Le jeu des programmes

Les salles comme les orchestres envoient leurs programme 2009-2010, un dépliant ou un petit livret par la poste pour les plus ringards, une newsletter en PDF pour les plus branchés. Il y a un petit jeu auquel on peut se livrer à chaque fois: faire des paris sur le nombre de compositeurs vivants, rapporté au nombre de compositeurs qui figurent sur le programme. C'est un jeu qui se joue seul ou à plusieurs (celui qui avait la meilleure estimation gagne). Dans les bons cas on arrive à 15%, comme à la Salle Pleyel (18 sur 117, parmi lesquels on trouve même des petits jeunes qui ont tout juste quarante ans, et ô merveille, deux compositrices). Mais le plus souvent on plafonne à un pour dix, comme dans le programme de l'Orchestre  National d'Île de France qui compte trois musiciens vivants (Graciane Finzi, Vladimir Cosma, Lucian-Cristofor Tugui) pour trente-et-un compositeurs au total.

Vous me direz que je ne regarde pas les bons programmes: certainement dans les salles qui proposent du jazz, de la variété, du rock, la proportion de musique vivante est beaucoup plus importante que dans celles qui sont dédiées au classique. Et l'inter-contemporain va encore aligner un nombre incroyable de créations, avec une qualité de jeu irréprochable pour rester fidèle à sa réputation. Tandis que du côté de Versailles, il ne faut rien attendre de passionnant question nouveautés, sauf bien sûr si on appelle création la première audition contemporaine d'un manuscrit poussiéreux et tombé dans un juste oubli depuis trois siècles.

Au total, 10 ou 15% c'est tout de même mieux que zéro. Ainsi donc, la prochaine fois qu'on sort le classique c'est de la musique écrite par des morts, vous pourrez répondre, preuves en  main: mais si, je vous jure, il y en a quelques-uns qui bougent encore !

Commentaires

1. Le mercredi 16 septembre 2009, 10:31 par DavidLeMarrec

Bonjour Patrick ,

"Tandis que du côté de Versailles, il ne faut rien attendre de passionnant, sauf bien sûr si on appelle "création" la première audition contemporaine d'un manuscrit poussiéreux et tombé dans un juste oubli depuis trois siècles."

C'est quoi cette vieille provocation ! :-) On vous a connnu plus subtil, la ficelle est un peu grosse...

En l'occurrence, c'est censé combler un fossé entre Gluck et Berlioz (disent ceux qui ont lu la partition et malgré mon scepticisme a priori), et surtout ça documente une période dont à peu près rien n'est jouée dans les genres tragédie lyrique et opéra-comique. C'est au minimum de la documentation historique de première main.
Après ça, il y a beaucoup de chefs-d'oeuvre dans cette période, mais un Grétry, ça n'est pas forcément rassurant. (Quatre Grétry chantés cette saison à Paris...)

Le manque est un peu comparable à ce qui arriverait si on supprimait Rousseau dans l'histoire de la littérature... On serait quand même content de le découvrir !

L'autre problème, on en revient à votre sujet et on en a souvent parlé, c'est la difficulté d'accès de la musique d'aujourd'hui : trop d'esthétiques différentes, une tonalité trop complexe (voire absente).

On comprend aisément que le gros du public qui va au concert n'ait pas envie, après une journée de travail, alors qu'il fait déjà l'effort de ne pas se vautrer devant la télévision, d'aller voir quelque chose d'abstrait et d'obscur.

Après ça, ça pose effectivement, le problème très réel de la création en 'musique classique' : reste-t-on au musée ?

J'avoue que personnellement, après une phase intense de découverte émerveillée de l'univers contemporain, je me suis un peu lassé : on manque de recul. Du coup, certains compositeurs passionnants ne sont quasiment pas documentés au disque, et puis brasser toutes ces esthétiques... Il faut presque un mi-temps pour suivre, et encore, de loin, vu la complexité des procédés.

Même chose pour en jouer : c'est dur, peu agréable à travailler (si ce n'est pas totalement en place, ça ne sonne pas), sans parler de la 'jouabilité' vis-à-vis de l'entourage. Et je ne parle même pas des ensembles exotiques pour la musique de chambre.

En revanche, vos remarques se justifient bien plus lorsqu'on connaît votre musique, qui est effectivement très accessible, et pour le coup, ce langage pourrait trouver sa place dans les salles.
Reste plus qu'à attendre d'être célèbre.

