Festival Présences le 6 mars 2009 à la Maison de la Radio

La salle Olivier Messiaen de la Maison de la Radio est quasiment pleine pour ce concert du Festival Présences. Grâce à la générosité des contribuables français, non seulement c'est gratuit, mais il y a un vestiaire, des programmes pour tout le monde, une organisation impeccable. Amis qui payez la redevance, merci !

C'est Michaël Levinas qui ouvre les festivités avec deux études de Ligeti pour piano: Désordres et Cordes à vide. La première est une toccata d'une virtuosité diabolique. C'est un flux continu de notes qui sont regroupées de manière irrégulière (par exemple 4, 5, 7, 3, 6, etc). Je vous renvoie à la thèse de Karol Beffa (disponible dans les bonnes bibliothèques universitaires) pour une analyse plus détaillée. Lévinas évite de trop marquer les accents, ce qui nous permet d'entendre un vrai fouillis de notes, exactement l'effet voulu par le compositeur. Par comparaison, la version d'Andaloro qu'on peut écouter sur YouTube est plus accentuée, plus dure à l'oreille:

La deuxième étude, avec des quintes qui évoquent un violon qui s'accorde, est également jouée avec beaucoup de sensibilité et d'intelligence.

C'est encore Levinas, mais le compositeur, qu'on entend ensuite, dans Evanoui pour orchestre. La disposition est un peu particulière: à gauche, un groupe constitué d'un pianoforte, deux guitares, deux harpes, un synthétiseur, un piano moderne. Au centre violoncelles et contrebasses. A droite les violons (et les altos derrière eux). Derrière les vents et percussions. Et des hauts-parleurs qui diffusent une bande pré-enregistrée. Lévinas utilise les instruments par groupes. Ainsi l'entrée des cordes se fait dans une véritable forêt de pizzicatos, qui n'est pas sans évoquer l'étude de Ligeti entendue juste avant. On ne distingue pas chaque instrument, mais un ensemble un peu comparable au bruit de la pluie sur une vitre, ou du vent dans les branches d'un sapin, ou du ressac dans une grotte marine. Dans la notice le compositeur explique: la polyphonie-timbre est obtenue par des superpositions de tempi faisant évoluer des processus harmoniques et des agrégats complexes Vous n'y comprenez rien ? Moi non plus mais c'est sans importance. Il suffit de se laisser bercer par cet orchestre semblable à un océan de sons dont on ne perçoit que les grandes vagues.

Après un entracte, l'orchestre philharmonique de Radio-France ayant retrouvé sa disposition habituelle nous donne Fulgur de Serge Nigg, un compositeur disparu l'an dernier. La notice nous raconte qu'après avoir essayé le sérialisme pur et dur dans les années 1950, il est revenu à des choses plus néo-classiques ou néo-romantiques. Cette partition de 1969 déborde d'une énergie joyeuse et féroce à la fois. Elle me fait penser à certains poèmes symphoniques de Liszt comme Les Préludes, ou à certaines musiques de film, avec un langage harmonique plus moderne cependant, plus complexe et plus dissonant. Plusieurs motifs mélodiques qu'on reconnaît aisément à l'oreille structurent la partition, et permettent également de mettre en valeur des instruments solistes, flûtes, hautbois, cordes. Certains effets comme la trompette qui joue dans le pavillon du tuba sont assez farce. Pascal Rophé qui dirige sans baguette prend véritablement cette partition à bras-le corps, suivi avec enthousiasme par les musiciens de l'orchestre. Au fond le plus surprenant est que le public reste tranquillement assis à écouter au lieu de se lancer dans une danse tribale frénétique ou une orgie sexuelle en poussant des cris de bêtes. Mais nous sommes en 2009, et plus en 1969.

Enfin c'est un Concerto pour deux altos de Bruno Mantovani, avec Tabea Zimmerman et son meilleur élève, Antoine Tamestit, en solistes. Dès les premières notes leur complicité fait vraiment plaisir à voir et à entendre. Comme tous les bons altistes aujourd'hui, ils sont familiers des langages contemporains, et jouent les col legno, sul ponticello et autres pizz. Bartok avec autant de naturel que Rolando Villazon produit un contre-ut. La notion de conflit est au centre de mes préoccupations, écrit le compositeur dans la notice. C'est un peu surprenant, la récurrence des formulations négatives lorsqu'il parle de sa musique. Autre exemple: je n'ai pas écrit Little Italy pour l'alto, mais contre lui ! à propos d'une pièce pour alto seul dont nous reparlerons peut-être dans ce journal. L'alto étant l'instrument de l'orchestre qu'en génral on n'entend pas, écrire (et jouer) un concerto pour alto demande une attention particulière afin que le soliste ne soit pas couvert par l'orchestre. Dans ce concerto les deux solistes sont toujours parfaitement audibles, autant par la qualité de l'orchestration que par celle de l'interprétation (les musiciens du philarmonique sont capables de pianissimos vraiment extrêmes). Il y a une certaine violence, et même parfois une certaine brutalité, dans cette partition, mais c'est à mettre au crédit des musiciens de ne pas avoir cherché à la gommer par une interprétation trop lisse ou trop sage, mais de la livrer telle quelle au public, où chacun peut ensuite réagir selon sa sensibilité. Dans son enthousiasme, Tamestit a même cassé une corde, et il a dû échanger son instrument avec l'alto solo de l'orchestre (rien à voir cependant avec les mésaventures de Yuri Bashmet, dont le cordier tout entier avait sauté en concert). Ce double concerto sera repris le 20 mars en Belgique avec le philarmonique de Liège.

Avec deux créations et une oeuvre rare au programme, une virtuosité et un engagement des interprètes sans équivalent dans les orchestres français, ce festival se montre à la hauteur de sa réputation. Il se poursuivra aujourd'hui et demain avec des oeuvres de Tessier, Lingberg, lutoslawski, Charvet, Reich, Dazzi, Lemaître, Kishino, Stravinsky.