Tempête dans un verre d'eau

Des articles dans la presse (Le Monde, Télérama, le Nouvel Obs), une pétition adressée au ministre de la Culture, un un groupe Facebook au nom ridicule, une contre-pétition signée par quelques stars comme Pascal Dusapin et Hugues Gall, mais au fait de quoi s'agit-il ? De la promotion 2010 des pensionnaires de la Villa Médicis. Celle-ci accueillera quatre musiciens:

Seul le quatrième a un parcours "classique" si j'ose dire: passé par le CNSM, élève de Gérard Grisey et Marc-André Dalbavie. Les trois autres ont manifestement été recrutés par le nouveau directeur de la villa Médicis dans l'idée d'ouvrir la vénérable institution (créée par Colbert en 1666 sous Louis XIV) à une certaine diversité de style. Ces intentions de la direction sont tout à fait explicites si l'on considère les termes choisis dans le communiqué de presse publié sur le site de la Villa Médicis: 4 compositeurs de musique : deux compositeurs de musique contemporaine dont un est associé à un compositeur de jazz ainsi qu’une compositrice de musiques actuelles. Sans faire une analyse stylistique poussée, on peut noter le pluriel tout à fait savoureux à musiques actuelles.

Il va sans dire que je n'ai pas signé la pétition des compositeurs contemporains qui condamnaient ces nominations. Même parmi ses signataires, certains ont bien senti le piège, comme on peut le voir dans les commentaires su dite Musique en vrac. Citons par exemple celui d'Edith Canat de Chizy:

Quitte à me répéter: cette nomination est un "coup" médiatique certainement préparé depuis longtemps. Pour montrer que la musique dite "savante" s'est enfermée elle-même et qu'il faut un "sang" neuf pour la régénérer!
C'est une provocation extrêmement blessante pour nous et aussi la porte ouverte vers une vulgarisation extrême de la culture.

Je n'ai pas signé car il est totalement stupide d'opposer les musiciens les uns aux autres et parce que le système institutionnel dont la villa Médicis n'est qu'un des maillons tend à enfermer la musique contemporaine dans un ghetto. Mon point de vue rejoint complètement celui que Pierre Sauvageot a développé dans une tribune publiée sur le site Rue89. Ne comptez pas sur moi pour défendre les 4 places annuelles à la villa Médicis comme une espèce de droit syndical acquis pour les anciens du CNSM. Et ce d'autant plus que je ne fais pas partie des anciens en question !

Pour que mon opinion personnelle soit claire, le peu que j'ai écouté de la musique de Claire Diterzi ne m'a pas enthousiasmé du tout. Tableau de Chasse par exemple est un sympathique navet qui s'oublie aussi vite qu'on l'a entendu. J'ai vraiment du mal à trouver ce qui pourrait être considéré comme original dans la ligne vocale simplette, l'accompagnement basé sur 3 accords, la voix sans timbre et sans charme façon Carla Bruni. Mais cet avis n'est pas partagé par tout le monde. Télérama écrit par exemple que c'est la créatrice la plus audacieuse de la scène pop française actuelle. Même si je plains cette pauvre scène pop de ne pas avoir mieux en stock, je ne vois rien à redire au fait que le ministère de la culture soutienne une artiste qui a l'air reconnue et respectée. Surtout si l'on considère que le même ministère a invité Bruno Mantovani qui a composé en 2005 villa Médicis, entre autres, une pièce pour alto seul aussi longue qu'inintéressante, et qui certainement a touché et touchera un public beaucoup moins nombreux que les chansonnettes de Claire Diterzi, en lui causant un plaisir combien moins grand.

Contrairement à ce que disent les signataires de la pétition, le rôle de l'État n'est pas de soutenir un type de musique particulier (au prétexte que cette musique n'est pas commerciale et a donc besoin de soutien) mais plutôt d'encourager la créativité dans tous les domaines et tous les styles avec l'indifférence bienveillante d'un Buddha ventripotent et doré.

Je vais même aller plus loin comme avocat du diable. Supposons qu'un inconnu notoire et incapable complet soit admis comme pensionnaire. Une place à la villa Médicis, c'est un CDD de 12 ou 24 mois payé 3200 euros par mois plus l'hébergement gratuit. Si gaspillage il y a, le gaspillage d'argent public est assez limité. Surtout si on le compare à la subvention annuelle de l'Opéra de Paris où aux 5 millions nécessaires pour rénover ces affreuses colonnes de Buren.

