Le journal de papageno - Mot-clé - théorieLe Journal de Papageno est un blog francophone consacré à la musique classique et contemporaine.2023-08-18T08:55:10+02:00Patrick Loiseleururn:md5:e3d6f6e2ebef7c45d0c5e125b87d9f0aDotclearComment écrire une symphonie avec trois notes (remarques sur la Cinquième de Vaughan Williams)urn:md5:0a47f785ab145d15baf3dca233d9bd372015-07-05T17:07:00+02:002015-07-10T17:47:46+02:00Patrick LoiseleurThéorie musicaleanalysecompositionforme sonatemusicologiemusique anglaisemélodiesymphoniethéorie<p>La scène se passe à Londres en novembre 1937. Tandis qu'un brouillard épais et glacé recouvre la ville, dans l'ambiane feutrée et capitonnée du <em>St Regent Composer's Club</em>, le digne Sir Vaughan-Williams finissait un excellent whisky écossais en compagnie de son vieil ami David S, musicologue. Partie des sujets d'actualité, la conversation arriva sur la musique dodécaphonique:</p> <blockquote>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;">- Mais si, je vous assure ! Ce musicien allemand qui a fui les nazis comme tant d'autres, et s'appelle Arnold Schoenberg, prétend qu'une série de 12 notes suffit à engendrer toute la musique. Et que le nouveau procédé de composition qu'il a inventé va régner sans partage pour les cent ans à venir. 12 notes, seulement, c'est incroyable.</p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;">- <em>Rubbish ! </em>12 notes, c'est beaucoup trop, on n'a pas besoin d'un matériau de départ aussi fourni...</p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;">- Mon ami, auriez-vous perdu la tête ? Vous prétendez qu'on peut faire moins encore ?</p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;">- À dire vrai, cher David, même 6 notes c'est encore beaucoup trop, dit Ralph Vaughan-Williams avec le fin sourire de celui qui a compris une bonne blague mais se gardera bien de vous l'expliquer.</p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;">- Je ne vous suis pas, et pourtant je connais vos compositions mieux que quiconque ! Que faut-il donc pour écrire un quatuor, ou disons plutôt, une symphonie ?</p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;">- Eh bien... le regard de Vaughan-Williams se fit soudain rêveur, comme si l'inspiration commençait à le visiter... je vous parie qu'avec 3 notes seulement, je puis écrire une symphonie entière</p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;">- <em>Three notes ? Thanks Goodness ! This is madness !</em></p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;"><em>- </em>Et pour corser le pari, je vais choisir ces notes ici même, devant vous.</p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;">Hélant le maître d'hôtel, le compositeur britannique lui demanda:</p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;">- Georges, mon ami, je crois bien savoir que vous avez trois neveux ?</p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;">- Oui, monsieur</p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;">- Pourrais-je pousser l'impolitesse jusqu'à vous demander leurs prénoms ? N'y voyez rien de personnel, il s'agit d'un simple pari.</p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;">- Charles, Dwight, et Fanny, monsieur</p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;">- Merci infiniment, Georges. Vous ne pouvez pas savoir à quel point vous venez de me rendre service.</p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;">Grifonnant une portée de 5 lignes sur une serviette en papier, Ralph Vaughan-Williams nota les trois notes Do, Ré, Fa (C, D, F) et tendit la serviette à son ami perplexe.</p>
</blockquote>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;">Cette histoire parfaitement authentique, qui m'a été rapporté par l'ex-petite amie de l'arrière-petit-fils du maître d'hôtel en question, est d'une importance musicologique capitale car elle éclaire la construction de cette symphonie d'un jour nouveau. Elle nous permet également de montrer le travail du compositeur dont la réalité quotidienne est bien loin de correspondre aux poncifs romantiques sur l'inspiration et le génie.</p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;"><span style="line-height: 20.8000011444092px;">Ce fameux motif, tel que Vaughan-Wliiams l'utilise dans la Cinquième Symphonie, se compose de deux intervalles plutôt que de trois notes: la quarte et la seconde majeure.</span></p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;"><img alt="1.png" class="media" src="https://www.journaldepapageno.fr/public/exemples/vaughan_williams/.1_s.png" style="margin: 0 auto; display: block;" title="1.png, juil. 2015" /></p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;">La tierce mineure n'apparaît en quelque sorte que par accident, ou plutôt comme combinaison des deux premiers. Ce que nous allons voir surtout c'est l'incroyable diversité des couleurs, des lignés mélodiques et des textures que Ralph Vaughan-Wliiams construit avec cette cellule de base.</p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;"><span style="line-height: 20.8000011444092px;">Les minutages des exemples que nous fournissons sont relatifs à <a href="https://youtu.be/q9YoEETzYsE">cette vidéo réalisé lors du festival BBC Proms </a>où la symphonie ne commence qu'à <a href="https://youtu.be/q9YoEETzYsE?t=1m43s">1:43</a>. Au tout début de la symphonie, on entend l'appel de deux cors au-dessus d'une pédale de do:</span></p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;"><span style="line-height: 20.8000011444092px;"> <a class="media-link" href="https://www.journaldepapageno.fr/public/exemples/vaughan_williams/2.png"><img alt="2.png" class="media" src="https://www.journaldepapageno.fr/public/exemples/vaughan_williams/.2_m.png" style="margin: 0 auto; display: block;" title="2.png, juil. 2015" /></a></span></p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;"><span style="line-height: 20.8000011444092px;">Les commentaires ont bien sûr souligné l'ambiguïté tonale (est-on en do ? en ré ? en sol ? en la mineur ? dans un mode mixolydien ?) mais ce n'est pas le plus important. En fait, comme Bartok ou Strawinsky, Vaughan Williams utilise dans cette symphonie des couleurs harmoniques qui sont <em>engendrées</em> par le travail sur les motifs, et non par un schéma de progression tonale comme c'est le cas dans la musique classique et romantique. Donc on s'en fiche un peu de savoir si on est en do ou en ré, en mineur ou en majeur, ou dans un autre mode. Ce qui compte en revanche est la quarte augmentée ou triton (do-fa#) qui sonne comme une question.</span></p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;"><span style="line-height: 20.8000011444092px;">Cette question, ce sont les violons qui y répondent à <a href="https://youtu.be/q9YoEETzYsE?t=1m53s">1:53</a> avec un motif mélodique composé de ... ? Je vous le donne en mille ! des quartes et des secondes majeures:</span></p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;"><span style="line-height: 20.8000011444092px;"><a class="media-link" href="https://www.journaldepapageno.fr/public/exemples/vaughan_williams/3.png"><img alt="3.png" class="media" src="https://www.journaldepapageno.fr/public/exemples/vaughan_williams/.3_m.png" style="margin: 0 auto; display: block;" title="3.png, juil. 2015" /></a></span></p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;"><span style="line-height: 20.8000011444092px;">La parenté avec le motif générateur do-ré-fa est évidente, mais il faut noter également la grande liberté du compositeur qui décompose et recompose ce motif, semble jouer avec (et avec les oreilles de l'auditeur: la quarte est un intervalle très caractéristique que même les jeunes enfants ou les animaux peuvent reconnaître, ainsi que des expériences l'ont montré: je prétends donc que même un auditeur qui n'a pas la moindre notion de solfège pourra identifier ce travail sur les motifs).