Toujours plus fort !! (la suite)

Dans un précédent billet j'avais montré comment la musique occidentale a poursuivi une direction unique depuis la renaissance: toujours plus de décibels ! Je m'étais arrêté aux années 1960, au moment ou la musique amplifiée électriquement est devenue la norme (et les instruments accoustiques sont devenus l'exception), car on disposait dès lors d'une puissance suffisante pour provoquer la surdité précoce chez des milliers d'adolescents, ce qui n'a pas manqué d'arriver d'ailleurs.

Ce que j'ignorais, c'est que dans la musique pop/rock/rap/techo/tout ce que vous voulez, la tendance s'est poursuivie, sous une autre forme. Tapez Loudness war dans un moteur de recherche et vous trouverez sans peine des articles ou des vidéos expliquant le phénomène (celui-ci appelé The Death of Dynamic Range, est assez complet). En gros la tendance récente consiste à pousser le niveau au maximum en studio, lors du montage. On écrase ainsi toute la dynamique du morceau, pour obtenir un flux sonore qui oscille entre 95% et 100% du maximum (ou si l'on veut il n'y a plus que 4 ou 5 décibels entre le niveau maximum et le niveau minimum, alors que l'oreille peut percevoir au moins 50 décibels de dynamique). Et ce mauvais traitement n'est pas appliqué qu'aux nouveaux albums mais aussi aux albums des années 1960 ou 1980 anciens lorsqu'ils sont remasterisés (quel vilain mot !).

Pourquoi trafiquer ainsi la musique ? La réponse se trouve en partie dans l'évolution des modes de consommation de la musique. Qu'on la consomme sur un baladeur dans le métro, dans un salon de coiffure en bruit de fond, dans une soirée bien arrosée, en bref à chaque fois qu'on écoute de la musique en faisant autre chose, alors il est pratique d'avoir un flux musical d'un niveau à peu près constant, un espèce de robinet sonore dont on peut régler le débit comme on veut. Une symphonie de Malher où l'on passe brusquement d'un solo de flûte à une fanfare de cuivres n'est pas adaptée à ces mode de consommation: cette musique réclame qu'on lui prête attention, qu'on soit dans un environnement suffisamment peu bruyant. Pas étonnant que la musique classique reste confinée à un marché de niche dans ces conditions !

Le résultat ultime de cette longue évolution vers toujours plus de puissance sonore est paradoxal: une fois qu'on a saturé ainsi l'échelle sonore, il n'existe plus de forte et de piano, plus aucune dynamique. A force de vouloir en faire toujours plus, on a finalement créé une musique totalement plate, ayant autant de saveur qu'un pavé de tofu à la béchamel. Pas étonnant que cette purée sonore fatigue l'oreille, même lorsqu'on n'a pas monté le volume à fond. Et bon appétit !

Commentaires

1. Le mardi 7 avril 2009, 08:39 par Azbinebrozer

Merci pour cet article ! Je relaie effectivement sur les forums rocks où je passe.
Cette vidéo en effet :
http://www.youtube.com/watch?v=3Gme...

Bon Patrick si je vous dis que ce phénomènes est une des clés de ce qui distingue le travail des bonnes petites maisons de disques de rock indépendants qui évitent ces écueils sonores, des très vilaines majors ?... Cela ne fait pas le tout de la question en effet vu leur poids sur la musique grand public... Hélas.

Certains auditeurs rock écoutent encore en vynil pour éviter ces problèmes. Certains musiciens ultra minoritaires jouent et enregistrent toujours en analogique pour garder une certaine couleur au son. Mais ce ne sont là que des pôles désespérés de résistance au formatage sonore mondiale !!!!

Pour ceux qui ne connaissent pas allez faire un tour au Norauto du coin et demander à voir les caissons de basse vendus !... On vit une époque énorme ! ;- ))))

2. Le mercredi 8 avril 2009, 11:54 par DavidLeMarrec

C'est aussi que la musique dans le salon obéit à d'autres impératifs qu'en concert. On ne peut pas toujours faire de bruit trop fort pour ne pas déranger les autres habitants de la maison... Et avec un casque, l'écart peut être déplaisant, même chez soi.

