Concert: Tamestit joue Schubert, Feldman et Brahms
Par Patrick Loiseleur le samedi 30 juin 2007, 00:03 - Concerts - Lien permanent
Ce soir nous étions au concert, pour écouter Antoine Tamestit et Bertrand Chamayou aux Serres d'Auteuil.
De prime abord, Antoine Tamestit n'est pas très impressionnant: avec son costume gris et ses cheveux courts, on le prendrait presque pour un employé de bureau, sauf que c'est un alto et non un porte-document qu'il tient à la main. Il commence par la sonate Arpeggione de Schubert, que tous les altistes comme moi connaissent par coeur. Ce qu'il y a de difficile dans cette sonate, comme dans certaines sonates pour violon et piano de Mozart, c'est sa simplicité désarmante. Pas d'effets de manche, pas de virtuosité, pas de grand crescendo, pas de polyphonie: la simplicité de la mélodie et des sentiments. C'est doublement difficile à l'alto, instrument qui ne peut pas compter sur la rondeur et la puissance du violoncelle, et pas davantage sur le brillant du violon dans l'aigu. C'est là précisément que le talent de l'interprète apparaît: la capacité d'Antoine Tamestit à jouer chaque note comme si sa vie en dépendait est étonnante. De plus, dans la version qu'il a choisie (écrite ?), il utilise autant que possible le registre grave de l'instrument. Le pianiste, respectant cette fragilité bouleversante de l'alto, ne dépasse quasiment pas la nuance piano durant toute la sonate.
La pièce suivante est tirée de Viola in My Life de Morton Feldman, une pièce de 1970. L'alto avec sourdine énonce de longues notes avec ou sans vibrato, souvent sur des harmoniques. Le piano plante des accords sporadiques. On pressent que l'écriture est très travaillée (notamment certaines notes de l'alto font vibrer les cordes du piano par sympathie), cela dit c'est une peu statique (on pourrait dire hypnotique
pour être moins péjoratif). Les efforts des interprètes pour rendre la différence entre les nuances pp et ppp sont un peu gâchés par les bruits extérieurs (voitures, motos).
Enfin c'est la deuxième sonate pour clarinette de Brahms, et en bis le mouvement lent de la première sonate pour clarinette. Vous avez remarqué que j'écris "sonate pour clarinette" et non "sonate pour alto": en effet il s'agit bien d'une transcription, même si elle a été réalisée par Brahms lui-même. Pour tout dire, je préfère la version originale avec clarinette. Dans cette sonate, Bertrand Chamayou peut s'épanouir davantage (la partie de piano est plutôt dense), et Tamestit s'en sort très bien: technique impeccable, phrasés bien construits.
En même temps que le plaisir de voir Antoine Tamestit sur scène et d'écouter un bon concert, c'est une vague déception que j'éprouve, notamment sur le choix du programme. On connaît l'Arpeggione de Schubert et les sonates de Brahms archi-par-coeur, on les a entendues par Youri Bashmet, Nobuko Imai, Gérard Caussé... de plus ce ne sont que des transcriptions, qui n'exploitent qu'une partie du potentiel de l'instrument. Quitte à jouer des transcriptions, pourquoi ne pas en faire de plus originales ? moi qui ne suis qu'un amateur, j'ai déjà transcrit pour mon propre usage la sonate de César Franck, le Rêve d'Amour de Liszt, et d'autres pièces encore. Les violoncellistes n'hésitent pas à transcrire les pièces qui leur plaisent, pourquoi pas les altistes ? Et pourquoi ne pas jouer le répertoire du XXème siècle, qui est dense et abondant ? Au cas où les interprètes ou les organisateurs de concert manqueraient d'imagination, voici quelques idées:
- Ernst Bloch: Suite pour alto, Méditation et Processional, Suite hébraïque
- Rébecca Clarcke: Sonate pour alto et piano
- Bohuslav Martinu: deux Sonates, Rhapsody-concerto
- Dimistri Schostakovitch: une Sonate (1975)
- Paul Hindemith: trois Sonates pour alto et piano, quatre Sonates pour alto seul
- Benjamin Britten: Lachrymae pour alto et piano, Elégie pour alto seul
- Vaughan Williams: Romance pour Viola and Piano
- Karol Beffa: Sur le nom de Heine, pour alto et piano
Sur le CV de Youri Bashmet il est annoncé que pas moins de 87 concertos et autres oeuvres lui ont été dédiées. Pour peu qu'on accepte de jouer de la musique écrite il y a moins de 150 ans, on trouve quand même du répertoire !