</span></p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;">Ces premières mesures baignent dans une atmosphère méditative savamment créée par plusieurs élements: une longue note-pédale aux basses, des motifs très simples et une orchestration très dépouillée, des harmonies "vides" (le "mi" qui formerait une tierce avec la note de basse est soigneusement évité). Un certain parallèle avec le début de la première de Malher est possible</p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;">Après cette petite mise en bouche, nous entendons notre fameux motif C-D-F (à <a href="https://youtu.be/q9YoEETzYsE?t=2m22s">2:22</a>) dynamisé par un rythme pointé, prolongé par un ligne mélodique descendante à base de quartes et secondes majeures, présenté en canon:</p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;"><a class="media-link" href="https://www.journaldepapageno.fr/public/exemples/vaughan_williams/4.png"><img alt="4.png" class="media" src="https://www.journaldepapageno.fr/public/exemples/vaughan_williams/.4_m.png" style="margin: 0 auto; display: block;" title="4.png, juil. 2015" /></a></p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;">Après un long début en ré mineur (sans contradiction avec le fa# entendu initialement au cor), lorsqu'on module brusquement en fa mineur à <a href="https://youtu.be/q9YoEETzYsE?t=3m51s">3:51</a>, on retrouve sous forme de secondaire au cor et basson:</p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;"><a class="media-link" href="https://www.journaldepapageno.fr/public/exemples/vaughan_williams/8.png"><img alt="8.png" class="media" src="https://www.journaldepapageno.fr/public/exemples/vaughan_williams/.8_m.png" style="margin: 0 auto; display: block;" title="8.png, juil. 2015" /></a>Un motif proche de celui des violons au tout début, à base de quarte et de seconde majeure, bien entendu.</p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;"><span style="line-height: 20.8000011444092px;">Le plan général de ce premier mouvement est une forme sonate bi-thématique, et nos lectrices sont bien trop avancées en analyse pour qu'il soit nécessaire de détailler son plan. Nous remarquerons simplement que le deuxième thème (</span><a href="https://youtu.be/q9YoEETzYsE?t=4m54s" style="line-height: 20.8000011444092px;">4:54</a><span style="line-height: 20.8000011444092px;">) est bien sûr une autre variation, en mi majeur, sur le même motif fondamental:</span></p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;"><a class="media-link" href="https://www.journaldepapageno.fr/public/exemples/vaughan_williams/5.png"><img alt="5.png" class="media" src="https://www.journaldepapageno.fr/public/exemples/vaughan_williams/.5_m.png" style="margin: 0 auto; display: block;" title="5.png, juil. 2015" /></a></p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;">Plus loin lors d'un passage plus énigmatique en do mineur naturel (c'est à dire avec un septième degré abaissé, vous suivez toujours dans le fond ?), on retrouve bien sur notre motif favori, utilisé non plus pour construire des mélodies mais pour fabriquer une texture polyphonique aux cordes. Une sorte d'équivalent musical des <a href="http://xavier.hubaut.info/coursmath/doc/pavages.htm">pavages de M.C. Escher</a> si vous voulez, dont voici un fragment:</p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;"><a class="media-link" href="https://www.journaldepapageno.fr/public/exemples/vaughan_williams/6.png"><img alt="6.png" class="media" src="https://www.journaldepapageno.fr/public/exemples/vaughan_williams/.6_m.png" style="margin: 0 auto; display: block;" title="6.png, juil. 2015" /></a></p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;">Un peu plus loin, dans un passage en fa# mineur à <a href="https://youtu.be/q9YoEETzYsE?t=7m43s">7:43</a>, le même motif apparaît à la fois dans la ligne mélodique confiée aux bois et dans la texture des cordes:</p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;"><a class="media-link" href="https://www.journaldepapageno.fr/public/exemples/vaughan_williams/7.png"><img alt="7.png" class="media" src="https://www.journaldepapageno.fr/public/exemples/vaughan_williams/.7_m.png" style="margin: 0 auto; display: block;" title="7.png, juil. 2015" /></a></p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;">Mais vous commencez à le reconnaître du premier copu d'oeil ou d'oreille, il est donc inutile que je donne une liste de toutes ces métamorphoses.</p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;">Fort bien, me direz-vous, mais ça n'est que le premier mouvement ! Engendrer les thèmes principaux et secondaire d'un allegro de forme sonate à partir du même motif de base, c'est ce que fait Beethoven dans sa Cinquième avec le célèbre pom-pom-pom-pom, non ? Bien sûr vous avez raison, quelle comparaison judiciseuse. Mais jetons un coup d'oeil au scherzo qui commence en <a href="https://youtu.be/q9YoEETzYsE?t=13m30s">13:30</a>:</p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;"><a class="media-link" href="https://www.journaldepapageno.fr/public/exemples/vaughan_williams/9.png"><img alt="9.png" class="media" src="https://www.journaldepapageno.fr/public/exemples/vaughan_williams/.9_m.png" style="margin: 0 auto; display: block;" title="9.png, juil. 2015" /></a>Des quartes, et puis notre motif do-ré-fa (transposé d'un ton: ré-mi-sol). Bingo ! Mais ce n'est pas tout. Alors que l'unisson des cordes s'est progressivement transformé en une riche texture polyphonique, toujours pianissimo et en sourdine, une ligne mélodique apparaît aux bois (<a href="https://youtu.be/q9YoEETzYsE?t=13m50s">13:50</a>), se détachant très nettement de la masse fluide des cordes:</p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;"><a class="media-link" href="https://www.journaldepapageno.fr/public/exemples/vaughan_williams/10.png"><img alt="10.png" class="media" src="https://www.journaldepapageno.fr/public/exemples/vaughan_williams/.10_m.png" style="margin: 0 auto; display: block;" title="10.png, juil. 2015" /></a>Ce sont non pas une mais deux occurences de notre motif fétiche qu'on reconnaît: mi-sol-la (on ignore le fa qui n'est là que pour du remplissage mélodique) et la-do-ré (avec une inversion de la tierce en sixte pour tromper l'ennemi). Re-bingo !</p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;">Comme de juste, notre ami Ralph a également utlisé ce motif pour des fusées descendantes rapides:</p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;"><a class="media-link" href="https://www.journaldepapageno.fr/public/exemples/vaughan_williams/11.png"><img alt="11.png" class="media" src="https://www.journaldepapageno.fr/public/exemples/vaughan_williams/.11_m.png" style="margin: 0 auto; display: block;" title="11.png, juil. 2015" /></a></p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;">L'ensemble a une couleur pentatonique (basée sur la gamme la-do-ré-mi-sol) mais à mon humble avis cela ne provient pas d'une volonté de donner une couleur orientale ou exotique mais plutôt du travail motivique et contrapunctique qui engendre naturellement ces harmonies. Elles sont fortement consonnantes mais pas vraiment tonales: on trouve d'ailleurs dans cette symphonie fort peu de formules toutes faites comme des cadences parfaites, quartes et sixtes, préparation ou résolution de septièmes et neuvièmes. Mais là je sens que l'attention de certains d'entre vous se relâche avec ces considérations techniques. Rien de tel que l'intervention inopportune et quelque peu nasillarde du hautbois et du cor anglais à <a href="https://youtu.be/q9YoEETzYsE?t=14m25s">14:25</a> pour nous réveiller:</p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;"><a class="media-link" href="https://www.journaldepapageno.fr/public/exemples/vaughan_williams/12.png"><img alt="12.png" class="media" src="https://www.journaldepapageno.fr/public/exemples/vaughan_williams/.12_m.png" style="margin: 0 auto; display: block;" title="12.png, juil. 2015" /></a></p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;">Intéressant ! Voilà enfin un motif qui semble échapper à ... en fait il n'y échappe pas vraiment, c'est une diminution de notre motif sous la forme fa bémol - mi bémol - do. La <em>quarte diminuée</em>, voilà un intervalle qu'on pourrait croire réservé au manuels de solfège pour un usage purement académique mais il semble bien dans le cas présent le motif principal reste assez clairement discernable à l'oreille