Un trio inédit de Martinů par l'ensemble Calliopée

A l'heure où sur le marché américain, les ventes de musique en ligne vont bientôt dépasser celles des disques compacts, à l'heure où les majors déversent sans discernement leur gigantesque catalogue dans des site de musique en ligne mal ficelés, à l'ergonomie douteuse et de qualité sonore médiocre, à l'heure où Internet peut donner l'illusion qu'on a accès à tout tout de suite et si possible gratuitement, il est bon de savoir qu'il existe encore des artistes et des éditeurs qui prennent le temps de réaliser des disques qui soient une nourriture pour l'esprit autant qu'un régal pour les oreilles. Qui se donnent la peine de chercher un répertoire original. Qui choisissent avec soin l'iconographie, et composent un livret digne de ce nom, où l'on trouve autre chose qu'un copier-coller du CV des interprètes.

Le double album Alpha que j'ai entre les mains est consacré à la musique de chambre de Bohuslav Martinů, avec un trio à cordes H. 136 dont c'est le tout premier enregistrement disponible en disque, un quatuor avec piano H. 287, un quintette à deux altos H. 164 et un étrange sextuor pour piano, harpe, clarinette, violon, alto, violoncelle H. 376.

Comme nous l'explique Harry Halbreich (auteur du catalogue des oeuvres de Martinů) dans le livret, le trio à cordes H. 136 fut écrit par un Martinů encore jeune en 1924 alors qu'il venait d'arriver à Paris, et de prendre quelques leçons avec Albert Roussel. Cette partition a été envoyée à Prague puis perdue, et retrouvée en 2005 seulement, à la bibliothèque de Copenhague où elle dormait depuis vingt-cinq ans. Elle marque un tournant chez le compositeur tchèque dont les 135 premiers numéros (une productivité exceptionnelle !) étaient surtout marqués par l'impressionnisme à la Ravel-Debussy mâtiné de folklore tchèque. Plus ramassée, plus intime, plus tendue, plus personnelle, cette partition annonce et contient déjà le meilleur de la musique de chambre de Martinů.

Je me souviens de l'instant où j'ai tenu le manuscript entre les mains, et j'en tremble encore m'a confié Karine Lethiec, l'altiste à l'origine de ce projet, de cette véritable aventure musicale. La passion et l'engagement des interprètes sont palpables sur le mini-documentaire d'une vingtaine de minutes réalisé par Olivier Ségard. Paris, Prague, Copenhague mais aussi la ferme de Villefavard dans le Limousin sont les étapes de ce périple. Villefavard où Martinů a été accueilli par Charles Munch lorsqu'il fuyait les nazis en 1940. Villefavard où l'album a été enregistré soixante ans plus tard...

Je vous invite à écouter des extraits de ce trio sur le site d'Alpha (qui a récemment fusionné avec aeon, dirait-on). La comparaison n'est peut-être pas justifiée sur le plan musicologique, mais surtout dans l'interprétation de Maud Lovett, Karine Lethiec, et Romain Garioud, ce trio a quelque chose de brûlant et de secret qui n'est pas sans évoquer les quatuors de Janáček, qui sont d'ailleurs contemporains de ce trio. Certains passages sont vraiment à couper le souffle, comme les murmures qui concluent adagio et pianissimo le très énergique premier mouvement. Quinze ans plus tard, lorsqu'il entama son trio à cordes, un de ses derniers chefs-d'oeuvres, Albert Roussel s'est-il souvenu de celui de son élève ?

Il me faudrait plus qu'un billet de blog pour détailler les oeuvres présentées dans ce double disque. La plus aboutie et la plus étonnante est le sextuor H. 376 qui marie ces instruments antagonistes que sont le piano et la harpe. On entend le violon jouer de la harpe, le piano se faire passer pour une clarinette, l'alto jouer à cache-cache avec les uns ou les autres, le violoncelle chanter comme un ténor d'opéra au-dessus de l'orchestre... Le titre de cette surprenante et magnifique sonate à six ? Musique de chambre. Les musiciens de l'ensemble Calliopée nagent dans ce répertoire avec autant d'aisance que des petits poissons dans l'eau du Danube, pour notre plus grand bonheur.

Commentaires

1. Le mercredi 26 août 2009, 01:50 par Jean-Brieux

"La plus aboutie et la plus étonnante est le sextuor H. 376 qui marie ces instruments antagonistes que sont le piano et la harpe."

Pas tant antagonistes que cela - à l'époque du fortepiano...

2. Le mercredi 26 août 2009, 14:29 par Papageno

Je parlais du piano moderne, bien sûr, Martinu n'a pas connu le fortepiano... dans "sur Incises" de Boulez avec 3 harpes , 3 pianos et percussions en pratique on n'entend quasiment pas les harpes.