Antigone et les grenouilles

Pour terminer l’année en beauté, la compagnie de L’Oiseleur nous proposait deux œuvres lyriques d’André Bloch : la cantate Antigone et le conte lyrique Brocéliande.

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La compagnie de L'Oiseleur toute en beautés ce soir-là

 

André Bloch est musicien français qui obtint le Prix de Rome en 1893, fut l’élève de Massenet et plus tard le professeur de Jehan Alain. La cantate Antigone est celle du prix de Rome précisément. Œuvre d’un jeune homme de 20 ans, elle est fort influencée par Verdi et Wagner : un ténor et un baryton héroïques, à grands renforts de fortissimos dramatiques et d’aigus fracassants, se disputent le sort de la belle Antigone (chantée avec beaucoup de grâce par la soprano Marion Gomar), coupable d’avoir apporté une sépulture décente à son frère en bravant l’interdiction du roi. L’un veut la condamner, l’autre veut la sauver, ou bien à défaut d’y parvenir, mourir avec elle. Ces élans emphatiques et furieusement post-romantiques me touchent assez peu, et je leur préfère de loin les passages plus calmes où les harmonies sont magnifiques, des couleurs franckistes qui annoncent Fauré et Ravel. A défaut d’être particulièrement original, cette cantate est de bonne facture, respectueuse des voix bien qu’elle exige beaucoup d’aigus et de puissance. Et comme Mary Olivon fait des miracles en matière de timbres et de couleurs avec seulement dix doigts et un piano, je me surprends à imaginer un orchestre, des violons, des cors, des harpes et des percussions.Après cette mise en bouche, nous écoutons un conte musical écrit par un certain Ferdinand Gregh, contemporain d’André Bloch (1873-1961) et membre de l’Académie française, s’il vous plaît. L’action se situe dans une forêt mythique qui est laissée à l’imagination du spectateur, comme l’indique la récitante:

La scène est dans Brocéliande, immense empire
Où non loin de Perrault on voit errer Shakespeare

Nous assistons au dialogue charmant de 4 grenouilles (Caroline Montier, Véronique Housseau, Mariamielle Lagamat, Mathilde Rossignol) et d’un crapaud au cœur tendre (le ténor Georges Wanis) qui rêve au grand amour malgré son physique disgracieux. Et puis ce sont des fées (les mêmes plus Erminie Blondel) qui caquètent en quintette avant de se cacher. Arrive un ambassadeur (le baryton L’Oiseleur des Longchamps) qui est spécialement mandaté par « le roi Charles-Jean-Paul XXII, Prince du Vague-Empire, duc des Pays-Bleus, Marquis de ça-et-là, comte d’Ailleurs ». Suit un dialogue charmant avec les fées qui se montrent bien peu farouches et acceptent de bon cœur de marrainer la fille du Roi. « Quel bonheur pour mon maître, et quel succès pour moi ! » se réjouit L’Oiseleur en ambassade.

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L'Oiseleur des Longchamps, ambassadeur

Hélas, la fée Carabosse (retour de l'excellente Marion Gomar) qui cachait son vilain nez et son mauvais caractère, apparaît. Elle joue à nous faire peur, aidée par la musique qui se fait plus dissonante et sauvage. Carabosse promet de venger l’outrage sans pareil qui lui est fait ; cependant, si elle veut punir le Roi qui ne l’a pas conviée au baptême, elle n’a pas assez de méchanté pour s'en prendre sérieusement à l’enfant ; ainsi la belle princesse, parée de toutes les vertus par les fées, ne mourra pas : elle dormira seulement pour cent ans. Marion Gomar donne beaucoup de présence à ce personnage qui s’amuse à nous faire peur, mais pas trop. La tessiture n’est pas facile, car il faut de la puissance dans les graves tout en montant assez haut dans l’aigu.

Pour la dernière scène, retour des grenouilles et du crapaud (lequel a été injustement oublié par l’auteur et ne s’est pas transformé en Prince), qui chantent le lever du Soleil qui vient réveiller la forêt comme le Prince charmant réveille la Belle endormie.
 

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Marion Gomar, en fée Carabosse

Écrite en 1925, cette aimable fable chantée joue sur les clichés tant dramatiques que musicaux ; elle a un petit air de déjà-entendu qui la rend facile d’accès et agréable. On sent aussi qu’on a affaire à un musicien qui a du métier et connaît les voix autant que les instruments. Bien sûr, lorsqu’on pense qu’à la même période Schoenberg, Hindemith, Strawinski et Bartok étaient en train de faire péter la baraque et d’inventer le XXè siècle musical en dynamitant la tonalité et la mélodie, on comprend qu’André Bloch n’ait pas trouvé une grande place dans les histoires de la musique. Cela étant posé, ce conte musical charmant et bien troussé trouverait facilement sa place dans le répertoire pas si étendu du théâtre musical à destination du jeune public, et on le reverrait bien volontiers avec la même troupe, un brin de mise en scène, décors et costumes. Pour terminer, il faut saluer avant tout l’énergie et l’enthousiasme de L’Oiseleur des Longchamps et de sa compagnie pour dénicher des œuvres rares et méconnues, réunir une troupe pour les monter en version de concert, et puis faire circuler le spectacle ainsi ressuscité ici et là. Les projets nouveaux foisonnent : le « songe d’une nuit d’été » d’Ambroise Thomas, le « Stabat Mater » de Clémence de Grandval, un concert « Saint Valentin » pour le 14 février…  que de belles découvertes en perspective !