après cette altération. C'est particulièrement clair à un endroit comme <a href="https://youtu.be/q9YoEETzYsE?t=16m44s">16:44</a> où le motif avec quarte diminuée est suivi du motif avec quarte juste. On peut analyser ce massage comme une harmonie de do mineur et majeur mélangés, mais selon moi ce serait passer à côté de l'essentiel. Encore un point gagnant pour Vaughan Williams ! <span style="line-height: 20.8000011444092px;">La démonstration est magistrale et brillante, c'est un vrai feu d'artifice qu'il fait jaillir de ces trois notes. </span>Exercice laissé au lecteur: recenser t<span style="line-height: 20.8000011444092px;">ous les thèmes secondaires du scherzo et montrer comment ils sont apparentés au motif principal. </span></p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;">Nous voici parvenu au début du mouvement lent. Les cordes divisées en pas moins de 16 parties énoncent le début d'un choral pianissimo:</p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;"><a class="media-link" href="https://www.journaldepapageno.fr/public/exemples/vaughan_williams/13.png"><img alt="13.png" class="media" src="https://www.journaldepapageno.fr/public/exemples/vaughan_williams/.13_m.png" style="margin: 0 auto; display: block;" title="13.png, juil. 2015" /></a>Nous voici dans un autre monde, me direz-vous, bien loin de ce jeu motivique avec trois notes ! Oui, mais regardez la ligne des contrebasses: do-la-sol. Et l'harmonie s'explique comme trois accords parfaits sous forme fondamentale: do (majeur), la (majeur), sol (mineur). Un hasard ? Franchement, le hasard, vous y croyez encore, après tout ce que je vous ai montré ? Et vous croyez aussi au père Noël ? Et au fonctionnement démocratique de la Commission Européenne ?</p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;">Cela étant dit, le mouvement lent comporte en fait le seul thème saillant qui ne soit pas relié au motif principal. Il s'agit en fait d'un emprunt à l'opéra <em>Pilgrim's Progress </em>(<a href="https://youtu.be/q9YoEETzYsE?t=19m15s">19:15</a> au cor anglais) qui se trouve en quelque sorte invité dans la Romance. La majeure partie de celle-ci n'en est pas moins constitué d'un magnifique travail polyphonique avec les cordes, dont tous les motifs sont construits avec des quartes et des secondes majeures. De la belle ouvrage, vraiment, et là encore on voudrait citer chaque mesure ou presque.</p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;">Et lorsque les violoncelles démarrent la<em> Passacaille</em> qui constituent le mouvement final, le thème de celle-ci a comme un air familier à nos oreilles, bien que nous le découvrions. C'est un peu comme faire connaissance de la soeur d'une personne que nous connaissons bien, son visage nous rappelle immédiatement quelque chose:</p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;"><a class="media-link" href="https://www.journaldepapageno.fr/public/exemples/vaughan_williams/14.png"><img alt="14.png" class="media" src="https://www.journaldepapageno.fr/public/exemples/vaughan_williams/.14_m.png" style="margin: 0 auto; display: block;" title="14.png, juil. 2015" /></a>ainsi que le thème des violons:</p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;"><a class="media-link" href="https://www.journaldepapageno.fr/public/exemples/vaughan_williams/15.png"><img alt="15.png" class="media" src="https://www.journaldepapageno.fr/public/exemples/vaughan_williams/.15_m.png" style="margin: 0 auto; display: block;" title="15.png, juil. 2015" /></a></p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;">Lors de la création de cette belle symphonie, dédiée "sans permission" à Jean Sibelius, Ralph Vaughan Williams connut un franc succès (qui ne s'est pas démenti depuis) et il fut gratifié d'une chaleureuse poignée de main de son ami musicologue qui reconnut humblement: v<em>ous aviez raison, cher ami ! Je n'ai jamais eu autant de joie à perdre un pari.</em></p>
<p style="line-height: 20.8000011444092px;">Ce qu'il me paraît important de souligner avant de conclure est que la génération de ces motifs n'obéit pas à quelque règle fixée à l'avance et appliquée de façon mécanique (ainsi qu'on pourrait le faire avec un programme informatique). Au contraire, Vaughan Williams utilise ce motif de base avec la plus grande liberté: à l'endroit, à l'envers, mélangé, comme une harmonie, comme une mélodie ou comme élement de construction d'une texture. Il ajoute des notes, renverse ou altère les intervalles, selon ce que son instinct lui dicte. Il en résulte une famille de thèmes qui sonnent de façon naturelle et élégante tout en gardant un air de famille très prononcé. L'impression d'unité qui saisit l'auditeur d'un bout à l'autre de ces 40 minutes de voyage musicale ne doit rien au hasard, et tout au travail méthodique mais inventif d'un artiste. Le plus bel hommage qu'on puisse lui rendre est peut-être d'arrêter là notre bavardage, et de faire silence pour l'écouter vraiment.</p>Tour à Tour de Philippe Hurel à la maison de la Radiourn:md5:ecf813b83253bef100c2758ec3dc33102015-06-10T19:03:00+02:002019-02-15T00:56:43+01:00Patrick LoiseleurConcertscréationfestivalIRCAMMaison de la radiomusique contemporainemusique françaisemusique sérielleorchestrePascal DusapinPhillippe Hurelthéorie<p>Entendu le 5 juin dernier dans le très bel auditorium de la Maison de la Radio à Paris, <em>Tour à Tour</em> de Philippe Hurel, ambitieuse partition symphonique de 60 minutes présentée dans le cadre du festival Manifeste de l'IRCAM.</p> <p>J'au eu le grand plaisir d'y retrouver, de façon fortuite, Julien Leroy, chef d'orchestre, qui travaille actuellement avec l'ensemble intercontemporain entre autres (nous l'avions entendu aux <a href="https://www.journaldepapageno.fr/index.php/post/2014/04/09/Te-craindre-en-ton-absence">Bouffes du Nord</a> récemment). Il m'apprend que l'an prochain il dirigera le Philharmonique de Radio France pour le festival Présences, et nous tombons vite d'accord: quel magnifique orchestre, dont les virtuoses se dédient corps et âme à la musique de tous les styles avec un sérieux et une abnégation dignes des meilleurs orchestres allemands.</p>
<p>Quant à la monumentale composition de Philippe Hurel, <em>Tour à Tour</em>, j'en retire des impressions mitigées. Elle me donne la sensation que le style sériel, après le temps des pionniers (Schoenberg, Webern) puis l'âge classique dans les années 1950-1960 (Boulez, Berio, Carter), est entré dans son âge baroque où l'overdose de raffinement annonce sa fin prochaine. On pourrait résumer ainsi ses principales caractéristiques à l'oreille:</p>
<ul><li>rythmiquement, un alternance de mouvements très rapides et de notes tenues très longues</li>
<li>harmoniquement, pas ou peu d'accords où d'arpèges qui évoqueraient la musique tonale</li>
<li>une grande attention portée au timbre et au techniques instrumentales</li>
<li>des contrastes de dynamique abrupts (fortissimo / pianissimo)</li>
<li>pas ou peu de place pour la voix</li>
<li>pas de lignes mélodiques simples qu'on pourrait mémoriser ou chanter facilement</li>
<li>l'émancipation de la dissonnance, </li>
</ul>
<p>Nos lectrices ont bien noté que je ne mentionne pas la technique dodécaphonique, et c'est à dessein: Schoenberg lui-même ne l'a pas employé dans ses premières oeuvres atonales comme le<em> Pierrot lunaire</em> ou <em>Erwartung</em>, et ses successeurs ont bien vite cherché d'autres techniques d'écriture sérielles, comme les <a href="http://www.philippemanoury.com/?p=5025" hreflang="fr">grammaires musicales génératives</a> de Philippe Manoury. </p>
