Hadopi: épisode 138

La loi Hadopi continue à faire parler d'elle. D'abord les députés européens décidément têtus ont réusi à inclure (après un vote à 404 voix contre 57) l'amendement 138 dans le paquet télécom. Cet amendement déclare illégale toute coupure d'accès à internet par un Etat ou une Entreprise. Ce n'est pas une surprise et ça n'est qu'un épisode du feuilleton car maintenant le Conseil Européen (les 27 chefs d'Etat) ont le choix entre adopter le paquet ou provoquer une troisième lecture.

Côté français, Libé faisait sa une ce matin sur le divorce entre le PS et les artistes (dont une grande majorité affiche sans ambage sa sympathie pour la gauche). Le comédien Pierre Arditti dénoncait par exemple l'anti-sarkozysme compulsif du PS qui le conduit à prendre le parti des pirates contre celui du respect du droit d'auteur. Et l'éditorial nous ressert le vieux ragoût cent fois réchauffé de la licence globale. J'ai déjà dit tout le mal que j'en pensais. Quel sens peut avoir un système de redistribution centralisé et franco-français alors que l'Internet est décentralisé et de dimension mondiale ? A qui reverser l'argent de la licence globale ? En comptant les pirates ? Et comment ? Et pour les producteurs des autres pays, comme ceux qui font les séries télé américaines, qui sont massivement piratées ? Vont-il bénéficier de l'argent de la licence globale ? Et si les Américains ne veulent pas que les députés français négocient leurs droits d'auteur à leur place en autorisant les internautes français à télécharger ? Pas besoin de creuser bien longtemps pour voir qu'un système étatiste (ou crypto-étatiste façon SACEM) ne pourrait être en pratique que synonyme de gaspillage et d'injustice. Et si le téléchargement devient légal, outre que c'est une révolution dans le droit d'auteur, c'est aussi la meilleur manière de tuer l'offre payante et "légale" de musique, films, et jeux vidéos à télécharger.

Dans cette affaire, droite et gauche se comportent comme leurs propres caricatures:

  • la droite répressive qui brandit le bâton d'une coupure d'accès aussi coûtreuse qu'inefficace, jugée contraire au droits fondamentaux par les députés euréopes, et qui ne remplira les poches des gendarmes de l'Internet, pas celle des artistes
  • la gauche angéliste et puérile qui se fait plaisir avec des incidents de procédure aussi ridicules qu'inutiles et qui sans oser dépénaliser les violations du droit d'auteur voudrait créer une nouvelle taxe façon copie privée.

Au centre, le franc-tireur Bayrou qui arrose tout le monde. C'est pourtant du centre que pourrait émaner des propositions inventives et constructives pour sortir de l'ornière. Je ne vais pas faire le boulot des députés à leur place, mais voici quelque pistes:

  • réaffirmation du droit d'auteur et de la nécessité pour les pouvoirs publics de le faire respecter sur Internet comme ailleurs
  • abandon de la coupure d'accès à Internet au profit d'une amende (déjà proposé par un député de droite, et refusé par le gouvernement...)
  • étude sur le rapport coût d'une solution répressive type Hadopi, rapporté aux avantage économique escomptés.
  • développement d'un nouveau type de commandes d'Etat aux artistes (je pense ici plus spécifiquement aux musiciens), le résultat de ces commandes étant mis sur Internet gratuitement.
La dernière proposition est sans doute la plus audacieuse, celle qui se rapproche le plus d'un système de licence globale même si elle ne constitue pas un permis de télécharger tout et n'importe comment. La logique est toute simple: si on dépense l'argent du contribuable pour payer le travail d'un artiste, pourquoi ne pas utiliser Internet pour faire partager le résultat de ce travail avec le plus grand nombre ? Certes, me direz-vous, mais ce système existe déjà, il s'appelle Radio France (dont toutes les émissions sont téléchargeables gratuitemet en podcast). Mais on pourrait le développer un peu plus, et créer un média davantage orienté vers l'Internet.

