Pour le droit au silence

Le silence est d'or, dit le proverbe. Comme le métal précieux, son cours risque la bulle spéculative tant il est devenu rare en comparaison d'une demande qui ne faiblit pas.

Notre époque se caractérise par l'invasion du bruit. Trains, avions, voitures, tondeuses à gazon ou souffleuses de feuilles: des millions de moteurs investissent et polluent l'espace sonore des villes, devenu d'une laideur ignoble que seule une forte accoutumance permet encore de supporter. Mais le pire des bruits, c'est bien sûr la musique. Musique que les machines peuvent amplifier et reproduire jusqu'à la nausée. Musique de remplissage, d'ambiance, d'ascenseur, de supermarché, produite au kilomètre et reproduite à l'infini, jusqu'à saturer la moindre parcelle d'espace sonore et nous faire perdre toute capacité à entendre notre silence intérieur, si essentiel à l'équilibre mental et physique.

Tout comme la voix parlée, la musique dérange plus que les bruits mécaniques ou naturels car elle sollicite l'attention: elle met en branle, qu'on le veuille ou non, ces zones du cerveau qui nous permettent de capter le rythme, le timbre, les hauteurs, de suivre les lignes mélodiques et de reconnaître les paroles (tout cela simultanément, ce qui constitue une petite prouesse de calcul parallèle, soit dit en passant). La musique subie provoque facilement des réactions agressives car il n'y a pas vraiment moyen de s'y soustraire: on ne peut pas détourner les oreilles comme on détourne le regard d'une scène pénible à voir. De même pour la parole, et spécialement les conversations téléphoniques car encore une fois notre cerveau, entendant la moitié d'une conversation, travaille instinctivement à imaginer l'autre. La voix parlée des publicités est spécialement pénible car elle a été travaillée afin de mieux capter l'attention: débit élevé, accents sur toutes les syllabes, compression dynamique (la compression consiste à trafiquer le signal sonore pour forcer le volume au maximum à chaque milli-seconde), slogans répétitifs et bien souvent "musicalisés"...

Les musiciens et mélomanes doivent être les premiers à s'insurger contre cet extrême abaissement de la musique ravalée au rang de remplissage sonore que personne n'écoute et que la plupart ne voudraient pas entendre. Il faut donc signer les pétitions comme celle-ci, initiée par Jean-Michel Delacomptée et destinée à la RATP. Il ne faut pas se priver en plus d'envoyer des messages au service commercial pour les insulter copieusement jusqu'à ce qu'ils débranchent ces fichus robinets à pollution sonore et restaurent la neutralité acoustique des lieux publics et la simple possibilité pour nous d'un minimum de sérénité intérieure.

Commentaires

1. Le dimanche 30 octobre 2011, 11:11 par phc

Magnifique billet, mon cher Papageno !
Et, malheureusement, quelle vérité ! Les musiques d'ascenseurs, de pub, etc, non seulement gênent plus qu'autre chose, mais en plus nous rendent idiots. De toute façon, tous les sons qui nous entourent, aujourd'hui, ne sont pas faits pour développer notre potentiel cognitif, mais plutôt pour l'amenuiser.