Sale temps

La neige colle à mes semelles. Une neige sale et durcie qui se tasse mais ne veut pas fondre en ce début Janvier glacial. J'ôte mon bonnet pour entrer dans l'église. La cérémonie a déjà commencé. Des chants. Des fleurs. De la musique. On lit l'évangile des béatitudes: Heureux les pauvres de cœur ... Heureux ceux qui pleurent.

Lors de son prêche, le prêtre nous confie: j'aurais aimé apprendre le violon. Il nous dit également qu'il écoute chaque année le concert du nouvel an à la télé et que la belle musique nous remplit le coeur de joie.

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A nouveau des chants, de la musique, des prières. Puis l'on défile un à un, lentement, devant le cercueil chargé de fleurs et décoré d'une photo.Certains saisissent le goupillon pour l'asperger d'eau bénite. D'autres lui envoient un baiser, ou bien restent comme moi, stupides, les bras ballants.

Je la connaissais peu à vrai dire. Ayant été son voisin de pupitre à l'orchestre Ut Cinquième, j'appréciais sa bonne humeur constante, son caractère facile, son ironie légère mais sans méchanceté, son jeu musical très sûr. Nous avions perdu le contact depuis un an. On m'avait vaguement dit qu'elle était malade, mais j'ignorais la gravité de la situation.

La cérémonie s'achève. Le cercueil est chargé dans un camion gris, recouvert de vraies fleurs qui ont l'air plus fausses que les fleurs en plastique. Inutile de saluer la famille, qui a précisé ne pas vouloir recevoir les condoléances, et que je vois pour la première fois. Il n'y a plus rien à faire, plus rien à dire.

Sur le chemin du retour, quelques notes me reviennent en mémoire. Il s'agit d'une pièce de Bach (la sarabande de la cinquième suite) qui m'a toujours intrigué par son dépouillement extrême. Une ligne mélodique sinueuse, très lente, lourde de tensions, de chromatismes et de dissonances. Voilà des années que je ne l'ai pas jouée mais elle me revient en mémoire tout entière, je l'entends comme si on la jouait à côté de moi. J'entends même quelque chose d'autre, que je ne percevrais pas avant; un souffle, une vibration secrète. Ce message codé entre les notes, j'en suis sûr maintenant, ce n'est pas le vide. C'est l'absence.