Commentaires

1. Le jeudi 7 mai 2009, 01:22 par DavidLeMarrec

Merci pour le point.

L'amende avait été envisagée par Renaud Donnedieu de Vabres, et ça pouvait sembler une bonne idée.

Ca a été déclaré anticonstitutionnel après sa tentative d'assouplir DADVSI. En tout état de cause, c'est inappliquable pour les mêmes raisons que la coupure.

En plus, il y a certains hackers en embuscade qui vont totalement rendre impossible la mise en place de ces solutions avec un petit stratagème simple.

Je ne m'étends pas plus, c'est un sujet sans fond - et sans solution.

2. Le jeudi 7 mai 2009, 19:12 par Sylvain

Le week end dernier je suis allé à une foire aux disques (rock) et j'ai été totalement bluffé de voire à quel point elle avait du succès.

Une grosse proportion de vinyles et plein de monde en train de fouiller, soit pour retrouver tel ou tel disque, soit par simple plaisir de chercher quelque chose. Une ambiance très chouette, autour de la musique (rock et jazz surtout) mais aussi du disque vinyle. Et il n'y avait pas que des passionnés, vieux et jeunes... vraiment un bon moment.

Pour l'anecdote, comme il n'y en avait que pour le rock et le jazz, ce fut donc l'occasion pour moi de récupérer quelques vieux coffret d'opéra que personne ne voulait à part pour caler les 45t au fond du camion.

3. Le vendredi 8 mai 2009, 14:23 par Éric

David,

C'est un sujet sans fond mais dont il convient de discuter. En laissant faire les politiques, les "professionnels de la profession" ou les autres, on s'éloigne de la démocratie.

Ça insupporte certaines personnes de parler politique (surtout quand on n'est pas du même avis qu'elles) et ça en passionne d'autres. C'est comme ça.

Mine de rien, on (je) sait plus de chose sur ce sujet aujourd'hui qu'il y a deux ans.

Encore merci à Patrick d'exposer ce sujet complexe avec autant de synthèse et de clarté.

4. Le vendredi 8 mai 2009, 15:07 par Papageno

David, je ne vois pas en quoi une amende pour non-respect du droit d'auteur pourrait être anti-constitutionnelle. Le parallèle s'impose avec les radars automatiques pour excès de vitesse. Les radars ne sont pas techniquement parfaits (les systèmes pour traquer les pirates non plus) l'identification du conducteur à partir du numéro d'immatriculation n'est pas univoque (celle du téléchargeur d'après l'adresse IP non plus), ce qui n'empêche pas le système de fonctionner et d'avoir contribué à l'amélioration de la sécurité sur les routes.

L'analogie a bien sûr ses limites, mais l'exemple de la Grande-Bretagne montre que les e-mails d'avertissement envoyés par les fournisseurs d'accès à Internet semblent avoir une certaine efficacité. Bien sûr il y aura toujours des pirates, mais on n'est pas obligé de leur simplifier la vie.

5. Le vendredi 8 mai 2009, 16:50 par Sylvain

Bon, je vais encore me faire incendier par Eric mais c'est pas grave, j'en remets une couche... ;-)

" Bien sûr il y aura toujours des pirates, mais on n'est pas obligé de leur simplifier la vie."

Aujourd'hui les pirates c'est tout le monde Patrick. Ecoutez les sonneries de tél qui nous agacent tant dans le train, regardez tous ces gens avec des lecteurs mp3 bourrés de musiques téléchargées, sans parler des vidéos youtube qui nous permettent de voir des vidéos parfois incroyable ou totalement oubliées, aussi bien que des aneries ou le dernier clip de Britney, les transferts de clé à clé dans les réunions de famille ou même entre amis, les blogs avec les derniers albums dont ils font l'éloge...

Au final, les gens perdent l'habitude de payer pour voir et écouter de la musique et dépensent cet argent ailleurs et notamment dans les supports vierges.

