Le journal de papageno - Mot-clé - Eliott CarterLe Journal de Papageno est un blog francophone consacré à la musique classique et contemporaine.2023-08-18T08:55:10+02:00Patrick Loiseleururn:md5:e3d6f6e2ebef7c45d0c5e125b87d9f0aDotclearLe paradis selon Anderson, Carter et Saariahourn:md5:c0990b19a737303afe93757d1fdf4a702011-02-14T23:05:00+01:002017-06-10T14:05:17+02:00Patrick LoiseleurConcertsEliott Carterensemble inter-contemporainJulian AndersonKaija SaariahoXXIe siècle<p>Entendu vendredi dernier à la <a hreflang="fr" href="http://www.cite-musique.fr/">Cité de la musique</a>, un concert de l<a href="http://www.ensembleinter.com/fr/">'Ensemble inter-contemporain</a> donné dans le cadre d'un cycle sur le thème du Paradis.</p> <p>On commence par <em>The Comedy of Change</em> (2009) de <strong>Julian Anderson</strong> dont j'entends la musique pour la première fois. Sept pièces courtes pour douze instruments (quintette à cordes, flûte, clarinette, cor, trompette, harpe, percussion, synthétiseur), inspirées non par un poème roman ou un tableau, mais par un ouvrage scientifique: <em>L'Origine des espèces</em> d'un certain Charles Darwin, comme nous l'explique le compositeur:</p>
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<p><em><q>Les différentes vitesses de changement que l'on peut voir dans la nature - de celui très lent des roches ou des montagnes aux évolutions très rapides chez l'homme et l'animal - m'ont donné l'idée d'écrire une pièce en sept mouvements très contrastés en matière de sonorité, de caractère musical, d'instrumentation, d'harmonie et de ligne mélodique.</q></em></p>
</blockquote>
Contrasté est bien le maître mot. Par moments c'est plutôt bruitiste, par d'autres c'est plutôt spectral, ou sériel, ou encore franchement lyrique. Dans certains passages assez dépouillés, on attend un peu qu'il se passe quelque chose, dans d'autres les motifs lyriques se superposent dans des polyphonies assez denses (à moins qu'ils soient opposés à des motifs rythmiques plus énergiques). Au total sur les 25 minutes on ne s'ennuie pas un seul instant, ce qui est très bon signe, et on ne boude pas son plaisir, mais on chercherait en vain un fil directeur. il y a peut-être des motifs ou des structures qui sont ré-utilisés d'une pièce à l'autre mais dans ce cas ils ne ressortent pas de manière évidente à l'audition.
<p>Suit un intermède d'une dizaine de minutes de musique bruitiste à base de raclements de chaise, roulements de piano, percussions étouffées et claquements de pupitres, au cours duquel je ne puis m'empêcher de penser; faut-il aimer la musique tout de même pour se cogner tous ces changements de plateau en restant poliment assis dans le noir.</p>
<p>Ensuite vient <em>On Conversing with Paradise</em>, écrit en 2008 par un jeune homme qui venait de fêter ses cent ans: <strong>Eliott Carter</strong>, et dont c'est la création française. La notice du compositeur comporte surtout une biographie d'<strong>Ezra Pound</strong>, poète américain qui passa une bonne partie de sa vie en prison et en asile psychiatrique, puis raconte simplement:<br /> </p>
<blockquote><p><em><q>J'ai écrit ma musique sur des vers des <em>Cantos</em> 81 et 120, dans lesquels l'auteur se désespère de ne pas avoir écrit le poème parfait, synonyme pour lui du paradis.</q></em></p>
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C'est le baryton <strong>Leigh Melrose</strong> qui chante ce texte assez noir qui mélange les registres et les styles, mériterait un long billet de blog à lui tout seul. <em>Pull down thy vanity</em>, répète le poète (rabaisse ta vanité), dont le choix à lui seul indique qu'Eliott Carter n'est pas près de céder à la nostalgie ou à la complaisance. Par contraste avec la partie vocale qui est somme toute assez lyrique, l'orchestre où l'on trouve pas moins de cinq percussionnistes produit surtout des sons courts et percussifs, des gestes virtuoses et brefs, à l'exception de quelques notes tenues par les violons dans l'aigu qui n'apportent aucun réconfort. La voix plane donc au-dessus d'un paysage fait de rocs sombres aux arrêtes tranchantes, et la complexité rythmique fait qu'on n'a jamais vraiment l'impression que l'orchestre <em>accompagne </em>le chanteur, au sens classique. Une très grande maîtrise du matériau est évidente, mais je me demande tout de même si Eliott Carter n'aurait pas écrit peu ou prou de la même façon il y a 30 ans. Les musiciens de l'Inter-contemporain, rompus à la musique de Boulez, sont dans celle de Carter comme des poissons dans l'eau.<br /><br />Après l'entracte, on termine par un concerto pour violon de <strong>Kaija Saariaho</strong>, sous-titré <em>Graal théâtre</em> et inspiré par le livre homonyme de<strong> Jacques Roubaud</strong>. C'est <strong>Jeanne-Marie Conquer</strong> qui s'y colle et ses camarades qui l'accompagnent dans une orchestration réduite (les cordes vont par par deux alors que la version originale est pour orchestre symphonique). La compositrice finlandaise nous raconte:<br /><blockquote>
<p><em><q><em>Graal théâtre</em> fait figure d'exception parmi une longue série de pièces dans lesquelles je mêle instruments acoustiques et dispositifs électroniques de tous types. Mon point de départ était ici la sonorité délicate du violon et son interaction avec l'orchestre.</q></em></p>
</blockquote>
Partant d'un motif assez simple qui évoque sol mineur, les phrases de violons s'élèvent en volutes successives. Le but est bien évidemment de m'hypnotiser, mais pour une raison qui m'échappe, le charme ne fonctionne pas cette fois-ci. Peut-être est-ce simplement la fatigue de la fin de semaine qui m'empêche d'aller au-delà d'une écoute seulement analytique. Le retour obsessionnel sur les les cordes à vides sol - ré et les maniérismes de style spectral finissent même par m'agacer légèrement. Le jeu de Jeanne-Marie Conquer est parfait, un peu trop parfait même, il n'y manque peut-être que la fragilité ou la délicatesse dont rêvait la compositrice. Une compositrice dont je suis un grand fan par ailleurs, je vous invite à découvrir par exemple le <q>Mystère de l'instant</q> chanté par Karita Mattila qui me donne des frissons partout:
<p>Ce concert sera diffusé sur <a hreflang="fr" href="https://www.journaldepapageno.fr/index.php/post/2011/02/14/www.francemusique.com/">France Musique</a> le 21 mars prochain (et sans doute disponible en podcast à la même date).</p>