Le nombre d'or dans la musique de Jean-Sébastien Bach

Pour dire vrai j'ai hésité avant de publier ce billet, car le sujet est un peu piégé. Le nombre d'or est en effet brandi comme une sorte de talisman par toutes sortes de charlatans, numérologistes, astro-bullshitologues et autres magnétiseurs de chacras. Et de l'autre côté, les rapports numériques dans la musique de Jean-Sébastien Bach ont eux aussi été amplement analysés, parfois pour y trouver des relations numériques tellement lointaines qu'on peut bien se demander si elles ne sont pas le produit d'un pur hasard. Les gens qui trouvent le nombre d'or partout dans la musique de Bach sont pour moi un peu comme ceux croient avoir 'décodé' une prédiction des attentats du 11 septembre 2001 dans la bible: hautement suspects de quadrapilectomie (art de couper les cheveux en quatre), voire bien pire que cela. C'est ainsi que je recommanderai la lecture de "Bach ou La passion selon Jean-Sébastien: de Luther au nombre d'or" de Guy Marchand uniquement aux adeptes de ces petits jeux  ésotériques.

Cela dit, il ne fait aucun doute que Bach sait jouer avec les nombres et les lettres en musique. Il a écrit une fugue sur le thème musical B-A-C-H (en français si bémol - la - do - si), également utilisé comme signature dans l'Art de la Fugue. La première fugue du Clavier bien tempéré comporte exactement 24 entrées du thème principal: on peut y voir une annonce des 24 préludes et fugues du recueil, même si toutes les fugues classiques comptent une vingtaine d'entrées du thème. On trouve ailleurs des utilisations du nombre 14 = B + A + C+ H = 2 + 1 + 3 + 8 ou encore du nombre 3 dans les cantates consacrées à la Trinité.

Au fait, qu'est-ce que le nombre d'or ? Il y a plusieurs manière de le définir: j'ai choisi celle du rectangle qui est assez parlante intuitivement. Imaginez un rectangle dont le petit côté mesure 1 mètre et le grand côté φ mètres. On veut ajuster φ de manière à ce que si on enlève un carré de 1m x 1m, on obtient un rectangle plus petit mais dont les proportions sont les mêmes. Autrement dit: φ = 1/(1-φ) ou bien φ^2 = φ + 1. En tâtonnant un peu on voit que 8/5 = 1.6 est un peu trop petit tandis que 1.66 = 5/3 est un peu trop grand. La solution est un nombre irrationnel φ = 1.618... . En Grèce ancienne, où les mathématiques étaient surtout basée sur les rapports de nombres entiers, le nombre d'or fascinait au même titre que π ou que la racine de 2 car c'est un nombre irrationnel qui intervient dans une construction géométrique simple. Le nombre d'or est celui des proportions harmonieuses qu'on peut trouver dans la nature, ainsi qu'on peut le voir avec cette très élégante 'spirale de Fibonnacci' qui est construite en itérant plusieurs fois le découpage du rectangle doré que nous avons décrit plus haut: Fibonacci_spiralpng.png

Construisons maintenant une série dont chaque terme est la somme des deux précédents:

1+1 = 2

1+2 = 3

2+3 =5

3+5 = 8

5+8=13

8+13=21

13+21=34

21+34=55

34+55=89

...

Pour continuer avec les rectangles, chaque addition correspond à la construction d'un rectangle (a+b, a) à partir du rectangle (a,b). Je vous épargne la démonstration (ressortez vos cours de maths de terminale ou cherchez sur Internet au besoin) mais il me paraît intuitif que le rapport entre deux nombres successifs de cette série de Fibonacci tend vers le nombre d'or. De fait on peut vérifier que 89/55=1.618... donne déjà trois décimales exactes.