<p>Il est sans doute injuste de parler en quelques mots d'une partition énorme, qui fourmille de détails et a certainement demandé des mois de travail à son auteur (sans compter la bande-son additionnelle du second mouvement concoctée à l'IRCAM). Philippe Hurel est de toute évidence un musicien qui sait écrire et qui sait orchestrer. Mais je ne pouvais me départir de l'impression que le filon mis au jour par Schoenberg avec sa <em>Symphonie de Chambre</em> il y un siècle (en 1913 pour être précis) est maintenant épuisé: qu'il s'est montré excessivement passionnant et fertile tout au long du XXe siècle mais qu'il appartien désormais aux épigones, et qu'il est maintenant temps de se tourner vers autre chose. La bande magnétique diffusée en même temps que l'orchestre, comme une sorte de soliste robotique dialoguant avec lui, c'était amusant à l'époque des premiers magnétophones, à l'époque où Varèse présentait <em>Déserts</em> au public parisien médusé et furieux, ça sonne un peu daté aujourd'hui. On s'agace même un peu de voir les musiciens immobiles, attendant sagement la fin d'une séquence pré-enregistrée. La musique n'est-elle pas l'art du mouvement, de l'interaction, de la danse ? </p>
<p>Autre chose me direz-vous mais quoi ? L'électronique qui retravaille en temps réel le son me paraît une piste plus prometteuse. C'est d'ailleurs un domaine où la musique populaire a pris une considérable avance sur la musique savante. Même s'ils n'ont jamais pris de leçons de contrepoint ou d'orchestration, les musiciens d'un groupe de hard rock en connaissent au fond bien plus sur l'art de travailler les sons avec les outils électroniques et informatiques que la plupart des compositeurs issus du conservatoire, même ceux qui ont complété leur formation à l'IRCAM. Tout simplement parceque les musiciens rock font ça tous les jours avec leurs petits doigts, leur approche est instrumentale avant d'être intellectuelle. (Il y a des exceptions naturellement: je pense par exemple à la passionnante Partita de Manoury pour alto et électronique qui intègre vraiment bien un outil électronique bien maîtrisé et l'écriture instrumentale).</p>
<p>Quoi d'autre ? Peut-être le retour de la voix au centre de la scène ? L'invention de nouveaux instruments électro-acoustiques ? Le retour à une forme de simplicité et de dépouillement, sans tomber pour autant dans le néo-tonal bête et méchant ? La réunification des rôles entre compositeur et interprète ? De nouvelles formes de création collectives et participatives, mettant à mal le mythe du créateur génial dans sa tour d'ivoire ? Une dose d'improvisation dirigée ? La réutilisation des musiques existantes passées à la moulinette, remixées, filtrées, superposées, détournées, réinterprétées ? La fin de l'orchestre symphonique traditionnel dont Stockhausen trouvait à juste titre que c'est un réservoir de sonorités trop fermé ?</p>
<p>Si j'étais occupé à méditer sur ces questions générales, c'est que, vous vous en doutez, la pièce de Philippe Hurel n'a pas su capter toute mon attention de bout en bout, malgré l'excellente opinion que j'ai de lui basée sur d'autres pièces. Le premier mouvement m'a paru de bonne facture mais sans grande originalité. Il alterne les moments assez linéaires (avec un seul instrument ou un accord tenu) et les moments très rapides qui mobilisent tous les pupitres, les cordes divisées, les percussion, toutes les ressources de l'orchestre avec une telle densité d'évènements qu'on ne perçoit que des effets de masse, un peu comme dans les <em>Solos</em> de Dusapin. Dans le deuxième mouvement, l'interaction entre l'orchestre et l'électronique ne m'a pas tellement emballé. Le troisième mouvement est sans doute celui qui m'a le plus séduit, avec des couleurs spectrales qui pouvaient faire penser à Grisey par moments.</p>La fugue d'école: une antisèche en sept pointsurn:md5:1c353e4a383c47f94fd1c0da5370fd222009-02-16T22:29:00+01:002017-05-19T10:24:00+02:00Patrick LoiseleurCompositionscréationfuguepianothéorie<p>Comment écrire une fugue d'école ? Pour commencer on peut improviser un petit prélude:</p>
<div style="text-align: center;">
<audio controls preload="auto">
<source src="https://www.journaldepapageno.fr/public/fugue/Adagio_Prelude_et_Fugue__extrait_.mp3">
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Lecteur audio intégré</object>
</audio>
</div>
<p>Avant de travailler à la fugue proprement dite, on n'oublie pas de regarder à nouveau le très comique et très sérieux <a href="http://www.youtube.com/watch?v=5s4TKOaUZ7c" hreflang="en">So You Want To Write a Fugue</a> de Glenn Gould. Puis on fait comme dans le manuel:</p>
<p>1. On choisit un sujet (ici en notes répétées d'un rythmes assez énergique)
<img src="https://www.journaldepapageno.fr/public/fugue/fugue1.png" alt="fugue1.png" style="display:table; margin:0 auto;" />
2. Et un contre-sujet qui forme un contraste (ici des croches liées). Comme toute bonne mélodie, elle progresse par degrés conjoints, c'est à dire des petits morceaux de gammes ascendantes ou descendantes:
<img src="https://www.journaldepapageno.fr/public/fugue/fugue3.png" alt="fugue3.png" style="display:table; margin:0 auto;" />
3. Les voix rentrent une par une en répétant le sujet. C'est là bien sûr qu'il faut essayer de se rappeler ce qu'on a appris en cours d'harmonie sur les quintes parallèles, la résolution de la septième et les broderies de notes de passages échappées du zoo. Lorsqu'on arrive à quatre voix, ça commence à se corser pour le pianiste:
<img src="https://www.journaldepapageno.fr/public/fugue/fugue2.png" alt="fugue2.png" style="display:table; margin:0 auto;" />
4. Lorsqu'on s'est lassé du thème à l'endroit, on peut tenter l'inversion (ou encore le rétrograde, en lisant les notes de droite à gauche, ou même le rétrograde inverse)
<img src="https://www.journaldepapageno.fr/public/fugue/fugue4.png" alt="fugue4.png" style="display:table; margin:0 auto;" />
5. Enfin, puisque la consigne est d'écrire dans le style de César Franck, on tente une modulation sauvage par enharmonie qui nous emmène en fa dièse mineur (la tonalité la plus éloignée d'ut mineur si l'on suit le cycle des quintes):
<img src="https://www.journaldepapageno.fr/public/fugue/fugue5.png" alt="fugue5.png" style="display:table; margin:0 auto;" />
6. Lorsqu'on approche de la conclusion, une petite strette avec quatre entrées du thème principal dans un mouchoir de poche:
<img src="https://www.journaldepapageno.fr/public/fugue/fugue6.png" alt="fugue6.png" style="display:table; margin:0 auto;" />
7. Pour finir, le contre-sujet au ralenti et en canon au voix intérieures, qui nous conduit à l'inoxydable <q>tierce Picarde</q>:
<img src="https://www.journaldepapageno.fr/public/fugue/fugue7.png" alt="fugue7.png" style="display:table; margin:0 auto;" />
Et avant d'aller dormir, faute d'avoir assez dix doigts dans chaque main et le multi-plexage neuronal intégré qui permettrait de jouer la fugue sans erreur, on écoute la maquette midi:</p>
<div style="text-align: center;">
<audio controls preload="auto">
<source src="https://www.journaldepapageno.fr/public/fugue/Prelude_and_Fugue_in_c__fugue_.mp3">
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Lecteur audio intégré</object>
</audio>
</div>
<p>Réjouissez-vous, amis pianistes et scola-fuguophiles, car la <a href="http://www.scoreexchange.com/scores/76998.html" hreflang="fr">partition en PDF</a> de ce chef-d'oeuvre impérissable est en ligne sur le site Tamino Productions, et ce gratuitement.</p>Toujours plus fort !!urn:md5:e1cdd699f8a0eb4bbea04a2468f7f5e32009-02-15T22:51:00+01:002017-05-19T10:18:12+02:00Patrick LoiseleurThéorie musicalehistoire de la musiqueJules Vernessciencethéorie <p>S'il fallait résumer l'évolution de la musique occidentale depuis le moyen âge, il est probable que trois mots suffiraient: toujours plus fort !! Donnons quelques repères historiques:</p>
<ul>
<li><strong>Paris, le 15 août 1728</strong>. Marin Marais, musicien de la chambre du Roy, décède à l'âge de soixante-treize ans. C'était un des grands maîtres de la viole de gambe, et sans doute l'un des derniers. Il aura vu la viole progressivement remplacée dans la musique savante par un instrument criard au son agressif qu'on croyait réservé au danses du peuple: le violon. Lorsqu'il meurt, il le sait, il est déjà trop tard, l'aristocratique viole ne plaît plus qu'à quelques nostalgiques. Des poèmes satiriques moquent son embonpoint, ses soupirs asthmatiques et plaintifs. La famille tout entière des violes (dessus de viole, viole d'amour, taille, viole de gambe) est amenée à disparaître, sauf la contrebasse de viole qui a curieusement survécu dans l'orchestre symphonique.</li>
</ul>
<ul>
