Le journal de papageno

J'avais peur que le Palais Garnier soit un peu grand pour la musique de chambre: de fait, bien qu'on entende chaque note avec précision, du fait de la taille de la salle, les timbres ne sont pas très riches, le violon paraît un peu maigre, le violoncelle manque un peu de chaleur et le piano de profondeur harmonique.

Pour ne pas déroger aux rituels des concerts de musique contemporaine, les musiciens sont tous en noir (est-ce pour célébrer l'enterrement de la musique occidentale ?) et une universitaire (trop) érudite présente brièvement les morceaux. Comme si la musique ne se suffisait pas à elle-même et qu'on avait besoin de mots pour préparer nos oreilles.

Le public, enfin: assez nombreux, pas mal de touristes y compris anglais, japonais. A en juger par les applaudissements timides voire absents chez certains, la soirée a été plutôt choisie en fonction de la date, afin de profiter d'un séjour de fin d'année dans la capitale, qu'en fonction du programme. Il est vrai que ce type de musique se prête moins bien au délirantes manifestations de joie du public qu'un opéra italien.

• Ligeti: trio pour violon, cor et piano Un hommage explicite à Brahms, qui a écrit pour la même formation. Mais c'est bien du Ligeti qu'on entend dès les premières notes, et les références appuyées au romantisme allemand n'en font pas pour autant un pastiche. Notons la superbe performance du corniste Vladimir Dubois, et les très belles couleurs de l'ensemble dans l'adagio final.

• Saariaho: Cendres pour flûte en sol, violoncelle et piano Une pièce assez courte dans la mouvance spectrale, c'est à dire accordant une grande importance au timbre, au son qui est travaillé comme pour une composition électro-acoustique, bien que cette pièce utilise des instruments traditionnels. C'est assez réussi, d'une discrète poésie, décidément cette compositrice que je connais encore assez peu (j'aimerais entendre ses opéras) me séduit de plus en plus.

• Takemitsu: Quatrain II pour clarinette, violon, violoncelle, piano. Cette formation initiée par Messiaen a été reprise par de nombreux compositeurs au 20è siècle. L'adjonction d'une clarinette au classique trio avec piano donne une profondeur réellement orchestrale à l'ensemble. Dans certains passages ou violon, violoncelle et clarinette jouent à l'unisson, on pense clairement au Quatuor pour la fin du temps. D'autres passages évoquent plutôt Schönberg, ou encore la musique traditionnelle japonaise. C'est tout le génie de Takemistu d'avoir lancé des ponts entre des cultures musicales si éloignées, et créé un style personnel se nourrissant d'autant d'influences.

• Carter: Tempo et Tempi Mélodies pour soprano, hautbois, clarinette, violon, violoncelle. On n'a pas les textes et c'est bien dommage. Le programme qui nous donne le CV détaillé des interprètes (et franchement, quel intérêt y a-t-il à apprendre dans quel CNR le clarinettiste a fait ses études ?) ne donne ni les textes ni leur traduction, ni même le titre et le nom des auteurs. Heureusement, la base de l'IRCAM nous apprend qu'il s'agit de Montale, Quasimodo et Ungaretti, ce qui prouve que Mr Carter a du goût.

• Carter: Triple duo pour violon, violoncelle, flûte, clarinette, piano et percussion Une écriture virtuose et complexe, notamment pour le rythme; des dialogues deux par deux, paire par paire, et ainsi de suite; une interprétation impeccable; mais le tout me laisse plutôt froid, pour une raison que j'ai du mal à définir. Peut-être me manque-t-il quelques neurones pour faire la connexion entre les zones analytiques du néo-cortex et le noyau accumbens (également appelé zone du plaisir ou de la récompense). En clair: je ne dois pas être suffisamment intello, en dépit des apparences...