Fort bien, et la musique de Bach dans tout ça ? Eh bien on y trouve des ratios proches du nombre d'or, ce qui peut contribuer à lui donner un aspect à la fois vivant et harmonieux. Pure spéculation théorique ? Regardons plutôt un exemple, le premier prélude du Clavier bien tempéré (premier livre):

Ce prélude est très connu, et sa grande simplicité le rend accessible même aux pianistes débutants. Pourtant le motif rythmique utilisé est tout à fait original. Les huit double croches s'organisent en 2+3+3, ou 5+3 si l'on veut. 2, 3, 5: les premiers termes de la série de Fibonacci. Cette structure rythmique permet d'éviter la décomposition binaire 8 = 4+4 = 2+2+2+2 qui donnerait quelque chose de beaucoup plus mécanique et répétitif.

En voici la preuve par l'oreille: j'ai testé trois variantes où l'on conserve les mêmes notes en les organisant par groupes de 4:

(deuxième variante)
(troisième variante)

Le résultat est beaucoup plus banal et ennuyeux que le prélude original. Il y manque ces appuis légèrement décalés qui en font tout le charme. Ainsi la note supérieure (mi dans la première mesure) apparaît sur les 5e et 8e doubles croches ce qui peut donner l'impression d'un rythme pointé ("croche pointée double") qui vient ponctuer le flux de doubles croches. Est-ce tout ? Bien sûr que non. Ce prélude comporte 34 mesures (si l'on exclut la mesure finale qui comporte uniquement l'accord d'ut majeur). Or si la basse descend constamment jusqu'à la mesure 21 (fa, IVe degré) avant de remonter vers une pédale de sol (Ve degré) qui amère la conclusion. 34=21+13, les proportions de ce prélude sont aussi parfaites que celles de la Venus de Milo ou que l'homme de Vitruve.

On trouve une structure rythmique similaire dans le Prélude de la première Suite pour violoncelle seul. Bien qu'on ne possède pas d'autographe de ces suites mais seulement une copie de la main d'Anna-Magdalena (copies dont on sait qu'elles ne sont pas toujours très fiables pour certains détails comme les liaisons), on peut considérer la liaison des trois premières notes comme fiable. On retrouve à nouveau une répartition 8 = 3 + 5 qui dynamise le rythme des doubles croches en évitant un débit trop uniforme. Il est important dans cette Allemande de respecter les liaisons. Écoutez pour vous en convaincre la version écrite (3 liées, 5 détachées):

Et une autre version où les notes sont liées par quatre, ce qui est suffisant pour rendre la musique beaucoup plus banale:

Il y aurait bien d'autres choses à dire sur les proportions dans la musique de Bach (et pas seulement la proportion dorée) mais je m'en tiendrais à ces remarques préliminaires. J'espère avoir tout de même montré que l'équilibre parfait des proportions qui crée tout le plaisir à l'oreille apparaît dans bien des situations comme voulu et même calculé par Bach qui plus que tout autre musicien, ne laissait rien au hasard.

Nous reparlerons sans doute dans ce journal nombre d'or qui a été utilisé par bien d'autres musiciens, de Dufay à Bartok et Xenakis. Et qui peut intervenir non seulement dans les proportions rythmiques mais aussi dans l'harmonie.

Commentaires

1. Le mercredi 14 juillet 2010, 01:28 par Raphaël

Un peu Hors Sujet, mais si tu veux un bullshitologue de talent, je te conseille :
http://www.bibleetnombres.online.fr...

J'y retourne environ tous les 6 mois et à chaque fois je suis estomaqué !!!!

Sinon il faut bien dire que ces petits préludes font bien du bien par là où ils passent :)

PS : et j'ai hâte de lire ton article sur le Nombre d'or chez Bartok !!

PPS : la musique métal se met parfois au mysticisme techno-mystique :
http://www.youtube.com/watch?v=wS7C...
Tu appréciera les polyrythmies et le contrepoint !

2. Le mercredi 14 juillet 2010, 11:31 par Azbinebrozer

Bé quelques mystères lointains ne font pas de mal à une vraie leçon de musique pour nous les non initiés !
Oui merci Papageno pour cette démonstration musicale.