<li><strong>Londres, 1768</strong> Jean-Chrétien Bach connaît à Londres un grand succès avec des concerts donnés sur le <strong>fortepiano</strong> de Zumpe, un instrument où les cordes sont frappées par des marteaux et dont le son est plus puissant et projette mieux que le clavecin ou le clavicorde. Le principe a été inventé par le facteur italien Cristofori dans les années 1720, importé en Allemagne par Silbermann, dont les instruments ont été vivement critiqués par le père de Jean-Chrétien Bach (un certain Jean-Sébastien...). D'un prix abordable, les pianoforte carrés de Zumpe se vendent comme des petits pains à la classe moyenne anglaise. Les jours du clavecin sont comptés, il ne survivra pas au XVIIIe siècle.</li>
</ul>
<ul>
<li><strong>Paris, 1821</strong>: un facteur d'instruments du nom d'Erard dépose le brevet du <q>double échappement</q>, une petite révolution dans le monde des instruments à clavier. L'invention d'Erard permet davantage de nuances (le pianissimo et le fortissimo s'ajoutent au piano-forte). Elle résout certains problèmes techniques comme la répétition rapide de la même note. Avec une table d'harmonie plus grande, la généralisation de la pédale qui permet de lever tous les étouffoirs d'un seul coup, des cordes plus grosses et plus longues, le piano moderne est né. Un enfant prodige du clavier sera chargé d'en faire la réclame: Franz Liszt. Lors des tournées dans toute l'Europe du célèbre virtuose, le facteur parisien mettra gratuitement un piano Erard à sa disposition. La presse parisienne ironise sur la furie lisztienne, qui casse corde et marteaux et chavire le public sous un déluge de triples croches. Mais Chopin, Brahms et les autres vont s'approprier l'instrument-roi de la seconde moitié du XIXe siècle, dont la puissance peut rivaliser avec l'orchestre. Le piano n'a cessé de devenir plus gros, plus lourd, plus puissant depuis 1840, au point de susciter <a href="https://www.journaldepapageno.fr/index.php/post/2008/09/28/Je-hais-le-piano">réactions épidermiques et autres problèmes de voisinage</a>. Qui a dit que la musique adoucissait les moeurs ?</li>
</ul>
<p><img src="https://www.journaldepapageno.fr/public/images/berlioz_caricature_150.jpg" alt="berlioz_caricature_150.jpg" style="display:table; margin:0 auto;" title="berlioz_caricature_150.jpg, fév 2009" /></p>
<ul>
<li><strong>Vienne, 1846</strong>: Hector Berlioz, en tournée à Vienne, reçoit un accueil mitigé. Les Viennois, déjà très conservateurs à l'époque, s'ils ne peuvent que reconnaître le génie de Berlioz, trouvent sa <em>Symphonie Fantastique</em> et son <em>Roméo et Juliette</em> trop éloignés du modèle beethovénien. La marée débordante des violons, le rugissement des cuivres, la bombardement des percussions: c'est tellement moderne ! Dans ces mémoires Berlioz cite un échange avec le prince de Metternich (ambassadeur):
<ul>
<li>C'est vous, Monsieur, qui composez de la musique pour cinq cents musiciens ?</li>
<li>Pas toujours, Monseigneur, j'en fais quelquefois pour quatre cent cinquante.</li>
</ul></li>
</ul>
<p>Plus tard, Wagner, Malher et d'autres se chargeront de donner à l'orchestre romantique des dimensions toujours plus épiques.</p>
<ul>
<li>La même année, <strong>Adolphe Sax</strong> dépose le brevet de son saxophone, un instrument hybride avec un bec de clarinette sur un corps de cuivre, au son étrange et doux, cependant bien plus puissant que la clarinette. La tendance générale pour tous les instruments est un son toujours plus puissant. C'est vrai notamment du roi des instruments, l'orgue, qui grâce aux débuts de l'électricité et de la transmission pneumatique, peut atteindre une taille gigantesque. Même les violons sont équipés de cordes en métal, plus tendues, au son plus agressif.</li>
</ul>
<ul>
<li>Cette course à la puissance orchestrale atteint un sommet au début des années 1910, avec des oeuvres comme <em>Elektra</em> (Richard Strauss, 1911), <em>le Sacre du Printemps</em> (Strawinski, 1913), <em>Gurre-Lieder</em> (Schoenberg, 1913). Par réaction, l'orchestre symphonique, trop massif mais aussi trop figé dans ses traditions, sera boudé par de nombreux compositeurs d'avant-garde au XXè siècle.</li>
</ul>
<ul>
<li>Mais le danger, pour nos oreilles, vient d'ailleurs: en 1928 Maurice Martenot présente la première version de <strong>l'onde Martenot</strong>, le premier instrument amplifié électriquement, ancêtre de tous les synthétiseurs:</li>
</ul>
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<ul>
<li>Les premiers prototypes de <strong>guitare électrique</strong> datent également des années 1920. Mais ces vénérables instruments utilisent des amplificateurs <q>à lampe</q> qui possèdent de belles qualités musicales mais dont la puissance est limitée. C'est à partir des années 1960, avec la généralisation des amplificateurs à transistors, qu'on pourra vraiment y aller à fond les basses. Le rêve (ou plutôt le cauchemar) de Jules Vernes dans son roman <em>Paris au XXe siècle</em>, écrit en 1864 et jamais publié de son vivant, est devenu réalité:</li>
</ul>
<blockquote><p><em>enfin, il arriva au milieu d'un assourdissement épouvantable à une immense salle dans laquelle dix mille personnes pouvaient tenir à l'aise, et sur le fronton, on lisait ces mots en lettres de flamme:</em><br />
<br />
<strong><em>Concert électrique</em></strong><br />
<br />
<em>Oui ! Concert électrique ! Et quels instruments ! D'après un procédé hongrois, deux cents pianos mis en communication les uns avec les autres, au moyen d'un courant électrique, jouaient ensemble sous la main d'un seul artiste ! Un piano de la force de deux cents pianos.</em></p></blockquote>
<p>Outre le clin d'oeil à Liszt (le <q>procédé hongrois</q>) c'est tout de même drôlement bien vu. Jules Vernes, ce remarquable observateur de sont époque et de tout ce qu'elle contenait en germe, n'avait pas seulement prédit que l'homme irait sur la Lune, mais aussi l'avènement du <em>hard rock</em> et de la <em>techno</em>.</p>
<ul>
<li><q>La techno, a déclaré un chanteur de variétés françaises, ne rentre pas dans le corps par les oreilles mais par l'anus.</q> Il ne croyait pas si bien dire ! Les fréquences plus basses qui sont celles qu'on amplifie le plus (car notre oreille, plus sensible dans les fréquences aiguës ne le supporterait pas autrement) peuvent faire résonner l'oreille interne après avoir fait vibrer notre corps, sans passer par les pavillons ni par les tympans. La preuve ? On organise aujourd'hui des <a href="http://www.deafrave.com/" hreflang="en">Deaf Rave Parties</a> destinées à un public sourd et malentendant. D'ailleurs vous êtes bienvenus à ce <strong>raves</strong> même si vous n'êtes pas sourds; de toute façon vous ne tarderez pas à le devenir !</li>
</ul>La musique, "attribut de reproduction spécifique" ?urn:md5:dc2ba885132e03c617a61fb2981dd9962008-12-22T14:40:00+01:002017-05-19T08:41:41+02:00Patrick LoiseleurThéorie musicalesciencethéorie<p>A quoi sert la musique ? Si je n'écoutais que mon coeur, je répondrais: à quoi sert le reste ? et nous en resterions là. La question est plutôt: à quoi sert la musique pour ceux qui ne sont pas monomaniaques comme l'auteur de ce journal ?</p> <p>Charles Darwin s'était déjà penché sur la question en 1871 dans son ouvrage <em>The Descent of Man, and Selection in Relation to Sex.</em> Il y suggère que la musique et la danse des hommes et des femmes, comme le chant des oiseaux, est utilisée par les individus pour attirer et séduire leur partenaire, et maximiser ainsi leurs chances de reproduction. Tout comme la queue du paon, les aptitudes artistiques, bien qu'inutiles à la survie proprement dite, serviraient d'attribut de reproduction spécifique, c'est à dire dans le langage d'aujourd'hui à choper plus de gonzesses. Et si on en juge par certains sites de fans dédiés à <a href="https://www.journaldepapageno.fr/index.php/post/2008/10/22/Mais-qu-est-ce-qu-ils-lui-trouvent">Hélène Grimaud</a>, ça fonctionne pour les deux sexes apparemment.</p>
