Messiaen à l'amphithéâtre de l'Opéra Bastille

L'opéra de Paris, qui a créé le Saint François d'Olivier Messiaen, ne pouvait pas rester en marge des festivités du centenaire. Faute d'une nouvelle production de son opéra, ou de concerts symphoniques (à l'exception d'Un Sourire qui sera donné en novembre salle Pleyel) c'est un cycle de musique de chambre (et musique pour piano) Hommage à Messiaen que nous propose cette semaine la prestigieuse maison.

Entendu donc hier, à l'Amphithéâtre de l'Opéra Bastille:

  • Kreuzspiel de Stockhausen: un piano ouvert, tourné vers le fond de la scène, le pianiste tourne le dos au public. A sa gauche, un hautbois, à sa droite une clarinette basse. Trois percussionnistes autour du piano complètent le dispositif. Le piano utilise quasi exclusivement les deux extrêmes du registre, où l'on ne distingue plus vraiment la hauteur des sons. Comme souvent avec ce compositeur, je trouve les 5 premières minutes fascinantes, et les 5 suivantes exactement comme les 5 premières, donc moins fascinantes. C'est en fait une écriture en miroir, ou en arche si vous préférez: la deuxième moitié reprend la première moitié à l'envers. Il paraît que l'œuvre avait fait scandale à Darnstadt en 1952 par son côté pointilliste, avant-gardiste, anti-mélodique: elle fait aujourd'hui partie du répertoire. Est-ce notre manière d'écouter qui a changé en 50 ans ? Sans doute.
  • Quatre Etudes de rythme de Messian par Frédéric Neuburger. Depuis les années trente jusu'au début des années cinquante, Messiaen a été à la pointe de l'avant-garde, ces études sont là pour en témoigner. Notamment la deuxième où les procédés d'écriture sériels sont appliqués non seulement aux notes mais aux nuances, aux rythmes, au mode d'attaque. Cette étude est particulièrement difficile car le pianiste doit suivre trois lignes qui évoluent indépendamment. Et il faut bien reconnaître qu'elle ne produit pas un grand effet à l'audition. Les numéros 1 et 4 (Iles de feu) sont plus colorés et plus typiques de Messiaen.
  • La Plainte, au loin, du Faune' de Paul Dukas. A l'écoute, je me demandais: quelle est donc cette musique ? stylistiquement c'est quelque part entre Debussy et Messiaen, de très belles couleurs, des harmonies raffinées à l'extrême... c'était Paul Dukas, le plus méconnu peut-être des musiciens français de cette période.
  • Sonate pour flûte, alto et harpe de Claude Debussy. Une œuvre que je connais bien pour l'avoir travaillée et jouée en concert il y a quelques années. Ayant choisi pour cette sonate trois instruments plus raffinés que puissants, Debussy, loin de chercher à remplir l'espace, allège l'instrumentation au maximum. On n'entend souvent qu'un ou deux des trois instruments, et lorsqu'ils jouent ensemble, la flûte double la harpe ou l'alto. Et pourtant, que de couleurs, que d'idées contrastées, que d'échanges entre les musiciens ! Interprétée avec une certaine neutralité qui lui convient bien (pas d'affectation, pas de maniérisme), cette Sonate révèle à la fois sa poésie et sa modernité
  • Le Marteau sans Maître, de Pierre Boulez. Retour vers les années 1950 et le style sériel. Hilary Summers (alto) interprète bravement cette partition très difficile pour la voix, à cause des sauts d'intervalle notamment. Pour l'accompagner, un (violon-)alto, une flûte alto, une guitare, trois percussionnistes (xylophone, marimba, tam-tam, wood-block, ...), Une fois qu'on s'est habitué à écouter chaque note pour elle-même, sans l'insérer dans un schéma harmonique, on peut goûter cette musique qui s'accorde bien avec la poésie de Char, même si les séries introduisent un sentiment de répétition (ou d'anti-répétition, ce qui revient au même) un peu mécanique à certains moments. Mention spéciale à Hilary Summers qui parvient à nous faire entendre quasiment chaque syllabe avec une grande netteté.

Dans l'ensemble un beau concert, servi par de magnifiques interprètes. Comme le contemporain et la musique de chambre n'ont jamais passionné les foules, il reste probablement des places pour les concerts de samedi, dimanche et lundi. A bon entendeur...