Fermeture de Megaupload: et la musique dans tout ça ?
Par Patrick Loiseleur le mardi 24 janvier 2012, 23:51 - Musique en Ligne - Lien permanent
On l'a appris il y a quelques jours, le site Megaupload a été fermé par les autorités américaines. Pour mémoire ce site encourageait assez activement les infractions au droit d'auteur car les utilisateurs qui apportaient les fichiers les plus "populaires" étaient rémunérés
Chez lez internautes habitués au téléchargement de films et albums gratuits
(je place gratuits
entre guillemets car les beaucoup payaient un abonnement à Megaupload pour plus de bande passante), les réactions ont été avant tout la recherche de solutions alternatives (qui ne manquent pas et ne manqueront jamais).
Chez les amoureux de la démocratie, qui sont nettement moins nombreux, c'est une inquiétude réelle et très fondée qui se fait jour. En effet c'est jeter le bébé de la liberté d'expression avec l'eau du bain, sous prétexte que l'eau du bain a été salie par les infractions au droit d'auteur. Rappelons que le droit d'auteur ne va pas de soi, qu'il a été introduit progressivement et avec certaines limites dans l'appareil législatif; et que les protections qu'il offre aux artistes (et surtout aux éditeurs et producteurs) n'ont de sens que dans la mesure où elles restent compatibles avec l'intérêt général. La commissaire européenne à la Justice l'a très bien formulé en rappelant queLa protection des créateurs ne doit jamais être utilisée comme un prétexte face à la liberté de l'internet.
. Je vous renvoie à l'excellent billet de Maître Eolas sur les aspects juridiques de l'affaire.
Et pour les musiciens, qu'est-ce que ça change ? Comme ironisait le chanteur Jonathan Coulton sur Twitter, "Y a-t-il d'autres musiciens comme moi qui voient l'argent AFFLUER EN MASSE depuis la fermeture de Megaupload ?".. Dans un article plus détaillé, le même chanteur détaille son point de vue, qui rejoint celui de Viviane Redding. A savoir que la liberté que procure Internet, les occasions de partage, de rencontre, de découverte artistique sont infiniment plus précieuses que les revenus des fabricants de disques. Coulson détaille notamment une notion intéressante de "piratage sans victime" c'est à dire sans impact négatif sur les ventes de disques ou de concerts. Et il constate qu'historiquement les musiciens ont très rarement pu tirer des revenus réguliers et conséquents de leur art: ainsi le fait qu'un certain nombre d'entre eux l'aient fait grâce à des médias comme la radio et le disque relève d'une époque peut-être révolue.
Et si la chute de l'industrie du disque pour faute d'inadaptation à un changement technologique massif pourrait chagriner les musiciens qui font de la pop (au sens large), elle n'aura aucun impact sur le disque de musique classique et contemporaine. Car c'est un marché de niche qui existe uniquement parce qu'une poignée de passionnés continue de financer souvent à perte des productions de grande valeur artistique mais d'un potentiel commercial limité. La logique purement commerciale des éditeurs fait bien partie des obstacles qu'on doit affronter, m'a confié un chef d'orchestre qui dirige un groupe de musique contemporaine à Bruxelles. Les partitions de musique contemporaine coûtent souvent très cher sans pour autant procurer des revenus décents aux compositeurs. En plus du prix excessif, le monopole produit souvent un service de très piètre qualité. Ne serait-il pas préférable pour les compositeurs et les interprètes de poster les PDF des partitions sur un site comme IMSLP ? Les compositeurs gagnent de l'argent avec les commandes et les droits d'exécution, non par les partitions qui sont tirées en trop petit nombre pour que ça soit rentable. Et de toute façon peu nombreux sont ceux qui en tirent un revenu suffisant pour éviter d'avoir une autre activité comme l'enseignement en parallèle.
Au contraire, je pense que les possibilités de partage gratuit ou quasi-gratuit de contenus numériques ouvrent aux artistes qui font de la musique contemporaine en particulier (compositeurs et interprètes) des possibilités nouvelles non seulement de faire connaître leur travail et de partager leur passion mais aussi de gagner plus d'argent (bien que ça ne soit pas leur motivation première). Mais pour cela il faut faire une révolution mentale et passer de l'économie de la rareté à celle de l'abondance, de la logique des éditeurs à celle des artistes. Il faut notamment que les musiciens désertent les rayons des sites marchands pour peupler ceux des sites alternatifs comme Jamendo ou Magnatune. Et peut-être le droit d'auteur est-il à revoir entièrement. Est-il vraiment raisonnable que les préludes écrits par Olivier Messiaen dans les années 1930 soient protégés jusqu'en 2060 et peut-être au-delà ? A qui un tel monopole profite sinon aux éditeurs et à des ayants-droit qui n'ont rien fait à part naître ? Au XXIe siècle, n'est il pas plus approprié pour un créateur de distribuer son travail sous une licence libre de type Creative Commons ? Et d'utiliser les matériaux ainsi fournis par d'autres créateurs dans ses propres oeuvres ?
Commentaires
Tu m'as grillé sur ce coup, je comptais faire un billet sur la fermeture de Megaupload. Je vais m'arranger...
En tout cas, très beau résumé de la situation catastrophique dans laquelle nous vivons.
Et dire que Megaupload me servait un peu... maintenant c'est fini, je vais aller sur d'autres plates-formes de téléchargement.
Comme sujet intéressant et un brin polémique il te reste la "licence globale" qui figure dans les 60 propositions de François Hollande...
Je en connaissais aucune de ces propositions, et maintenant une... ! quel est le principe de cette licence globale, en fait ? (j'ai ma petite idée, mais n'en suis pas sûr)
En gros, c'est une arnaque. Les détails suivront dans un prochain billet.