Comment écrire un tube ?

Comment écrire un tube ? Une mélodie, un petite chanson qui va instantanément se fixer dans la tête des auditeurs, leur donner envie de chanter ou de danser (et peut-être même se transformer en virus auditif impossible à oublier). Voilà une question qui a certainement occupé les musiciens pendant de longs siècles, depuis les compositeurs d'opéra jusqu'à ceux qui écrivent les chansons de Johnny ou encore les musique de film. Curieusement elle ne semble guère préoccuper les compositeurs de musique sérieuse ou avant-gardiste, qui semblent avoir depuis longtemps renoncé à donner à faire chanter ou danser leur auditoire, engagés qu'ils sont dans des recherches trop abstraites (ou trop concrètes) sur le son lui-même.

Comment faire, donc ? Quelle est la recette miracle ? Comme l'aurait dit le regretté Pierre Desproges, que Dieu me tripote si je le sais ! Nous voilà en face d'un vrai mystère. L'harmonie, le contrepoint, l'instrumentation, voilà qui s'apprend et qui s'enseigne dans tous les conservatoires; la construction d'une mélodie est un sujet plus délicat, bien que certains compositeurs l'intègrent à leur enseignement (nous y reviendrons dans un autre billet). Construire une ligne mélodique solide, l'harmoniser au poil et l'instrumenter aux petits oignons, tout professionnel sérieux sait le faire. Mais trouver le petit truc tout simple qui fait mouche ? Les plus grands compositeurs comme les autres ont dû s'en remettre au hasard, à la divine inspiration.

Un exemple parmi mille ? Jean Sibelius, s'étant fait copieusement arnaquer par son éditeur au sujet de la Valse Triste (Marc Vignal raconte dans sa biographie qu'avec les droits de cette seule pièce, qui a été jouée des milliers de fois et arrangée pour toutes les combinaisons instrumentales ou presque, il aurait pu gagner très confortablement sa vie jusqu'à la fin de ses jours, au lieu de quoi il a touché une commission modeste à la livraison et plus rien par la suite), Jean Sibelius, disais-je, a essayé d'écrire d'autres Valses; il a tenté de reproduire cette émotion délicate et ambigüe qui se dégage des premières mesures; en vain. Jamais il n'a égalé ce petit chef-d'oeuvre.

D'ailleurs, un musicien qui est en train de trouver un air génial, le sait-il vraiment au moment où il le couche sur le papier ? A-t-il conscience qu'il est en train de faire quelque chose de différent ? Sans doute Mozart, en écrivant le thème qui ouvre sa 40e symphonie en sol mineur, le trouvait plutôt réussi, mais en quoi se distingue-t-il vraiment des thèmes utilisés dans les autres symphonies ? L'analyse est impuissante à l'expliquer (je vous invite néanmoins à lire cet excellent article sur le blog de Djac Baweur  qui abonde en remarques des plus pertinentes sur ladite symphonie).

 

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Heureusement, là où les hommes de l'art se sentent démunis, la science peut prendre le relais. Deux chercheurs britannique et américains prétendent avoir trouvé comment une combinaison de neuroscience, de mathématiques et de psychologie cognitive peut produire l'insaisissable élixir de la parfaite chanson que l'on va tous connaitre par cœur. Je vous laisse un lien vers le résumé (en anglais) de nos professeurs Tournimbus en goguette, car ce n'est pas tous les jours qu'on a l'occasion de se payer une bonne tranche de rigolade. Non contents d'être des champions en maths et en neuroscience (sic), ces grands savants sont aussi infatigables car ils ont observé des milliers des personnes écoutant des milliers de chansons (ce qui fait des millions d'observations, si je sais toujours compter).

Derrière des titres ronflants comme A new approach for understanding musicality se cachent en fait des outils destinés à l'analyse statistique des mélodies (représentées par une base de données de titres de pop anglaise réduits à l'état de fichiers MIDI). L'idée même de faire tourner des moulinettes écrites en R ou en python sur des milliers de chansons pop en espérant en tirer une quelconque information valable est tellement stupide qu'elle se passe de tout commentaire.

L'étude concernant la perception (qu'est ce qu'on retient d'une chanson qu'on a entendu une seule fois ?) est plus intéressante a priori, mais elle souffre aussi de nombreux biais. Pour n'en citer qu'un, toutes les chansons du "top 10" des scientifiques sont également des chansons qui se vendaient très bien, qui passaient beaucoup à la radio, et il est donc très probable que la majorité des gens ayant passé le test les avaient déjà entendues non pas une mais de nombreuses fois, et les connaissent quasiment par coeur à leur insu. Il y a aussi la question du lien entre les paroles et le texte, qui joue un rôle essentiel dans la mémorisation (et qui passe complètement à la trappe si l'on se contente d'une analyse statistique sur les notes).

Pour finir, nos pieds nickelés de la psychologie musicale définissent quatre critères qui permettent selon eux de caractériser une bonne chanson:

  • De longues phrases musicales (en une seule respiration)
  • Des mélodies basées sur un réservoir de notes suffisamment riche
  • Des voix masculines
  • .. de préférence dans l'aigu
Des contre-exemples sont faciles à trouver. Non seulement des tubes qui ne satisfont aucun des critères ci-dessus, mais aussi des mélodies qui les satisfont tous sans que personne ne les sifflote dans la rue (par exemple les airs de ténor du Lulu d'Alban Berg qui sera prochainement donné à l'opéra de Paris).

Un tube c'est une mélodie réussie mais c'est aussi un texte qui fait mouche, qui exprime quelque chose de l'air du temps, qui rencontre son public au bon moment. La notion de "tube" est également relative à un groupe culturel et à un style musical, c'est l'adéquation entre une étincelle créative et les attentes du public. Par nature, un tube est un moment unique, que même ses créateurs ne savent pas reproduire.

Un dernier point, le plus amusant: ces "scientifiques" qui prétendent donner la recette miracle pour écrire des tubes n'ont pas écrit une seule note de musique.

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(terminons par un petit test pour nos lecteurs: arrivez-vous facilement à chanter la ligne de clarinette dans l'extrait musical ci-dessus après une seule audition ?)

Commentaires

1. Le vendredi 14 octobre 2011, 22:03 par Azbinebrozer

Je ne suis pas de ceux qui compilent les tubes. Je n'ai aucun talent pour dépister dans un album les bons titres. Je n'ai pas trop de mémoire, pas plus celle des mélodies. Je suis si peu musicien. Et pour cela, oui je sais le secret du tube !

J'aime la passion où mon tube préféré m'emporte, « Good vibations » ! Si j'aime moins l'action ? Je ne chante pas au dehors. Je suis envahi. Le tube se joue en moi, il me porte et chante toujours une longueur d'avance sur moi. Il s'y rejoue obsédant, brillant. Parfois dans l'émotion je le confonds même avec un autre en un nouveau tube qui ne se joue qu'en moi !

Le tube n'existe alors que dans ce mouvement pour l'atteindre, vers l'extase, comme XTC fut mon groupe préféré. Leur hit le plus connu « Making plan for Nigel » a toujours porté son ennui. Par contre j'espère ne jamais savoir chanter celui-ci : « Love On A Farm Boys Wages » ! ;- )
http://www.youtube.com/watch?v=slGw...
Vous aimez ?

Le tube est c'est sûr insaisissable ! Au moins un instant.