<p>Dans son ouvrage de vulgarisation <em>This is your brain on music</em>, Daniel Levitin reprend cette théorie, et en recherche des preuves scientifiques. Il considère par exemple le nombre exceptionnel de partenaires du guitariste Jimmy Hendrix, qui assurément a disposé d'au moins autant d'occasions de reproduction que le roi David, encore que les techniques modernes de contraception aient quelque peu limité sa descendance. Il produit également des sondages qui montrent que les femmes semblent préférer les artistes aux banquiers en ce qui concerne la sélection du meilleur père génétique. Mais en ce qui concerne le meilleur père de famille pour faire bouillir la marmite et élever les enfants, c'est l'inverse: les réalités pragmatiques comme l'argent prennent le pas sur le charme de l'artiste.</p>
<p>Par ailleurs d'autres études semblent indiquer que l'aptitude à la musique est bien en partie génétique, un trouble comme l'a-musie (l'incapacité à reconnaître les notes où à le chanter un air à peu près juste) étant héréditaires. On peut lire à ce sujet <a href="http://www.iforum.umontreal.ca/Forum/2006-2007/20070205/capsule_1.html" hreflang="fr">le papier de Dominique Nancy et Mathieu-Robert Sauvé</a> de l'Université de Montréal. On peut lire également les papiers de <a href="http://www.unm.edu/~psych/faculty/lg_gmiller.html" hreflang="fr">Geoffrey Miller</a>, un spécialiste de la psychologie évolutionnaire qui a notamment étudié la variation des pourboires des danseuses nues en fonction de leurs cycles menstruels (!).</p>
<p>Ainsi donc la maîtrise d'un art comme la danse ou la musique serait comme les bois du cerf: inutile et même nuisible pour les tâches de la vie quotidienne (les bois d'un cerf le gênent pour courir), nécessaire aux individus pour maximiser leurs chances de reproduction.</p>
<p>Pour être basée sur des observations justes, cette théorie n'en est pas moins fondamentalement incomplète, car elle passe complètement sous silence (c'est le cas de le dire) la dimension <em>sociale</em> de la musique. Pas besoin d'avoir un doctorat en génétique pour savoir que la musique est d'abord et avant tout un phénomène de groupe. Peut-être notre grand Levi-Strauss a-t-il d'ailleurs écrit sur le sujet. Dans toutes les sociétés humaines connues, la musique et la danse font partie du quotidien. Chansons et danses soudent la communauté et rythment la vie quotidienne tout en solennisant les événements rares ou les fêtes rituelles. Et nous ne parlerons même pas du rapport entre musique et religion de peur d'être emportés dans une discussion trop vaste.</p>
<p>Dans le fond, les riches retraités qui écoutent un concerto de Beethoven salle Pleyel, les jeunes fauchés qui dansent et frappent des mais à un concert de <em>R&B</em> au stade de Bercy, les happy few qui se régalent les oreilles dans un caveau jazz, les intellos qui vont au concerts de l'avant-garde façon années 1960, tous nous recherchons la même chose dans la musique: une émotion partagée, le sentiment d'appartenir à une communauté. La musique peut susciter en nous des émotions variées, mais celle qui domine est sans doute une joie intense et profonde. D'où vient-elle ? Du sentiment que nous sommes peut-être un peu plus et un peu mieux qu'un tas de chair muni de quelques neurones, d'un appétit vorace et d'une agressivité congénitale. Peut-être sommes nous des singes civilisés, après tout.</p>Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau !urn:md5:a0ba1877170287f4eed597140b05cb002008-11-30T10:45:00+01:002017-05-19T08:32:01+02:00Patrick LoiseleurHumeurmusique contemporainestylethéorieXXe siècle<p>Le critère principal, sinon unique, pour évaluer les compositeurs aujourd'hui est la nouveauté. Le plus beau compliment qu'on puisse leur faire est d'être innovants, audacieux. Lorsqu'on qualifie leur musique de <q>littéralement inouïe</q>, il faut entendre: vraiment bonne. Même chez les maîtres des siècle précédents, Strawinski, Webern ou Varèse, on salue la modernité avant tout, avec des formules oxymoriques comme <q>une modernité qui dure</q> ou <q>un classique de l'avant-garde</q>.</p> <p>Au fond peu importe qu'une pièce soit extrêmement difficile à jouer, qu'elle fasse fuir la plus grande partie public par des sonorités stridentes, des dissonances appuyées, ou encore une complexité d'écriture trop grande pour offrir à l'oreille des repères clairs. Ce qui compte c'est que ça soit nouveau. Il faut avant tout obéir sans réserve à l'injonction baudelairienne; <em>Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe ? Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau !</em></p>
<iframe width="560" height="315" src="https://www.youtube.com/embed/yztoaNakKok?rel=0" frameborder="0" allowfullscreen></iframe>
<p>Mon propos n'est pas de prendre parti pour ou contre ce mouvement. Observons quels problèmes il soulève, puis nous laisserons les lecteurs tirer leur propres conclusions.</p>
<ul>
<li>D'abord la définition de ce qui est nouveau est on ne peut plus floue. Si j'écris une symphonie dans le style de Haydn ou Mozart, ce sera incontestablement une œuvre nouvelle, car l'an dernier elle n'existait pas. Mais n'importe quel musicien ou mélomane dira: <q>ça n'est pas vraiment nouveau comme style</q>. Où donc réside la nouveauté ? dans le style, dans les techniques d'écritures, dans les techniques instrumentales ? Ou bien simplement dans la différence de goût d'une génération par rapport à la précédente ?</li>
</ul>
<ul>
<li>Il existe et il a toujours existé des compositeurs passéistes. Brahms et Rachmaninov en sont des exemples fameux. Leur musique n'en est pas forcément plus mauvaise. Mozart lui-même, donc la musique est pleine d'invention, a surtout utilisé le langage et le style de son époque: il les a porté à la perfection, mais sans chercher à les révolutionner. On pourrait multiplier les exemples, mais la preuve est fait qu'une musique n'a pas besoin d'être exagérément novatrice pour être bonne.</li>
</ul>
<ul>
<li>Comment enseigner la nouveauté en musique ? C'est un vrai paradoxe car la nouveauté ne se décrète pas, et elle vient surtout d'élèves qui ont remis en cause l'enseignement de leurs professeurs. Les Conservatoires, comme leur nom l'indique, sont des structures fatalement très conservatrices, orientés vers la transmission des acquis plutôt que la remise en cause du système. Les classes d'écriture (harmonie, contrepoint) enseignent une langue morte, c'est entendu. Mais celles de composition libre ne sont pas nécessairement moins conservatrices. Les techniques d'écriture sérielles, qui étaient révolutionnaires dans les années 1930, ont été ensuite transformés en pure matière scolaire par des professeurs qui traquaient les doublures et les accords à consonance tonales dans les travaux de leurs élèves comme les professeurs d'harmonie font la chasse aux quintes et aux octaves parallèles. Quoi de plus ennuyeux qu'une musique sérielle stricte, correcte du point de vue formel mais sans imagination ? De ce point de vue les professeurs de composition atonale ne sont pas moins conservateurs que celui de Jean Sibelius à Berlin, un post-Brahmsien nommé Albert Becker qui répétait sans cesse: <em>better langweile, aber im Stil</em> (restez dans le bon style, quitte à être ennuyeux).</li>
</ul>
<ul>
<li>Que se passerait-il si la nouveauté consistait précisément à remettre en cause ce culte exclusif et totalitaire de la nouveauté ? A renoncer à l'absurde prétention qui consiste à forger un nouveau langage, que seuls quelques-uns peuvent revendiquer. Même les musiciens reconnus pour leur musique particulièrement innovante (Beethoven, Liszt, Messiaen) ne cherchaient pas la nouveauté pour la nouveauté. Dans ces sonates pour piano et quatuors tardifs, Beethoven cherchait une expressivité dramatique toujours plus forte, ce qui l'a poussé à transformer la forme sonate jusqu'à la rupture. Mais il ne s'était pas fixé comme projet au départ de remettre en cause le système tonal ou la forme sonate. De même pour Liszt, ardent défenseur de la nouveauté dans sa musique comme dans celle des autres, la musique nouvelle englobe celle du passé, elle en utilise tous les moyens expressifs et en cherche de nouveaux. Quant à Messiaen, il a traversé le XXe siècle comme une comète solitaire, attentif et réceptif à la musique des autres mais suivant sa propre voie, n'écoutant que ses voix intérieures, ignorant les critiques d'où qu'elles viennent (soit de journalistes le brocardant comme avant-gardiste, soit de Boulez trouvant que tout ce fa # majeur, dans les <em>Vingt regards</em> c'était vraiment dépassé). Seul Schönberg peut-être (et ceux qui ont adopté son approche) a inversé la démarche en plaçant la recherche formelle d'un langage et d'un système au départ de son parcours artistique. Ce qui a du sens, mais est-ce la seule manière d'écrire de la musique ?</li>
