Concert Bartholomée à la philharmonie de Liège

Relativement peu connu en France, Pierre Bartholomée a fait l'essentiel de sa carrière à Liège dont il a dirigé la Philharmonie pendant une vingtaine d'années. Il fait partie des compositeurs et chefs d'orchestre mis à l'honneur par cette même philharmonie qui célèbre cette année son cinquantième anniversaire, comme le rappelle l'actuel directeur, Jean-Pierre Rousseau dans sa présentation. En prélude aux concerts anniversaire du 7 au 9 décembre, qui permettront d'entendre la création d'une symphonie, elle proposait un concert de musique de chambre gratuit et sur l'horaire de la pause déjeuner, ce qui laisse peu d'excuses pour ne pas y assister.

Nous avons pu entendre trois pièces, par ordre chronologique inversé. La première est un trio pour flûte, alto et harpe écrit en 2001 intitulé Et j'ai vu l'âme.. elle dansait sur un fil et composé de sept moments, ou plutôt, pour reprendre la terminologie employée par le compositeur, une « phrase » constituée de sept « mots ». Chaque « mot » est un moment de musique qui est présenté, mais pas développé. Certains matériaux sont repris d'un « mot » à l'autre, ainsi que les syllabes dans une phrase. Je dois bien avouer que cette musique m'a séduit, et chaque morceau m'a paru trop court (ce qui est en général bon signe). Les harmonies sont douces tout en échappant à la banalité des formules tonales toutes faites; chacun des trois instruments est utilisé au meilleur de ses possibilités, et dialogue aimablement avec les autres. Même s'il y a des passages plus rythmiques et énergiques que d'autres, l'impression qui domine est celle d'une musique tout en douceurs qui ne s'impose pas par la force. La référence à Debussy et à sa Sonate pour flûte, alto et harpe est inévitable et d'ailleurs rappelée par Pierre Bartholomée. Si les sonorités ne sont pas aussi originales que ce qu'ont écrit par exemple Sofia Goubaïdoulina ou Kajia Saariaho pour la même formation, le tout est vraiment de très bonne facture et s'écoute avec grand plaisir.

Le compositeur nous invite ensuite à remonter un peu dans le temps (1997 je crois) pour écouter une autre série de sept miniatures, pour une formation beaucoup plus insolite: violon et trombone. Contre toute attente, cela fonctionne assez bien, y compris dans les passages où le trombone joue dans un registre plus aigu que le violon. C'est bien sûr grâce aux interprètes: d'une part la violoniste Izumi Okubo a tellement de son qu'une armée de trombones ne sauraient la « couvrir »; d'autre part Alain Pire, son partenaire, écoute et sait doser le son d'un instrument dont on oublie parfois qu'il est capable des pianissmi les plus délicats en plus d'avoir un éclat incomparable dans les nuances forte. Là encore, chaque miniature paraît presque trop courte, on ré-écouterait bien l'ensemble une deuxième fois. Pierre Bartholomé, qui parle de sa musique avec simplicité et des musiciens qui la jouent avec bienveillance, nous explique qu'il a utilisé certains « objets trouvés » dans ces pièces, c'est-à-dire des matériaux musicaux tirés d'oeuvres ou d'esquisses plus anciennes. Ce qui n'a rien d'insolite au demeurant: les compositeurs ont presque tous pratiqué l'auto-citation et l'auto-arrangement (certains plus que d'autres comme Bach ou Chostakovitch).

C'est ensuite Mezza Voce pour piano, violon, clarinette et percussions qui nous est présenté. Cette pièce écrite dans les années 1970 (c'est de la « musique ancienne » plaisante le compositeur) a été écrite à la mémoire de Louis Robert, compositeur disparu prématurément et au sujet duquel Pierre Bartholomée nous rapporte une anecdote tout à faire significative. Louis Robert avait écrit une pièce pour orchestre où l'accord de l'orchestre (le moment où tous les instruments jouent n'importe quoi en même temps), ce chaos originel, se transforme et s'organise progressivement, les musiciens utilisant des improvisations basées sur des motifs et des « réservoirs de notes ». Le chef d'orchestre arrive ensuite et prend les rênes pour une section centrale plus rythmique. Puis il pose la baguette et quitte la scène; la musique retourne alors progressivement au chaos. (Je n'ai pas entendu cette pièce: j'en rapporte simplement la description qu'en donne P. Bartholomée). Ce qui est remarquable c'est que le public habituel de la Philharmonie a très mal accueilli cette pièce lors de la création (un « gros scandale » nous dit P. Bartholomée) alors que la même pièce a connu un grand succès deux jours plus tard, donnée par les mêmes interprètes, lors d'un concert pédagogique dédié aux familles et précédé d'une courte présentation par le compositeur. Que pouvons-nous en retenir ? D'abord que le public pour un artiste est comme le vent pour un skipper: tantôt favorable, tantôt contraire, et parfois très prompt à passer de l'un à l'autre. Ensuite que les publics de mélomanes avertis (ceux qui ont un abonnement aux concerts symphonique ou à l'opéra) sont bien souvent horriblement conservateurs et frileux, enclins à juger avec sévérité tout ce qui est nouveau et qu'ils ne connaissent pas (aussi bien pour les interprètes que pour le répertoire d'ailleurs). Tandis que les publics plus divers et moins « cultivés » qu'on peut constituer lors d'occasions spéciales comme les festivals où les concerts dans des lieux insolites (usines, prisons, centre de congrès, plein air) sont souvent plus réceptifs et demandeurs d'émotions qui ne soient pas formatées ou pré-programmées.

Fermons la parenthèse et revenons à Mezza Voce. C'est un quatuor mais une seule des sept parties mobilise les quatre instruments: les solos et duos prédominent. Cette oeuvre est tendue, austère, sombre et elle parvient à créer une atmosphère très intense avec une grande économie de moyens. A titre purement subjectif, je lui trouve une force expressive sans commune mesure avec les autres pièces pourtant pas dépourvues de qualités. Notons au passage qu'elle comporte une pièce pour clarinette qui n'a pas été jouée lors de ce concert parce qu'elle est trop difficile et utilise beaucoup le suraigu. Comme je déteste cordialement le suraigu de la clarinette au-delà d'une demi-seconde, je ne saurais m'en plaindre. Cela dit on peut rendre hommage à l'excellent Jean-Pierre Peuvion, grand interprète de la musique contemporaine, qui avait joué et enregistré la pièce à l'époque de sa création.

Voilà donc un compositeur tout à fait intéressant et dont j'entendais la musique pour la première fois (sans doute parce que je ne vis pas en Belgique). Que peut-on en conclure ? Que le monde est vaste, que mon ignorance l'est plus encore et que fort heureusement il me reste bien d'autres découvertes tout aussi réjouissantes à faire.