C'est pourquoi la dynamique des disques et de certaines radios est souvent compressée, même en classique.
(Personnellement, ça ne me dérange pas, parce que ça donne un confort d'écoute contre quelque chose qui ne reproduit pas, de toute façon, l'atmosphère sonore du concert. Sauf à n'acheter que d'excellentes prises de son fidèles reproduites sur un excellent matériel, et encore, il faudrait voir précisément...)

Pour la musique dite commerciale, effectivement, c'est nettement moins supportable, et il en est du volume d'enregistrement comme de l'harmonie ou du rythme : moins ça change, mieux c'est. :-) D'où une petite lassitude si les oeuvres ne sont pas en mesure de sublimer ce traitement.

3. Le mercredi 8 avril 2009, 19:57 par Papageno

Un peu de compression ne fait pas de mal (elle était beaucoup pratiquée à l'époque des 33 tours qui ont des capacités dynamiques réduites à 60dB au mieux contre 100dB pour le CD audio). Mais telle qu'elle est pratiquée ici, avec le "clipping" (on augmente tout de 20dB et on rabote ce qui dépasse le niveau maximum) on déforme l'onde sonore donc on massacre le son. Les partiels de fréquence aigus, ceux-là même qui font la richesse du timbre et des attaques et qui permettent de reconnaître tel voix ou tel instrumentiste, passent à la trappe. Cette analogie a des limites mais c'est un peu comme si on passait un repas entier (maquereaux-pomme à l'huile, boeuf-carottes, camembert, crème brûlée, café) au mixeur: toute notion de goût, de saveur, de texture a irrémédiablement disparu.

4. Le mercredi 8 avril 2009, 21:09 par Azbinebrozer

Oui exact, je me rappelle effectivement l'arrivée du CD qui nous expliquait-on offrait plus de dynamique...
Oui l'analogie avec la nourriture est évidente et avec la fast food et certaines habitudes culturelles.

A ce propos je reste dubitatif devant la seule explication que la nécessité de manger vite ou d'écouter en faisant autre chose génère l'évolution de l'alimentation et du goût.
Un matérialisme qui me semble simplificateur et bien déculpabilisant !

Ne serait-ce pas plutôt le phénomène inverse ? Il me semble que ce sont le silence ou les saveurs un peu originales ou moins faciles qui posent problèmes fondamentalement.
Autrement dit je n'écoute pas de la musique sans silence parce que je ne supporte pas les bruits extérieurs mais parce que je ne supporte pas le silence ou la complexité du son réel ou non.
Je ne mange pas des hamburgers, pattes pizza parce que je veux manger vite mais je mange vite des choses qui ne heurtent pas mes goûts. C'est cool je suis bien bourré vite fait sans avoir eu le palais et la langue heurtés.
Je n'évite pas les films d'arts et essais parce qu'il sont plus longs qu'une série mais parce que la série m'offre un univers clos coutumier confortable.
Non ?

5. Le mercredi 8 avril 2009, 22:22 par Papageno

Oui sans doute...

Le silence est tellement envahissant dans certaines oeuvres de musique contemporaine que c'est plutôt inconfortable... mais cet inconfort me plait plus que la saturation des oreilles façon "boîte de nuit". Je dois être un intello, ou bien une sorte de handicapé social...

6. Le jeudi 9 avril 2009, 08:08 par Azbinebrozer

Un "handicapé social"... Oh !... :- (

Un guide Patrick ! Merci pour tout ce que vous faites ici et pour votre musique !

Heu sinon... le "je" de mon post était une formule.
Mon plus grand plaisir culinaire ce sont les saveurs des légumes, les séries m'ennuient et je suis rentré dans la musique contemporaine adolescent avec Varèse !
J'ai donc plaisir à venir vous lire et écouter.

7. Le jeudi 9 avril 2009, 15:11 par DavidLeMarrec

Oui, bien sûr, le rabotage qu'on voit sur vos illustrations, ça n'a pas de nom. :-(