</ul>Du progressisme en musiqueurn:md5:7efc1984b6168f138fd432db7e885f0d2008-04-05T18:25:00+00:002017-05-05T14:11:46+00:00Patrick LoiseleurHumeurHenri DutilleuxKarol Beffamusique contemporaineOlivier MessiaenThierry EscaichthéorieXXe siècle<p>Je rebondis sur une question posée par Eric qui s'étonnait d'apprécier Thierry Escaich alors qu'il reste peu sensible à la musique de Ravel:</p> <blockquote><p><em>La musique suit-elle une évolution chronologique et graduelle dans la difficulté de compréhension et d'appréciation, du genre : Vivaldi, fastoche, Mozart, ça va encore. Hum, Wagner, plus dur, Boulez, tout le monde descend... ?</em></p></blockquote>
<p>Question large comme un fleuve et qu'on ne saurait expédier en quelques lignes. Pour moi, l'histoire de la musique est comme l'histoire tout court: elle ne se répète jamais vraiment, mais elle ne progresse pas nécessairement, et certainement pas en ligne droite !</p>
<p>Une raison simple pour qu'elle ne se répète pas est que chaque génération de musiciens, connaissant bien la musique de la génération immédiatement précédente, éprouve le besoin soit d'aller plus loin dans la même voie soit d'en sortir complètement ! Après Beethoven, il y eu l'école Brahms -- la même musique, en un peu plus long, plus développé, plus romantique et l'école Liszt et Wagner: on change tout ! La manière d'écouter change, tout comme la manière de voir a changé depuis les 100 ans que le cinéma et la télévision existent.</p>
<p><img src="https://www.journaldepapageno.fr/images/mont_blanc1.JPG" alt="Mont Blanc" style="display:table; margin:0 auto;" /></p>
<p>(au passage une petite photo du Mont blanc que j'ai quasiment en face de moi alors que j'écris ces lignes)</p>
<p>Outre cette éternelle guerre des anciens et des modernes, il faut prendre en compte un autre facteur: ainsi que le remarque Charles Rosen dans son livre <em>Le style classique</em>, ce sont les individus d'exception et non les masses laborieuses qui font l'histoire de la musique. Beethoven a davantage modifié notre perception de la musique que tous ses contemporains. Si l'histoire de la musique progresse, c'est par à-coups et même par grandes embardées, et non par un mouvement lisse et continu.</p>
<p>Quant à la musique du XXe siècle et du XXIe siècle naissant, une remarque s'impose sur le contexte dans lequel cette musique a été créée. Notre monde est envahi par la laideur, le bruit, la fureur des machines quelles qu'elles soient (avions, voitures, char d'assaut, guitare électrique). Pouvait-on attendre d'un siècle qui a inventé la bombe atomique et le génocide industriel une musique aimable et mesurée comme celle de Haydn et Mozart ? D'une manière ou d'une autre il était inévitable que la violence de la seconde guerre mondiale détruise une certaine conception de la musique.</p>
<p>La remarque d'Eric sur la progression et le progressisme en musique est spécialement intéressante en ce qu'elle mentionne Boulez. Or il n'y a pas de musicien plus progressiste, plus positiviste, davantage persuadé qu'on faut être absolument moderne en musique et que cette contrainte prime sur toutes les autres. Boulez, élève de Messiaen, était par exemple choqué qu'il utilise autant de Fa# majeur dans ses <em>Vingt Regards sur l'Enfant Jésus</em> (publiés en 1944): cela lui paraissait tout simplement dépassé, vieilli, usé, fatigué, aurait dit Lionel Jospin. Boulez et Stockausen ont pris comme point de départ une autre pièce de Messiaen, <em>l'Etude sur les Valeurs de Rythme et d'Intensité</em>, celle qui pousse le plus loin la recherche formelle, un systématisme qui rappelle celui de la série dodécaphonique de Schönberg mais qui s'applique également au rythme, aux nuances, à l'attaque. Disons-le franchement, cette pièce est injouable et quasiment inécoutable, et ne présente pas d'intérêt autre que théorique. Dans les années 1950 le systématisme était à la mode et l'école de Darnstadt s'est engouffré dans la brèche.</p>
<p>Mais chaque génération de musiciens, je l'ai dit, éprouve le besoin de se distinguer de la précédente. Parmi les jeunes musiciens d'aujourd'hui, on trouve des épigones de Webern et Boulez, formés au conservatoire, et d'autres qui ont partiellement ou totalement rejeté cet enseignement (tel Karol Beffa qui a déclaré que le Conservatoire formait "des clones de Boulez et non des émules de Dutilleux") et qui ne voient pas pourquoi ils s'interdiraient d'utiliser autre chose que des rythmes irrégulier et des intervalles dissonants, sachant que l'oreille cherche avant tout à reconnaître des rythmes réguliers et des consonances dans toute musique qu'on écoute, quel que soit le style. Thierry Escaich fait partie de cette génération qui déclare à ses ainés: "si j'ai envie de mettre un accord parfait majeur dans ma musique, je ne vois pas pourquoi je m'en empêcherai."</p>
<p>Pour conclure: oui, on je joue plus, on n'écrit plus et on n'entend plus la musique comme Vivaldi (et le talent des interprètes spécialisés dans la musique ancienne n'y changera rien). Pour autant, qui pourra prédire à quoi ressemblera la musique dans 30 ans ? dans 50 ans ? Quels individus atypiques, à l'instar de Debussy, Messiaen ou Liszt, seront capables de changer notre manière d'écouter ? Que je sois transformé en fourchette à boudin si le le sais. L'histoire de la musique n'est pas un long fleuve tranquille, c'est un torrent de montagne impétueux et imprévisible.</p>Musique contemporaine et complexité de Kolmogorovurn:md5:3fd5d8bed8d620bf70334ba643db3e252008-03-11T22:38:00+00:002017-05-05T13:50:09+00:00Patrick LoiseleurThéorie musicalemusique contemporainethéorie<p>Voici un article plutôt long et théorique et je m'en excuse par avance. Parmi les concepts fondamentaux de la science informatique figure la <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Complexit%C3%A9_de_Kolmogorov" hreflang="fr">complexité de Kolmogorov</a>. C'est une mesure qui indique, étant donné une série de 0 et de 1, comment on peut la compresser, c'est à dire la décrire par un programme informatique plus court. Lorsqu'une série de 0 et de 1 n'admet pas de description plus courte qu'elle-même, on dit qu'elle est aléatoire au sens de Kolmogorov. Ce qui est amusant avec cette définition de l'aléatoire est qu'elle ne fait intervenir aucune notion de probabilité. La complexité de Kolmogorov intervient dans la théorie de la calculabilité, mais aussi en cryptographie, en traitement du signal, en compression de données.</p> <p>La complexité de Kolmogorov peut aussi avoir un sens en musique. Bien sûr on peut considérer un CD audio comme une longue suite de 0 et de 1, mais c'est à un autre niveau qu'il vaut mieux se placer, en prenant l'oreille comme point de départ. La complexité la plus faible (au sens de Kolmogorov) est celle du silence, suivie par celle d'un son sinusoïdal pur. Une note produite par un instrument acoustique ou électronique est déjà plus complexe, car elle comporte une attaque, une enveloppe, et dans la partie stationnaire un certain nombre de partiels (entre 4 et 80) qui constituent le <em>timbre</em> de l'instrument. A quoi correspond un signal sonore ayant une complexité de Kolmogorov maximale ? à du <q>bruit blanc</q>, c'est à dire une espèce de <q>sssssshh</q> qu'on peut entendre par exemple sur une radio de mauvaise qualité lorsqu'il y a des interférences. Le bruit blanc est totalement imprévisible, mathématiquement impossible à simplifier et à réduire, physiologiquement impossible à <q>écouter</q>.</p>
