samedi 16 avril 2011

Pina, de Wim Wenders

Le dernier film de Wim Wenders est un hommage à la danseuse et chorégraphe Pina Bausch qui s'intitule tout simplement Pina. Tourné pour l'essentiel à Wuppertal, avec la troupe du Tanztheater, ce film n'est pas conçu comme un documentaire mais plutôt agencé comme une chorégraphie cinématographique. On voit bien sûr des ballets de Pina Bausch, en commençant par l'un des plus anciens, le Sacre du Printemps, en passant par le célèbre Café Müller, et en terminant par Vollmond, magnifique hymne à la jeunesse.

En voyant ces chorégraphies, ce qui me frappe soudain, c'est la similitude entre le travail du chorégraphe et celui du compositeur. A l'instar du musicien, il sculpte le temps (et ce plus encore que l'espace); et il dépend des interprètes qui vont incarner sa création, lui donner chair, sang et souffle. La rigueur toute mathématique de la composition (musicale ou chorégraphique) vient à la rencontre des corps, du vivant, pour créer la beauté et l'émotion. Peut-être est-ce plus évident chez Pina Bausch que chez d'autres chorégraphes, mais de nombreux gestes me font penser à leur équivalent musical. Ainsi lorsque huit danseurs mâles exécutent en canon la même série de gestes sur une danseuse: lui toucher le menton, lui tapoter le mollet, lui caresser l'oreille, l'étreindre par la taille pour la soulever, etc. On trouve aussi des formes de contrepoint plus libres, lorsque deux couples de danseurs, l'un à l'avant-plan, l'autre à l'arrière plan exécutent des mouvements totalement différents. Ou encore des séquences répétées en accelerando, jusqu’à la rupture et au silence...

C'est surtout une série de portraits que Wim Wenders nous proposent, ceux des danseurs de la compagnie de Wuppertal qui exécutent des solos et duos en hommage à Pina Bausch. Très peu de paroles: chacun, dans sa langue maternelle (croate, italien, coréen, allemand, français...), dit quelques phrases pour évoquer un souvenir, une anecdote, une pensée. Malgré l'économie de mots, on sent un lien affectif très fort entre Pina Bausch et ceux qui ont travaillé parfois vingt ans et plus dans sa troupe.

Ce film a également fait parler de lui comme étant le premier film en 3D qui ne soit pas un machin hollywoodien à gros budget. Certains ont jugé que la 3D n'apportait pas grand-chose, d'autres qu'elle restituait mieux l'art des danseurs qui après tout ne sont pas des êtres bi-dimensionnels et dansent dans l'espace. En fait le réalisateur nous donne lui-même son idée de la la 3D dans une des scènes du filme: deux danseurs parlent de Café Müller devant une grande boîte rectangulaire, ouverte sur un côté, où l'on voit une maquette du décor (essentiellement des tables et chaises de bistrot). Et puis on voit la maquette s'animer avec des danseurs minuscules. Voilà donc le cinéma en 3 dimensions, nous dit Wim Wenders par ce biais: c'est une boîte qui contient non des images mais la scène d'un théâtre, avec sa profondeur. L'écran blanc du cinéma prend alors la place du quatrième mur invisible qui sépare les artistes du public dans un théâtre.

Schwebebahn_ueber_Strasse.jpgL'avantage du cinéma c'est qu'il permet de sortir des murs du théâtre et de nous montrer les danseurs dans un parc public, une carrière, une usine désaffectée, devant un carrefour animé, dans une rame du Schwebebahn (métro aérien). Là encore, le message est clair même s'il reste implicite: tout peut devenir décor, l'art possède le pouvoir d'animer voire de sanctifier tout lieu où il se produit.

Les transitions d'une scène de danse à une autre, d'un portrait immobile d'un danseur à son portrait en dansant sont très soignées: ainsi on peut passer d'une scène à l'autre sans interrompre la musique. Autre technique employée par Wim Wenders, le mélange: la même chorégraphie est jouée par trois troupes de danseurs ayant les mêmes costumes, mais pas le même âge: en passant et repassant d'un groupe d'âge à un autre sans que le ballet soit interrompu, le cinéaste nous propose de méditer sur le temps bien sûr mais aussi sur la permanence d'un art vivant comme la danse. L'ensemble des scènes du film suit un plan bien précis, et certains éléments la traversent comme un fil rouge: ainsi cette procession de tous les danseurs répétant quatre gestes simples qui représentent les quatres saisons, traversant le temps et la ville, qui ouvre le bal et clôture le film.

Film d'hommage, donc, dans lequel Wim Wenders a pris soin de représenter non pas ce qui a disparu avec la mort de Pina Bausch, mais plutôt ce qui vit toujours dans son art. Film riche en émotions, où l'on trouve l'expression de certaines souffrances, mais aussi et surtout un sentiment de joie profonde et communicative.