Commentaires
A propos de Schubert, pouvez-vous m'expliquer la ressemblance sue je trouve troublante entre l'Elégie de Fauré et le trio de Schubert ? Est-il normal que Fauré se soit aussi largement inspiré d'une oeuvre antérieure ? Merci d'avance de vos explications !
Quel trio de Schubert ? il a écrit deux trios avec piano (plus des pièces isolées), et deux trios à cordes...
Si vous pensez au mouvement lent du 2è trio avec piano (le plus connu, celui qui fait partie du "top 10" de Radio classique), à part la tonalité (do mineur), le tempo (lent) et le caractère (romantique), je ne vois pas tellement de points communs entre cette pièce et l'Elegie de Fauré. Les thèmes sont très différents: chez Fauré une grande ligne descendante, chez Schubert une phrase qui monte et retombe. La structure rythmique est très différente: les notes répétées et rythmes pointés de l'accompagnement créent chez Schubert une impression de marche lente qu'on ne retrouve pas chez Fauré.
Je rapprocherais plutôt ce mouvement de trio de Schubert du mouvement lent du quintette de Schumann (à découvrir d'urgence si vous ne connaissez pas !)
je découvre votre blog aujourd'hui. je le trouve sympathique et intéressant.
c'est sans doute un peu tard pour mettre un commentaire sur un post de juin dernier mais je ne peux m'empêcher de rajouter à votre liste la magnifique sonate pour alto seul de Ligeti, que Tamestit a d'ailleurs enregistré.
le premier mouvement, particulièrement, s'intitule Hora Lunga. Ce terme nomme une forme de chant folklorique roumain que je n'ai hélas jamais entendu sous sa forme basique. Ces chants et sans doute aussi des musiques instrumentales (à la cornemuse ou à la flute) ont été transcriptes par Bartok avant la guerre de 14. J'en ai trouvé un exemple sur Wikipédia un jour mais c'était tout petit et je pouvais à peine lire.
Bartok a utilisé cette hora lunga a au moins deux reprises (peut-être plus mais sans le dire) : dans le mouvement de la sonate pour violon seul intitulé Melodia et dans la partie de Tenor de la Cantate Profane, dont les vocalises (et la péroraison finale) m'emeuvent jusqu'aux larmes.
Je ne suis qu'un "écouteur" de musique (mes années de solfège sont bien trop loin et oubliées) et j'ai tenté de me faire expliquer cela par un de mes meilleurs amis qui est compositeur classique. Il m'a dit que Bartok utilise simplement ce qu'on peut qualifier de "mode roumain", et qui est parfaitement lisible dans l'organisation de la cantate profane : ré-mi-fa#-sol#-la-si-do-ré ; qu'on peut aussi qualifier comme un mode antique (mais j'ai oublié lequel) où on aurait seulement changé deux notes. Ce commentaire vous paraitra peut être délirant mais ces choses me fascinent pour des raisons qu'il serait un peu long d'expliquer ici.
En tout cas, j'écoute toujours et encore le plus de compositeurs possibles car je suis très malade et j'ai toutes mes journées à moi (encore qu'être grand malade est presque un métier en soi, vu ce qu'on vous demande en contraintes et paperasseries administratives). Alors que l'infini dans lequel nous verserons tous, se rapproche pour moi, je veux conserver intact mon désir de découverte, ma curiosité, le plaisir d'entendre des sons, de lire des livres, d'écrire.
Je continuerai à regarder votre blog.
Christian