Bon nombre d'Or ou pas... sans viser le détail mathématique, pourrait-on dire que Bach c'est de l'équilibre sur du déséquilibre ? Sinon on s'installe en pleine musique new-âge...
Pour obtenir cet « aspect à la fois vivant et harmonieux » peut-on résumer ainsi...
Les structures rythmiques qui correspondent à des nombres entiers, sont trop équilibrées pour donner de la vie ?
Les structures rythmiques qui correspondent à des nombres décimaux, sont pour la plupart vivantes mais manqueraient d'équilibre et d'harmonie ?
Les structures rythmiques qui correspondent à des nombres irrationnels particuliers (comme le nombre d'or) sont vivantes et offriraient une certaine harmonie ?

Pour reprendre le propos de Raphaël, ne soyons pas trop sévère avec les métalleux qui s'efforcent de concilier pour une fois musique et étude ! ;- ) Il y a bien eu tout un courant nommé « Math rock » et cette catégorie sert depuis à décrire des groupes, hors métal, qui sortent régulièrement du 4 temps.

Gageons que Bach, à l'aube d'un certain piétisme et rationalisme protestant, savait encore quelle place discrète (et... secrète...) accorder aux mathématiques... L'occasion de méditer ce proverbe ouïghour «La musique vit lorsque le nombre dort » ?

3. Le samedi 17 juillet 2010, 10:15 par Papageno

A vrai dire ce n'était pas les musiciens que je visais (il y a mille et une façons de s'amuser avec le nombre d'or en musique) avec mes remarques sur les "magnétiseurs de chacras" mais plutôt les trucs de ce genre:

http://www.youtube.com/watch?v=GEgT...

4. Le jeudi 25 novembre 2010, 14:22 par le ROSE-CROIX

oui le nombre d'or est la clé du vivant , on le retrouve surtout dans les plantes avec le chiffre : 5 , mais il est aussi dans le symbolisme des nombres avec le chiffre bien connu : le 144 . à ce sujet tous les triangles au dessus de nos portes font 144° , cela vient des portiques grecs ..dans un cercle nous pouvons inscrire seulement 5 triangles avec 144° comment sommet ...et comment ne pas penser au nombre des elus dans l'apocalypse de Jean qui est de 144000 , alors les élus de la terre sont ils les amis du nombre d'or ?

5. Le dimanche 12 décembre 2010, 01:49 par Jean-Christophe Côté

Ce prélude comporte 35 mesures. Pas 34. Vérifiez vos sources avant de parler de bull-shitologues la prochaine fois. Cette désinformation me fait croire que vous en êtes peut être un.

6. Le dimanche 12 décembre 2010, 01:53 par Jean-Christophe Côté

De plus, maintenant que j'y pense. Après la mesure 21, mesure 22, la basse fait un fa# et la mesure 23, c'est un la-bémol. Il n'y a donc pas 13 mesures sur une pédale de dominante. Votre calcul est erroné.

7. Le dimanche 12 décembre 2010, 01:56 par Jean-Christophe Côté

Dernier commentaire. La basse ne descend pas constamment jusqu'au IV degré. Retravaillez-donc votre partition ainsi que votre interprétation.

8. Le dimanche 12 décembre 2010, 11:12 par Tom

Moi je dis, à ce niveau la, c'est de la rancune personnelle!
Je t'avais bien dit d 'accepter les pots-de-vin, Patrick!

Quoiqu'il en soit, pour ce prélude qui comporte bien 35 mesures, la formule rythmique et mélodique n'est écrite que sur 34 mesures.

De plus pendant la mesure 23 , la fonction harmonique est une dominante de dominante(et même pendant cette mesure 22!!), rien de plus efficace pour suggérer une dominante, donc c'est quasi kif-kif, et il ne me semble pas avoir lu que Patrick affirmait y voir 13 mesures de pédale de dominante. Juste 13 mesures pendant lesquelles y a une pédale de dom.

