Barenboïm à la salle Peyel (Schönberg, Wagner)

Entendu hier (25 août 2008) à la salle Pleyel: Daniel Barenboïm et le désormais célèbre West-Estearn Divan Orchestra dans un programme Schönberg - Wagner. On a déjà beaucoup parlé de cet orchestre co-fondé par Barenboïm et Edward Saïd (intellectuel palestinien, auteur de Orientalism et Culture and Imperialism notamment), qui regroupe Israëliens, Palestiniens, Jordaniens, Syriens et Egyptiens.

Bien sûr lorsque Barenboïm affirme nous ne faisons pas de politique, c'est un excès de modestie: il fait de la politique autant qu'on peut en faire, et son acceptation récente d'un passeport délivré par l'Autorité Palestinienne n'en est qu'un signe parmi d'autres. Peut-être veut-il souligner par là qu'on ne saurait résoudre tous les problèmes du proche-Orient simplement en organisant un mois de stage et deux semaines de tournées d'un orchestre Israëlo-Palestinien. Mais j'en avais déjà parlé dans un autre billet au sujet du philharmonique de New-York en Corée du Nord: les orchestres sont parfois les ambassadeurs qui annoncent la pacification et la normalisation des rapports entre deux pays, et toujours les acteurs d'une meilleure compréhension entre deux cultures.

Un mot sur le prix des places: 130 euros pour un concert symphonique, c'est vraiment pas donné ! On va encore dire après ça que la musique classique est un sport de riches (ce qui est faux, si l'on considère les très nombreux concerts gratuits ou quasi-gratuits et pourtant d'excellente qualité). Nous avons fait passer la dépense sur le budget anniversaire de mariage, mais à ce prix-là ça n'est pas tous les jours qu'on me reverra à Pleyel. Le plus drôle est qu'on ne sait pas combien les musiciens de l'orchestre sont payés (et il y a fort à parier qu'ils ne le sont pas, comme c'est souvent le cas pour les académies et autres stages d'orchestre estivaux).

Parlons de la musique. On commence par les Variations pour orchestre op 31 de Schönberg: une œuvre difficile mais un très bon choix car les musiciens sont bien mis en valeur. Bien que l'effectif soit très important (piccolo, cor anglais, contrebasson, trompette basse, deux harpes, célesta, mandoline ...) cordes et bois sont très souvent employés comme solistes. J'avais écouté cette œuvre en disque mais il faut vraiment la découvrir au concert pour réaliser toute sa richesse, profiter de la polyphonie, des jeux de timbres, de l'étagement très subtil des plans sonores. La musique symphonique de Schönberg me fait penser à celle de Sibelius (le Sibelius des Troisième, Quatrième et Septième symphonies surtout), mais en plus dense, plus concentrée, plus concise et déroutante. Un Sibelius allemand qui aurait émigré aux Etats-Unis et continué de bosser le contrepoint au lieu de picoler en regardant les sapins enneigés au bord d'un lac. On entend très nettement le motif B-A-C-H (si bémol la do si-bécarre), signature qui revient dans toute la musique allemande: Bach, Liszt, Busoni, Reger et tant d'autres.

Le public, plutôt nombreux et âgé, encore plus bruyant et malpoli qu'à l'habitude, applaudit avec plus de politesse que de chaleur, se réservant pour la seconde partie du programme: le premier acte de La Walkyrie de Wagner, avec Waltraud Meier (mezzo) Simon O'Neill (ténor) et René Pape (basse). Trois pointures du chant wagnérien qui nous offrent une superbe prestation. Je suis impressionné également par celle du chef qui dirige tout cela sans partition, avec une aisance et une précision remarquables. Quant à l'orchestre, s'il n'a pas en ce qui concerne les cordes la cohésion, la pâte de son que seul le temps peut donner, il est d'un niveau conforme à ce qu'on peut attendre aujourd'hui d'un orchestre professionnel. En version de concert avec l'orchestre sur scène, on est plus attentif aux détails de l'orchestration. Grâce au son très analytique de la nouvelle salle Pleyel, qui permet notamment de très bien localiser le son dans l'espace, on remarque mieux le travail des quatre harpes, les répliques du cor anglais ou de la trompette basse (quel instrument superbe !). Le concert se termine dans un tonnerre d'applaudissements, qui semblent autant destinés à saluer le projet politique sous-jacent que le travail des artistes.

Daniel Barenboïm

Ça n'est pas le moindre des paradoxes de programmer dans le même concert un musicien d'origine juive chassé d'Allemagne par les nazis, et un musicien ouvertement anti-sémite (dans un contexte culturel très différent du nôtre il est vrai). Barenboïm, faut-il le rappeler, est l'un des premiers artistes à avoir joué Wagner en Israël, ce qui passe encore aujourd'hui pour une provocation. Le message que ce grand pianiste et grand musicien cherche à nous transmettre ? Je le résumerai ainsi: Le passé est le passé. Acceptons-le, gardons ce qu'il a de meilleur, gardons-nous de ce qu'il a de pire et tentons de vivre ensemble au présent.

A lire aussi: les compte-rendus de la critique, dithyrambique sur Concertclassic et plus réservé sur ConcertoNet.

Commentaires

1. Le mardi 26 août 2008, 16:27 par [ Ben ]

A noter, d'ailleurs, concernant cette "politisation", la rencontre de Daniel Barenboïm avec Nicolas Sarkozy quelques heures avant le concert en question !
cahiersmusiqueclassique.b...

2. Le jeudi 28 août 2008, 14:13 par klari

130€?! gnnn. c'est une des raisons pour lesquelles je n'ai même pas essayé de prendre une place. (mais je ne m'attendais pas à ce prix-là quand même)