Du temps où le prix de Rome existait encore, la villa Médicis accueillait surtout des étudiants d'une vingtaine d'années (le règlement précisait même qu'ils ne devaient pas être mariés) qui était sélectionnés par des épreuves rigoureuses mais affreusement scolaires de contrepoint. Avoir le prix de Rome ne signifiait pas du tout qu'on était un artiste créatif et original, mais simplement qu'on avait reçu une solide formation. Les prix de Rome ne se dédiaient pas tous à la composition, tant s'en faut: on trouvait parmi eux des pianistes, chefs d'orchestre, pédagogues, directeurs de conservatoires, etc. Depuis la réforme Malraux en 1969 le concours a été supprimé et le profil comme le recrutement des candidats a radicalement changé. Extrait de la notice sur le conditions d'admission à la Villa Médicis:

Le profil du candidat
La sélection ne s'adresse pas à des étudiants mais à des personnes déjà engagées dans la vie professionnelle et recherchant à Rome un complément d'expérience, un perfectionnement de formation ou la poursuite d'une recherche dans le cadre d'un dialogue franco-italien.

Les candidats doivent avoir entre 20 et 45 ans, et les quatre musiciens sélectionnés cette année sont tous des quadragénaires et des professionnels confirmés. Le passage à la villa Médicis leur offre davantage une sorte de consécration institutionnelle qu'un stage de fin d'études.

Il y a quarante ans, lors de la réforme Malraux, certains posaient la question: à partir du moment où le concours est supprimé, qu'est-ce qui empêche de recruter un chanteur de variétés à la villa Médicis ? La réponse, nous venons de l'avoir: rien. Dernière question: est-ce que c'est vraiment un drame ?

Commentaires

1. Le dimanche 20 juin 2010, 13:50 par Tom

Boah c'est has-been la Villa médicis, qu' elle crève la gueule ouverte , qu 'on en finisse avec ce vieux truc : dorénavent l' artiste s'en fout des ruines romaines, cette vue de l 'esprit des romantiques.

Par contre vivement l' instauration de la Villa Bougainville a Tahiti, ça c'est du sérieux! Soleil, plage, mer, et tahitiennes, quoi de mieux pour un artiste du XXIème?

2. Le lundi 21 juin 2010, 23:20 par DavidLeMarrec

Défendre la diversité à la Villa Médicis pour taper sur Bruno Mantovani, c'est très vilain. (D'autant que ce doit être le compositeur le plus enthousiasmant passé par là depuis assez longtemps.)

Sinon, sur le fond, j'avoue ne pas avoir grand avis sur la question : oui, ça ressemble à de l'ouverture un peu désordonnée, de la bonne volonté un peu creuse. En même temps, il n'est pas un scandale non plus que ne profitent plus du lieu seulement une catégoriie donnée de musiciens.

Bref, ça émeut sans doute guère plus loin que les concernés.
(Et Edith Canat de Chizy se méprend sur le terme "vulgarisation" qui lui fait dire le contraire de ce qu'elle veut. :-) )

3. Le mardi 22 juin 2010, 08:30 par Papageno

Mais je n'ai absolument rien contre ce monsieur ! C'est juste que sa musique ne me passionne pas :) Mais comme pour Claire Diterzi je ne trouve rien à redire au fait que l'Etat subventionne des musiciens dont la musique ne me passionne pas. Et j'ai choisi cette pièce car 1) je la connais, j'ai le disque et la partition 2) elle a été écrite Villa Médicis 3) elle comporte pas mal de remplissage, voire de copier-coller.

4. Le mercredi 23 juin 2010, 00:59 par Raphaël

Désolé mais c'est ces péteux avec leur masturbatoire 'sauvons la culture' qui donne au classique cette image si embourgeoisée et surfaite (genre il y a lard et l'Art tu vois... ..plutôt Braque ? Vasarely ?)

Lachez Pasolini et Iggy Pop dans la baraque à Medicis ça lui redonnera un coup de jeune !!

PS : Remarquez que c'est vrai que la Diterzi casse pas trois patte à son canard laqué non plus... ...ça sent le piston bien sale...

5. Le mercredi 23 juin 2010, 20:03 par DavidLeMarrec

Je ne remettais pas en cause votre bonne foi, évidemment.

Mais je regrette que le pauvret soit toujours en première ligne des critiques sur un système dont il est l'un des produits les plus singuliers et les moins académiques.

C'est vrai, en même temps, qu'il est beaucoup joué ces temps-ci, donc forcément, si l'on entend sa musique, elle est susceptible de plaire comme de ne pas...

Bonne soirée !

6. Le mercredi 23 juin 2010, 23:51 par Papageno

Un pur produit du système...

7. Le samedi 3 juillet 2010, 00:14 par DavidLeMarrec

Pardon, mais je pense que c'est tout de même un bien mauvais procès : oui, il a récolté toutes les consécrations possibles, et dans des domaines aussi variés que le Prix de Rome, les Victoires de la Musique ou l'exécution en concert par Pierre Boulez, toutes choses qui sont d'ordinaire "réservées" à des écoles précises.

Et justement, s'il est ainsi accablé d'honneurs, c'est bien pour une raison simple, que sa musique est excellente.

C'est pourquoi en faire un "pur produit du système", sans être totalement injustifié puisqu'il a eu tous les galons officiels nécessaires, me paraît extrêmement réducteur : Mantovani n'a rien d'un aparatchik de la musique.

Bonne soirée Patrick !