Nous n'avons plus le choix et il faut simplement prélever une taxe et se concentrer sur un autre problème bien plus important à mon sens: trouver une méthode équitable pour répartir les recettes de cette taxe entre les artistes (et non entre les majors). Nous avons déjà perdu des années la dessus, alors qu'il y a 4 ans une société américaine avait proposé une méthode assez géniale basée sur ce qu'on appelle le checksum d'un fichier ou même un soft basé sur un algorithme de type Shazam.

Je ne comprend pas qu'on se casse encore la tête à discuter de ca et que certains gardent l'illusion qu'un "gendarme" sera plus habile qu'un pirate au point de pouvoir l'identifier sans le confondre avec un voisin innocent. Il y a des tonnes d'exemples informatiques qui montrent que le "bridage" ne fonctionne jamais et ca a toujours été le cas dans l'informatique (Canal+, DVD protégés, BlueRay, logiciels protégés, P2P et SSL, ...). Ce n'est pas Internet qui va changer ca.

Google nous proposera surement bientôt un service d'écoute illimité et gratuit similaire à celui qu'ils proposent en Chine et ca règlera le problème une fois pour toute. Malheureusement, beaucoup d'artistes, surtout parmis les plus petits auront perdu beaucoup d'argent simplement parce que les politiques pensaient qu'ils pourraient être plus malins que ces fameux "pirates", qui se cache aussi bien souvent parmis leur enfants. Et c'est Google qui s'occupera de redistribuer cet argent, alors que c'était typiquement un travail pour le "policy maker" !

6. Le vendredi 8 mai 2009, 18:33 par DavidLeMarrec

Bonjour à tous. :-)

Eric, je crois que vous m'avez mal compris : si je n'en parle pas plus, c'est parce que je n'épuiserai pas la question dans un commentaire, et que je pense y revenir plus longuement sous une autre forme. Mais, cela dit, on pourrait discuter longuement de la théorie de la démocratie, voire de la théorie de la décision politique tout court.
Je suis loin d'être désintéressé par la politique, mais disons que l'impact qu'on peut avoir, démocratie ou pas, reste minime, il faut le conserver à l'esprit, ça épargne bien des aigreurs inutiles.

Patrick, il me semble que c'était une histoire de discrimination contre ceux qui avaient Internet. Quelque chose qui m'avait paru très bizarre, mais en tout cas, cet avis avait été rendu lorsque le PS avait voulu réagir contre l'initiative de RDdV. Encore une fois, à l'époque, j'avais été assez déçu de cet abandon, même si je tends plutôt à penser, aujourd'hui, que c'était une fausse bonne idée.

Je crains que Sylvain ne voie juste : la contrefaçon est devenue un mode de vie social. On ne peut pas offrir à quelqu'un qu'on connaît mal un vrai disque, ça le mettrait mal à l'aise ; en revanche, avoir pris le temps de graver de ses blanches mains un album Decca, avec le scan couleur de la pochette, ça, ça touche. C'est entré dans les moeurs, et il ne reste plus que la rigueur extrême ou une solution alternative pour régler cela.

Il dit très bien le problème véritable : l'IP n'est pas une personne, et aisément falsifiable.

Il manque toutefois l'épilogue : une fois cette solution gratuite ou licence globale adoptée... qu'adviendra-t-il du disque ?

7. Le samedi 9 mai 2009, 10:34 par Éric

David,

Rassurez-vous, j’avais compris votre formulation. Je me suis mal exprimé, ma remarque ne s’adressait pas à vous. C’était juste pour rebondir sur ces mots.
Certains, contrairement à vous, voudraient effectivement clore toute discussion par une dialectique subtile et pernicieuse. On commence par dire que toute discussion intellectuelle est stérile, il s’ensuit que l’on brûle les livres sur la place publique etc. vous connaissez la suite.

Surtout continuez de poster des commentaires, vous participez à la qualité de ce journal en apportant des précisions ou en ayant quelques fois des avis différents mais toujours pertinents.