La comission européenne veut étendre les droits des interprètes sur les enregistrements à 95 ans

Actuellement, les interprètes possèdent des droits durant 50 ans après la première publication d'un enregistrement en Union Européenne. Les producteurs de disques vont bien se gardent bien de le clamer sur les toits, mais une grande partie des enregistrement réalisés dans les années 50 - et certains sont forts bons et d'une qualité technique comparable à celle d'aujourd'hui - sont libres de droits.

Les mêmes producteurs qui sont toujours prêts à entonner l'air de vous êtes tous des pirates et vous affamez les pauvres artistes ne se privent pas d'ailleurs de piller les enregistrements dans le catalogue des concurrents pour réaliser des ré-éditions. Avec quoi sont faits les coffrets Maria Callas à 1 euro le disque ? avec des archives venant du catalogue d'EMI qui sont aujourd'hui libres de droits. On pourrait aussi bien les zipper en MP3 et les offrir en téléchargement gratuit, ça serait parfaitement légal.

Mais bien sûr il ne fallait pas compter sur nos amis les marchands de disques pour regarder sans rien faire la musique enregistrée dans les années 1950, puis 1960, puis 1970 tomber dans le domaine public sans rien faire. Aussi, sous le double prétexte de s'aligner sur le droit américain et d'équilibrer la relation entre interprètes et compositeurs, et malgré l'avis fortement négatif du rapport Gowers, le commissaire commissaire européen au marché intérieur, Charlie McCreevy, a annoncé un projet de directive pour porter le délai à 95 ans. Il y a urgence: si on ne fait rien ce pauvre Johnny Halliday perdra les droits sur ses chansons à partir de 2011...

J'ai déjà eu dans ce journal l'occasion de dire que je trouve les délais de protection des oeuvres des compositeurs excessifs, contraires au bon sens, à l'intérêt général et à la créativité musicale. Prenons un exemple: les Préludes pour piano d'Olivier Messiaen, publiés en 1930, seront protégés au moins jusqu'en 2062 (si la Commission n'allonge pas le délai d'ici là). Comment appeler une rémunération garantie par l'Etat jusqu'en 2062 ? c'est une rente. Notons que pour la famille des compositeurs disparus, cette rente est souvent modeste et incertaine, car de nombreux musiciens sombrent dans l'oubli. Mais pour les éditeurs c'est une toute autre affaire...

En quoi ce système de droits est-il contraire à la créativité musicale ? Donnons des exemples. S'il avait existé au 18 è siècle, Beethoven n'aurait pas écrit de variations sur La ci darem la mano (air célèbre du Don Giovanni de Mozart). Liszt n'aurait pas pu transcrire les symphonies de Beethoven au piano, ni écrire de paraphrases sur les opéras de Rossini et Meyerber. Au 20è siècle déjà les éditeurs, leurs avocats et leurs banquiers avaient commencé à verrouiller le système. Par exemple Maurice Ravel a dû abandonner un projet d'orchestration de pièces d'Albeniz à cause d'un contrat qui conférait l'exclusivité du droit d'orchestration à un musicien espagnol. De tout temps les musiciens ont recopié, transcrit, arrangé, interprété la musique des autres. Or c'est devenu de plus en plus difficile au cours du 20è siècle.

Nous vivons aujourd'hui un grand paradoxe. Avec les ordinateurs, avec Internet, il n'a jamais été aussi facile et aussi peu cher de copier la musique, les partitions, les enregistrement, de les partager ou de les vendre. Ce qui était réservé à une élite riche et cultivée est désormais à portée de tous. Parallèlement au développement technique, le développement législatif a suivi le chemin inverse, toujours plus répressif, avec des délais de protection toujours plus longs. Osons le dire: 130 ans pour le compositeur (enfin, surtout pour son éditeur) et 95 ans pour l'interprète (enfin, surtout pour le producteur) c'est trop long, c'est contraire à l'intérêt général et à la vitalité artistique. Ramenons le délai à 50 ans après la date de publication pour les compositeurs comme pour les interprètes. Il n'y a pas de meilleur moyen pour inciter les producteurs à investir dans les nouveaux talents, plutôt que de veiller sur leur catalogue vieillissant tel le géant Fafner devenu dragon devant son tas d'or.