8 mars 2009, 12:49 par DavidLeMarrec

Forcément que c'est abscons, puisque cet estimé visiteur n'a manifestement rien compris ni à l'oeuvre ni à son commentaire. :-)

Cela dit, c'est divertissant, le couplet décadentiste.

7. Le lundi 9 mars 2009, 15:03 par MERCATOR

Loin de moi, la moindre volonté de persiflage : l’âne est un animal des plus doux, et j’ai connu bien des étudiants archi diplômés qui ne me paraissaient pas toujours avoir manifestement compris des notions simples … Or moi-même, en matière d’Opéra, je le concède, je ne me reconnais pas qualité pour m’autoproclamer expert.
Il resterait, toutefois, à étudier de façon très fine pour en apprécier toute la substantifique moelle, près des singularités, les fonctions holomorphes de propagation des ondes, selon la Théorie de la deuxième microlocalisation sur les sous-variétés isotropes, en intégrant, bien entendu, un effet d’inversion, fonction de la température de la salle. Et là, peut-être, n’étais-je pas idéalement installé à mon goût, un peu trop en hauteur, côté droit, avec un léger souffle à gauche. Cela relève pour l’essentiel de l’Analyse Complexe. C’est quand même assez simple, mais pourrait, peut-être, se révéler être une aide précieuse pour un bien modeste mélomane.
Mais pourquoi n’ai-je pas eu envie de chercher à comprendre davantage ? pourquoi n’ai-je pas aimé MELANCHOLIA ?
Une oreille est un organe si complexe et si simple à la fois… Quand les ondes produites par toutes les vibrations mécaniques viennent actionner le marteau, que ce marteau martèle trop durement l’enclume, que les oreilles transmettent un signal de douleur au cerveau, cela me suffit amplement et j’avoue simplement ne pas aimer les sons qui génèrent ce malaise. En l’occurrence, comprendre ou ne pas comprendre, aimer ou ne pas aimer, relève du domaine de la psycho-acoustique.
Ce qui est porté aux nues par certains qui se proclament connaisseurs est le beau, peut-être …, que m’importe, je n’ai pas du tout apprécié MELANCHOLIA.

8. Le lundi 9 mars 2009, 23:03 par Papageno

cher Mercator, vous avez parfaitement le droit de ne pas aimer Melancholia, et même de l'écrire dans mon blog ;-)

On n'a pas besoin d'être expert d'ailleurs pour apprécier la musique car chacun de nous a des oreilles, ce sont des instruments très précis et très bien éduqués qui nous servent 24 heures sur 24 et sont parfaitement suffisants pour dire "j'aime" ou "j"aime pas". Cela dit il faut accepter la subjectivité totale de ce jugement (ça n'est pas parce que vous n'aimez pas que d'autres n'aimeront pas), et son caractère temporaire (si ça se trouve vous changerez d'avis dans quelque temps sur cette musique).