Un nouveau départ

Je garderai un souvenir très ému de ce récital de fin d'études à Liège. Il marque symboliquement la fin d'un parcours de cinq ans jalonné d'obstacles, de découvertes, de rencontres. Si je n'ai pas pu programmer quelques pièces récentes qui me tenaient à cœur, comme celle que j'ai écrite pour 13 altos ou encore Khronos pour deux pianos, en réunissant quelques amis, j'ai tout de même pu proposer un programme de musique de chambre instrumentale et vocale assez présentable. Je suis infiniment reconnaissant à mes amis Yseult Kervyn de Meerendre, Philippe Hattat-Colin, Jacques L'Oiseleur des Longchamps, Brigitte Foccroule, Vincent Royer et Rudy Mathey d'avoir rendu ce moment unique et très émouvant en plus d'avoir fourni des prestations professionnelles du meilleur niveau.

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Le jury m'a accordé une « cote » tout à fait honorable et surtout prodigué des conseils bienveillants mais justes et lucides. Pierre Bartholomée en particulier m'a encouragé à toujours chercher à aller au-delà de ce que je sais déjà faire et que je maîtrise déjà bien. À m'appuyer sur la maîtrise technique que j'ai acquise sans jamais m'en contenter. Tout un programme...

C'est un moment important de ma vie de compositeur, cependant ce n'est ni un point culminant ni un point final. J'ai maintenant un réseau en Belgique, des contacts qui sont aussi des amis, des projets pour les années à venir.

Il faut mourir pour renaître, quitter sa vieille peau pour compléter sa mue. Hasard ou fatalité, cette année qui a vu mes premiers succès comme compositeur professionnel (un prix au rencontres de Cergy-Pontoise, une commande rémunérée pour le festival d'Auvers-sur-Oise en 2014) aura également vu l'écroulement de mon couple et du projet de famille qui occupaient une place centrale dans ma vie depuis que j'ai l'âge de voter ou presque. Des pièces comme La Victoire de Guernica expriment surtout le travail de deuil pour m'habituer à une nouvelle vie en l'absence de celle que j'aimais comme un fou et que j'aime toujours en dépit de toute logique. Bien qu'elle soit moins spectaculaire vue de l'extérieur, la dévastation intérieure que j'ai connue n'est pas moins grande que celle qu'ont sans doute expérimentée les survivants de Guernica au matin du 27 avril 1937. Comme eux j'ai appris une leçon essentielle, celle de l'espoir qui ne meurt jamais, celle de la joie qui se cache dans l'expression même de la douleur. J'ai reçu ce qu'on gagne sans même en être conscient chaque fois qu'on perd quelqu'un qu'on aime.

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Comme le montagnard qui atteint un col après une rude ascension, ce moment est pour moi celui où l'on souffle un peu, où l'on jette un regard rapide sur le chemin parcouru et la vallée traversée avant de se tourner à nouveau vers l'ascension qui se poursuit. Je garderai toutes sortes de souvenirs du conservatoire de Liège : il y eut des moments comiques, agréables, difficiles ou même douloureux, mais c'est avant tout la gratitude qui domine. J'ai envie de remercier mes professeurs mais aussi tous les étudiants qui m'ont aidé d'une façon ou d'une autre, parfois sans même le savoir... pour ne citer qu'un seul nom, il suffit de voir le clarinettiste Rudy Mathey en scène pour prendre une sacrée leçon de musique. Quelle présence en scène, quelle intensité dans le jeu ! J'ai eu la chance de collaborer avec lui sur plusieurs projets et j'espère que nos chemins se croiseront à nouveau. Il y a bien des choses qu'on pourrait déplorer ou critiquer au Conservatoire de Liège, mais il y a aussi une énergie, un bouillonnement créatif, une liberté qu'on ne trouve pas ailleurs. L'esprit d'Henri Pousseur imprègne encore les murs...

Il y a cinq ans, j'étais fébrile, insatisfait, tendu : je savais où je voulais aller mais pas quel chemin emprunter. La souffrance causé par le décalage entre ma vie professionnelle et mes aspirations profondes, refoulées mais irrépressibles, était intense. Les absurdes limites d'âge des conservatoires français et certaines rencontres déterminantes comme celle de Pierre-Henri Xuereb m'ont conduit vers un chemin détourné, parsemé de difficultés qui m'ont sans doute davantage aidé à grandir que les parcours mieux balisés et plus faciles. Je suis aujourd'hui calme, heureux, déterminé ; j'ai gagné une nouvelle famille constitué des quelques fous qui mettent le meilleur de leur énergie au service d'une musique qui ne vise ni le succès commercial ni la séduction immédiate, car elle s'est fixée des objectifs bien plus élevés. Une musique qui cherche à émouvoir au plus profond de l'âme, à exprimer des vérités si secrètes et si importantes qu'on ne peut les dire avec des mots. Une musique qui mérite qu'on lui consacre sa vie.

À tous mes amis de Liège : un immense merci à chacun de vous. Restons en contact. À tantôt !

(photo: Statue d'Albert 1er a Liège, par L'Oiseleur des Longchamps)