Création d'Yves Chauris par le quatuor Tana

Entendu hier, un mini-concert du quatuor Tana qui donnait les quatuors à cordes n°1 et 2 du compositeur français Yves Chauris à l'occasion d'un vernissage. Le vernissage étant celui de José Lévy à la Galerie NextLevel, et le point commun une résidence des deux artistes à la Villa Kujoyama de Kyoto. Je n'ai pas grand-chose à dire sur l'exposition elle-même qui n'a pas éveillé de sensations particulières en moi. C'est plutôt la musique qui m'avait attiré en ce lieu au coeur du 3e arrondissement qui m'a rappelé quelques souvenirs avec ses rues étroites et ses maisons penchées, en raison de la proximité de Sainte Croix des Arméniens où j'ai donné des concerts.

Le concert a lieu dans la cour du 8 rue Charlot, et se trouve égayé par le rire joyeux d'une enfant de deux ans qui trouve le col legno marrant comme tout, ainsi que par le gros bourdon de quelques motos qui passent dans la rue toute proche.

Le premier quatuor d'Yves Chauris montre assez bien ce qu'on apprend de nos jours au conservatoire de Paris, c'est à dire à travailler essentiellement avec des sons inharmoniques, dans droite ligne de Lachenmann et de sa "musique instrumentale concrète", mais aussi dans une certaine tradition française qui de Debussy à Dutilleux porte une grande attention au son et au timbre. Moult glissandi, sur-aigu, sul pont et col legno, et quasiment pas une seule hauteur que l'oreille puisse identifier comme une note. Tout cela est assez bien maîtrisé, plaisant à voir autant qu'à entendre mais je regrette un peu le parallélisme systématique aux quatre instruments, qui s'engagent bien souvent dans le même geste en même temps, et dans le même sens.

Le deuxième quatuor dont c'était la toute première audition est plus riche en émotions comme en polyphonie. Il est vraiment écrit à quatre voix et témoigne d'une belle maîtrise de l'instrumentation. Il y a des gestes comme le pizzicato de main gauche avec le bois de l'archet posé sur la corde qui me font penser au son sec et un peu nasillard du Shamisen. C'est plutôt bien vu, et joué comme d'habitude avec autant d'enthousiame que d'énergie par les Tana. Leur envie de jouer ensemble, de se plonger corps et âme dans la musique même la plus audaciuse - surtout la plus audacieuse ! - fait vraiment plaisir à voir et à entendre.

L'altiste avec qui j'ai discuté quelques minutes m'a dit qu'ils avaient eu la partition 10 jours avant le concert, ce qui est beaucoup, presque trop, lui ai-je fait remarquer avec un sourire. J'ai connu tellement de créations où la pièce n'était pas vraiment terminée la veille... Maxime Désert a souri également et concédé que la veille encore ils réalisaient des corrections avec le compositeur. Je livre l'anecdote aux lecteurs de ce Journal car elle illustre assez bien la façon dont la création se passe en pratique. Loin du fantasme du compositeur génial et omniscient qui livre des "chefs-d'oeuvre" gravées dans le marbre et destinés à entrer dans le "répertoire", la composition est un processus itératif, expériemental, une interaction entre le compositeur et les interprètes. Est-ce que c'est beau, est-ce que c'est un chef-d'oeuvre, on s'en fiche un peu. La question est plutôt: est-ce que ça me parle ? Quel type d'émotions ça véhicule ?