<p>Parmi tous les extraits sonores de 10 secondes qu'on peut construire (en supposant qu'on fixe un taux d'échantillonnage, il y en a un nombre fini), la grande majorité, mettons 99.990%, sont constitués de bruit blanc. Tout ce qu'on peut distinguer et reconnaître à l'oreille, comme une porte qui claque, la pluie qui tombe, un altiste qui joue juste (ça existe au moins en théorie), ou les glous-glous du piano de <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Duchable" hreflang="fr">François-René Duchâble</a> en train de couler dans le Lac du Mercantour, tout ces bruits, y compris ce <q>bruit organisé</q> qu'est la musique, sont dans les 0.001% qui ont une complexité de Kolmogorov inférieure à 1. Notre oreille, en permanence, que nous soyons éveillés ou endormis, analyse les bruits, les classe et les simplifie. De la même manière qu'on voit des lignes, des couleurs, des formes et simplement non des points, on perçoit des plans sonores, des notes, des voix, des instruments, des mélodies, des harmonies et non simplement un signal sonore brut. Et cela indépendamment de l'éducation musicale ! Comme l'ont constaté les chercheurs, tout le monde ou presque est capable d'entonner <q>joyeux anniversaire</q> ou <q>petit papa Noël</q>, ce qui suppose des capacités cognitives déjà très avancées. Pour reprendre la thèse centrale de Daniel Levitin, nous somme tous des auditeurs experts.</p>
<p>La plus grande partie de ce qu'on entend au concert, en disque, à la radio, est d'une complexité de Kolmogorov extrêmement petite. D'abord les musiciens préfèrent les sons harmoniques, dont les partiels sont alignés dans la transformée de Fourier comme les bidasses dans la cour d'honneur de l'Élysée pour accueillir Khadafi. Ensuite, pour des raisons pratiques autant qu'esthétiques, ils ne jouent que sur des gammes à 5 ou 7 sons par octave (la musique occidentale utilise 12 demi-tons pas octave, ce qui est assez peu). Enfin, même lorsqu'un orchestre de 50 interprètes joue, les musiciens s'efforcent de jouer <q>en place</q> c'est à dire avec le même rythme, et <q>juste</q> c'est à dire avec les mêmes hauteurs de sons. Malgré la richesse de timbres et de sons offerte par un orchestre symphonique, la plupart des oeuvres du répertoire se réduisent un tout petit nombre d'éléments: une ou deux lignes mélodiques (exceptionnellement on en trouve quatre ou cinq), des rythmes réguliers, des harmonies basées sur des accords à 3 ou 4 sons. Dans la réduction pour piano seul des symphonies de Beethoven par Liszt, on retrouve l'essentiel, sinon la totalité de la musique de ces symphonies.</p>
<p>Bien sûr, les compositeurs de toutes les époques, toujours en recherche d'une nouvelle expérience musicale, ont cherché une complexité qui dépasse parfois ce que l'oreille peut distinguer. Cette complexité peut prendre plusieurs formes:</p>
<ul>
<li>La polyphonie. On songe aux polyphonies vocales de Thomas Tallis (jusqu'à 40 voix), mais aussi à la <em>Deuxième Symphonie</em> de Chostakovitch (très expérimentale, et très peu connue !) ou encore au <em>Requiem</em> de Ligeti</li>
<li>Les micro-intervalles (voire la disparition complète des échelles sonores avec des oeuvres tout en glissandos comme les quatuors de <a href="http://en.wikipedia.org/wiki/Gloria_Coates" hreflang="en">Gloria Coates</a></li>
<li>Les sons inhamoniques (percussions puis musique concrète puis musiques électroniques)</li>
<li>La complexité rythmique</li>
<li>L'aléatoire comme dans les <em>Klavierstücke</em> de Stockhausen</li>
<li>Et même le <q>bruit blanc</q> généré par l'électronique, que certains groupes de <em>hard-rock</em> n'ont pas hésité à utiliser</li>
</ul>
<p>Le paradoxe est que plus on ajoute de la complexité plus on se rapproche d'un bruit aléatoire complètement incompréhensible et a-musical. Quelle est la limite à tout cela ? L'oreille bien sûr ! Si on la sollicite trop, par des changements trop nombreux et trop rapides, on la fatigue, et cela peut aller jusqu'au rejet violent d'une oeuvre musicale. Le compositeur qui a passé six mois à travailler sur une partition de 10 minutes, à en contrôler tous les aspects, n'est plus vraiment capable de l'entendre comme un auditeur qui la découvre. Si cet auditeur ne trouve pas un fil directeur, des éléments familiers avec lesquels il peut se raconter une histoire, il va s'ennuyer, voire pire.</p>
<p>Bien sûr l'oreille s'éduque. On trouve en général plus ennuyeuse la musique d'un style qu'on connaît peu ou mal. <q>Le Jazz c'est toujours pareil</q> diront ceux qui n'entendent pas les détails auxquels les vrais fans de jazz sont attentifs et qui font tout leur plaisir. Mais une question centrale pour un compositeur reste: jusqu'où puis-je aller avec mon public ? A quel point dois-je satisfaire ses attentes, ou au contraire les bousculer, chercher ses limites ?</p>
<p>Pour en finir avec la complexité: c'est le domaine du compositeur et de l'interprète. Lorsqu'on va au restaurant, ce ne sont pas les étapes d'une recette en cuisine qu'on juge, mais le goût des plats. De même quand on s'émerveille devant une vierge de Boticelli ou un footballeur de Nicolas de Staël, on se fiche un peu de savoir quels pigments l'artiste a utilisé, quels pinceaux, et combien de temps il y a passé: on admire simplement le résultat. En musique c'est pareil ! Parmi les compositeurs d'aujourd'hui, beaucoup ont une grande maîtrise des techniques d'écriture, sans doute bien supérieure à celle des musiciens des siècles précédents. Quel est leur principal défaut alors ? Peut-être d'en faire trop, de livrer une musique trop écrite, trop savante, trop complexe, qui ne laisse pas assez de place aux interprètes pour s'exprimer, au public pour rêver. Ce culte de la création et du compositeur qu'on trouve dans les concerts dédiés à la musique contemporaine, où le chef n'hésite pas à montrer la partition au public pour la faire applaudir, serait-il paradoxalement une des causes du désamour du public pour les compositeurs d'aujourd'hui, qui va parfois jusqu'à la la franche hostilité ? En musique, la complexité se paye, et la simplicité n'a pas de prix.</p>Des vibrations dans l'airurn:md5:c28029bef6319036ae713fba6739f3722008-02-22T17:01:00+00:002017-05-05T13:25:58+00:00Patrick LoiseleurHumeurhumourmusique contemporainethéorie<p>Si l'on y réfléchit bien, le métier du musicien consiste à produire des vibrations dans l'air. Il est vraiment difficile d'imaginer une occupation plus vaine et plus futile. Alors qu'il y a des médecins et des pompiers qui sauvent des vies, des ingénieurs, des ouvriers, des professeurs, des notaires et des banquiers qui s'occupent de choses sérieuses, le violoniste ne s'occupe que de perfectionner son vibrato.</p> <p><img src="https://www.journaldepapageno.fr/images/impacts_eau.jpg" alt="goutte d'eau" style="float:right; margin: 0 0 1em 1em;" /></p>
<p>Le métier du compositeur est encore plus bizarre car il consiste à produire des signes sur du papier, illisibles pour le commun des mortels, mais que d'autre musiciens - les interprètes - sauront lire et transformer en vibrations dans l'air. Peut-on vraiment dépenser le meilleur de son temps, de son énergie, de son talent pour une chose si manifestement dénuée d'intérêt ?</p>
<p>Et ça n'est pas tout. En admettant, à la limite, que la musique soit une partie du secteur "loisirs et culture" de l'économie, et en temps que telle méritant sa place même modeste, pourquoi s'obstiner à vouloir écrire de la musique alors même que Mozart, Bach, Beethoven et des centaines d'autres ont constitué pour nous un répertoire si vaste et si riche en chef-d'oeuvres qu'une vie entière ne suffirait pas à l'explorer exhaustivement ?</p>
<p>Il y a pire. La recherche de la beauté suffirait peut-être à excuser les activités des compositeurs d'aujourd'hui. Mais ils manifestent une prédilection marquée pour les dissonances, les sonorités arides ou agressives, les rythmes irréguliers, la virtuosité excessive, l'usage à contre-emploi des instruments, bref tout ce qui est de nature à perturber la digestion des mélomanes qui, par curiosité ou par distraction, auraient échoué dans un concert de musique contemporaine.</p>
<p>Il faut donc s'y faire: l'activité de compositeur aujourd'hui ne répond à aucune nécessité extérieure, aucun besoin social identifiable. Tout au plus peut-on invoquer la satisfaction des compositeurs eux-mêmes et la relative innocuité de leurs activités. Sauf lorsqu'on monte le volume au-delà de 120dB, la mauvaise musique n'est en général pas dangereuse pour la santé...</p>