2. Le mercredi 16 septembre 2009, 13:46 par Jean-Brieux

@David et Patrick

Bonjour,

"C'est quoi cette vieille provocation ! :-) On vous a connnu plus subtil, la ficelle est un peu grosse..."

C'est bien vrai et ce n'est même pas moi qui le dit !

"En l'occurrence, c'est censé combler un fossé entre Gluck et Berlioz"

Entre Rameau (Gluck ? non mais !) et Berlioz, il y a H. Jadin (mon Dieu), Montgeroult (ma Déesse), et aussi I. Ladurner, Boëly...

Leurs compositions ne se limitent pas à un simple aspect de documentation pour combler un trou ("des p'tits trous", hein Patrick !) dans l'histoire de la musique.

"Après ça, il y a beaucoup de chefs-d'oeuvre dans cette période"

Ah bon, y'en a ? Vous pensez à quoi ? Ne faites quand même pas ombrage au divin Mozart.

"Le manque est un peu comparable à ce qui arriverait si on supprimait Rousseau dans l'histoire de la littérature... On serait quand même content de le découvrir !"

je trouve que ce genre de propos ne devrait pas être tenu sur ce blog car on peut être lu par des plus jeunes, surtout quand on pense à Rousseau et ses Confessions ("des p'tits trous")...

"On comprend aisément que le gros du public qui va au concert n'ait pas envie, après une journée de travail, alors qu'il fait déjà l'effort de ne pas se vautrer devant la télévision, d'aller voir quelque chose d'abstrait et d'obscur."

Aller VOIR, c'est bien le mot. Ecouter, ce serait insupportable.

Abstrait et obscur ? Bach avec des lunettes de soleil ?

"J'avoue que personnellement, après une phase intense de découverte émerveillée de l'univers contemporain, je me suis un peu lassé : on manque de recul."

pour ma part je ne manque pas de recul...

3. Le mercredi 16 septembre 2009, 15:50 par Papageno

@David: pour préciser un peu ma pensée, j'ai rajouté "il ne faut rien attendre de passionnant **comme nouveauté** du côté de Versailles". Bien sûr c'est passionnant la musique du répertoire, qu'elle soit du XVe ou du XIXe siècle.

Concernant les difficultés de la musique contemporaine... ça n'est pas facile de jouer Berio ou Greif mais c'est encore plus difficile de bien jouer Mozart ou Schubert. J'ai vu des partitions contemporaines franchement imb**tables il faut bien le reconnaître, mais il ne faut pas non plus généraliser.

Quant à la difficulté pour les auditeurs... vous allez dire que je fais encore de la provoc' gratuite, mais quand la musique est difficile à écouter, c'est qu'elle est mal écrite ou mal jouée. Souvent le mot "difficile" revient comme une sorte d'excuse lorsqu'on cherche à répondre à quelqu'un qui n'a pas apprécié.

Lorsque j'ai entendu la musique de Messiaen pour la première fois je ne connaissais ni l'harmonie tonale ni les modes à transposition limité. Quoique ignorant et incapable d'analyser cette musique ou d'expliquer avec des mots en quoi elle était différente de celle de Haydn j'ai tout de suite perçu de qu'elle avait de beau et de passionnant. Écouter de la musique est d'abord une expérience sensible et sensuelle, l'érudition ne vient qu'en complément.

Une autre expérience menée avec mes deux filles de 7 et 9 ans. Je leur fais écouter "Mycenae Alpha" de Xenakis, sans les préparer par un quelconque commentaire:

http://www.youtube.com/watch?v=yzto...

L'une n'a pas aimé du tout, l'autre a trouvé ça très sympa: "j'adore c'est trop bizarre".

En résumé, la musique contemporaine 1) on a le droit de ne pas aimer telle ou telle pièce et de le dire 2) si quelqu'un vous dit que vous n'aimez pas parce que "c'est une musique difficile d'accès" il est probablement en train de se moquer de vous.

4. Le mercredi 16 septembre 2009, 21:28 par DavidLeMarrec

@ Jean-Brieux : Je me fondais sur les propos de quelqu'un qui a abondamment lu la partition. Personnellement, j'attendrai d'entendre (ou de lire, mais j'entendrai vraisemblablement avant...) Andromaque pour dire.