Et puis si, la basse descend jusqu au IV degré, et ce constamment, comme le prouve un peu d 'analyse schenkerienne de base. Franchement dire ca alors que ce fa est la conclusion d'une marche harmonique qui cherche à attirer l' attention sur elle comme une tour eiffel au milieu d' un champ d' écrous...

Maintenant, on respire, on se détend. Débattre d'une analyse, apporter des éléments contradictoires, etc, c'est très intéressant, mais quand c'est fait avec une telle arrogance, et un tel mépris, faut pas s' attendre à se faire beaucoup d'amis.

9. Le dimanche 12 décembre 2010, 18:24 par Papageno

Merci Tom :) en général je préfère ne pas répondre aux commentaires à caractère insultant. Laisser un tel commentaire publié avec le nom de son auteur est une punition bien suffisante...

10. Le dimanche 12 décembre 2010, 22:03 par Azbinebrozer

Mais n'est-ce pas plutôt un pseudo, volontairement pertinent ?

11. Le mercredi 15 décembre 2010, 19:17 par Jean-Christophe Côté

Messieurs, vous trouvez bien ce qu'il vous plaît dans ce que vous désirez. Des insultes dans mes commentaires ?
Un nombre d'Or dans mes lignes peut être ?

12. Le samedi 13 août 2011, 12:51 par jésuschrysostomo

J'ai bien lu ces quelques lignes et je ne suis pas sûr qu'il y ait une réelle intention de la part de Bach. D'ailleurs, je ne pense pas qu'il connaissait la suite de Fibonacci par exemple. Ni même la divine proportion de Vitruve. Il faut tout au moins prouver ses sources.

En revanche, je suis d'accord sur le fait qu'il jouait avec les lettres des notes et que par conséquent, il était parfaitement capable de jouer avec les chiffres.

Je pense, pour ma part, qu'il y a une réelle intuition ( et non intention) du nombre d'or dans un bon nombre d'oeuvre artistique.

13. Le samedi 13 août 2011, 23:55 par Papageno

Faute de pouvoir envoyer un email au compositeur pour lui demander son avis, on ne dispose pas de preuves autres que la partition. Le doute persiste donc.

Cela étant posé, la proportion dorée et ses approximations par la suite de Fibonacci (8/5, 13/8, etc) étaient bien connues des savants mais aussi des peintres et architectes, il serait plutôt surprenant qu'un esprit ouvert et curieux comme Jean-Sébastien Bach n'en ait jamais entendu parler. C'est plutôt de nos jours que le nombre d'or serait oublié: les architectes ont remplacé l'équerre et le compas par les logiciels de modélisation 3D. Quant aux musiciens...

Par ailleurs les preuves abondent que Bach aimait jouer avec les chiffres et avec les lettres (comme par exemple 14 = 2 + 1 + 3 + 8 = B + A + C + H qu'on retrouve ici et là). Un exemple parmi cent: la première fugue du clavier bien tempéré comporte exactement 24 entrées du thème principal. Toutes les fugues de Bach comportent une vingtaine d'occurrences du sujet, mais on peut raisonnablement supposer que ce nombre de 24 n'est pas totalement fortuit, et qu'il annonce le cahier de 24 préludes et fugues. Un autre exemple ? Le sujet de la dernière fugue (n° 24 en si mineur) couvre le total chromatique c'est à dire que chacun des douze demi-tons y est représenté. C'est un peu Schoenberg 200 ans avant Schoenberg, et là encore on a du mal à croire que ça soit un hasard. Je ne sais pas si vous avez fait du contrepoint ? La première chose par laquelle on commence lorsqu'on écrit une fugue est une analyse détaillé du sujet et de tous ses intervalles car cela détermine quels canons sont possibles. Il est tout à fait improbable que Bach n'aie pas remarqué que ce sujet utilisait les douze demi-tons, et on peut raisonnablement le soupçonner de l'avoir fait un peu exprès.