Quand je disais documentation, c'était un minimum. Plutôt qu'à Jadin et Boëly, qui sont dans un autre registre, je pensais aux autres chaînons opératiques manquants dans la tragédie lyrique (puisqu'on remonte la seule de Grétry), et ce n'est certes pas de la documentation moisie : Johann Christian Bach, Gossec, Salieri et même Piccinni et Sacchini, ce n'est pas négligeable, mais c'est négligé. De même pour l'opéra-comique de Louis XVI à Napoléon, qui est malheureusement très mal documenté discographiquement parlant.

Pour les chefs-d'oeuvre, la liste peut être longue au gré de chacun, disons, pour en rester au domaine de la tragédie lyrique, Amadis de Bach, Thésée de Gossec, Tarare de Salieri ou encore Danaïdes du même... Pour ce qui a été diffusé dans un coin de la planète un jour ou l'autre, parce que les partitions ne sont pas éditées à tous les coins de rue, il faut aller lire sur place et éventuellement, lorsque c'est possible, photocopier pour pouvoir les jouer plus ou moins confortablement. Et encore, lorsqu'il y a des réductions piano, etc.

5. Le mercredi 16 septembre 2009, 21:29 par DavidLeMarrec

@ Patrick :

Et voilà ! A force de lancer des trolls malicieux, on n'est plus cru. :-)

Mais c'est bien une nouveauté en réalité, puisque c'est quelque chose de très différent sans doute de ce qui est documenté par le disque. Certes, ce n'est pas une nouveauté fraîche et le compositeur ne touchera rien. :-)

"Concernant les difficultés de la musique contemporaine... ça n'est pas facile de jouer Berio ou Greif mais c'est encore plus difficile de bien jouer Mozart ou Schubert. J'ai vu des partitions contemporaines franchement imb**tables il faut bien le reconnaître, mais il ne faut pas non plus généraliser."

Il faut s'entendre : bien jouer Mozart est difficile, mais lorsqu'on a un bagage technique solide comme les grands interprètes, c'est quand même très facile à maîtriser avec un peu de grammaire digitale en gammes. Le goût et l'imagination sont plus exposés, c'est sûr, donc on est peut-être plus intimement jugé.
Je pensais surtout à la difficulté à pratiquer pour l'amateur. Mozart, c'est un peu particulier parce qu'il faut que ce soit un minimum propre, mais Schubert, ça sonne tout de suite, on peut prendre un Klavierstück, c'est agréable même sans travail. Même les Takemitsu les plus faciles, avant qu'ils rendent ce qu'ils doivent, il y a du travail (j'en sais quelque chose...).

"Quant à la difficulté pour les auditeurs... vous allez dire que je fais encore de la provoc' gratuite, mais quand la musique est difficile à écouter, c'est qu'elle est mal écrite ou mal jouée. Souvent le mot "difficile" revient comme une sorte d'excuse lorsqu'on cherche à répondre à quelqu'un qui n'a pas apprécié."
Mais non, la provoque n'est jamais gratuite ici, elle fait cogiter et c'est très bien comme ça.

Je crois qu'on peut objectiver la notion de "difficulté" à laquelle je faisais allusion : c'est ce qui s'éloigne de la culture commune.

Autrement dit : une forme-sonate est plus difficile à appréhender qu'une BO ou qu'une chanson ; des enchaînements harmoniques à la façon de Szymanowski sont plus longs à être compris que ceux de Mozart. De même pour la mémorisation...
Ca n'empêche pas d'être spontanément séduit par une musique "difficile". Mais ce peut être pour des paramètres parfois un peu extrinsèques (l'orchestration en musique contemporaine compte parfois plus que les notes pour le public...).

"Lorsque j'ai entendu la musique de Messiaen pour la première fois je ne connaissais ni l'harmonie tonale ni les modes à transposition limité. Quoique ignorant et incapable d'analyser cette musique ou d'expliquer avec des mots en quoi elle était différente de celle de Haydn j'ai tout de suite perçu de qu'elle avait de beau et de passionnant. Écouter de la musique est d'abord une expérience sensible et sensuelle, l'érudition ne vient qu'en complément."

Messiaen n'est pas vraiment de la musique difficile. Il utilise des ressorts de couleur et de lyrisme qui sont plus ou moins dans le fonds commun, malgré la complexité de sa musique. Mais là, c'est encore autre chose, je dirais plutôt que c'est une qualité d'évidence, un don rare...

"2) si quelqu'un vous dit que vous n'aimez pas parce que "c'est une musique difficile d'accès" il est probablement en train de se moquer de vous."

Sauf si c'est du Wagner bien entendu. :o)