Un an de prison ferme pour les "pirates" suédois

La presse généraliste a abondamment commenté le verdict d'un tribunal suédois qui condamne plusieurs personnes à un an de prison ferme pour avoir opéré un site servant à organiser le téléchargement (illégal) de musique, de films et de logiciels. Au passage les journalistes ne se sont pas privés de donner le nom et l'adresse internet du site en question, ce qui est soit très généreux soit un peu stupide de leur part. Rappelons plusieurs faits:

  • Ces pirates ne sont pas de gentils hippies qui opèrent leur site dans un garage sur leur temps libre mais des professionnels et des hommes d'affaires avisés. Leur site génère des millions de visites et les revenus des bannières publicitaires sont en conséquence.
  • Ils ne proposent aucun contenu créatif ou constructif, leur site a pour seul et unique but d'organiser le téléchargement massif de films, musique, jeux vidéos, logiciels, etc
  • Le nom de "pirate" est certes mal choisi pour désigner leur activité. C'est un terme fabriqué par les majors du disque (et les géants du logiciel comme Microsoft) qui s'est imposé dans le vocabulaire courant. Le mot de "parasite" serait déjà plus proche de la réalité. A quoi pourrait-on comparer leur activité ? Peut-être à un magazine qui donnerait mille et un tuyaux pour frauder les impôts et la sécu (sur de petits montants) en ayant peu de chances de se faire pincer. Le préjudice est réel et globalement important mais difficile à quantifier et noyé dans la masse.
Vous l'aurez compris, j'éprouve assez peu de sympathie pour ces escrocs à la petite semaine qui se posent en défenseurs des libertés individuelles et des gentils internautes contre les méchantes majors. Je trouve même assez surprenante leur popularité (on parle même en Suède d'un "parti des pirates" qui voudrait se présenter aux élections du Parlement Européen).

Un autre débat, plus technique, concerne les moteurs de recherche. Si les pirates suédois sont poursuivis en justice, est-ce que Yahoo ou Google doivent l'être ? En effet les moteurs de recherche américains incluent les "torrents" qui permettent de télécharger illégalement des films ou des albums dans leurs indexes. Cela dit les pirates suédois n'hébergeaient par seulement les torrents qui décrivent un fichier à télécharger mais aussi les trackers qui sont indispensables pour connecter entre eux les utilisateurs de bittorrent. Laissons le débat technico-juridique aux spécialistes, et notons simplement  une petite différence de business plan entre un moteur de recherche généraliste et un moteur de recherche spécialisé dans le téléchargement illégal. Différence qui n'est pas si grande au demeurant, car dans les deux cas l'internaute est quasiment obligé de passer par le moteur de recherche qui capte les revenus publicitaires, au détriment des producteurs de contenu (un cas d'école étant les agrégateurs d'articles de presse comme Yahoo News ou Google News).

Internet et le MP3 sont des outils formidables pour les musiciens qui veulent faire connaître leur travail et partager des enregistrements avec le plus grand nombre. C'est une possibilité que j'ai utilisé moi-même pour partager quelques enregistrement réalisés lors de concerts d'amateurs (et qui est utilisée également par de nombreux ensembles comme Ut Cinquième). Les enregistrements en question n'ayant pas de valeur commerciale, la question de leur piratage ne se pose même pas à vrai dire.

Mais si c'est une chose que les artistes aient la possibilité de poster gratuitement des enregistrements pour les partager avec le monde entier, c'en est une autre que de poster gratuitement, et sans leur demander leur avis, le produit de leur travail. Est-ce donc immoral que de chercher à produire des enregistrements de qualité professionnelle (ce qui coûte cher) et de chercher à les vendre ? Et peut-être même de gagner de l'argent avec ?

L'argument choc mis en avant par des groupes d'internautes comme "le réseau des pirates" est "nous sommes des millions à télécharger des albums, et ils veulent faire de nous des pirates". Le mot de pirate est mal choisi, je l'ai déjà dit, mais ça n'est pas parce qu'une mauvaise action est commise par de nombreuses personnes qu'elle devient bonne. Il y a peu d'années, il y avait des millions de gens en France qui roulaient à 150 ou 180 sur les autoroutes, ou qui fumaient sur leur lieu de travail. Ce qui ne faisait pas d'eux des bandits de grand chemin ! Mais la loi a changé, les sanctions ont changé, et leur comportement a changé. Pour le téléchargement sur Internet, c'est la même chose: tant que le bénéfice des quelques euros économisés sur l'achat du disque ou du DVD excédera les inconvénients et les risques de sanction, le téléchargement abusif continuera sur une échelle massive. Monsieur Tout-le-monde n'est pas un criminel mais ça n'est pas non plus un saint...

(petite correction après coup: il semble que le terme pirate pour désigner les infractions au droit d'auteur soit aussi ancien que le droit d'auteur sinon plus, puisqu'il est attesté dès le XVIIe siècle en Angleterre si j'en crois l'article Copyright infrigement de Wikipedia. Il faudra que je vérifie d'ailleurs mais je crois me souvenir d'une préface où Balzac appelle flibustiers les éditeurs qui imprimaient ses romans en Suisse ou en Belgique, bourrés de fautes et naturellement sans lui verser un centime).

(mise à jour le 24 avril 2009: les avocats vont demander une annulation du procès au motif que l'un des juges était membre de plusieurs lobby de la propriété intellectuelles, équivalents suédois de la RIAA aux Etats-Unis ou de l'APP en France. Ce qui fait mauvais genre évidemment, surtout si l'on considère la sévérité de la peine. Par ailleurs si l'on en croit le site anglais The Register, l'un des quatre pirates, celui qui se chargeait des finances en particulier, ressemblerait davantage à un néo-nazi doté d'une solide fortune personnelle qu'à un gauchiste vivant dans une caravane. Une occasion de rappeler que les site de p2p sont aussi et entre autres un lieu privilégié d'échange de vidéos révisionnistes ou de matériel pédo-pornographique, même si cela dépasse de loin le cadre de ce journal...)

Commentaires

1. Le samedi 18 avril 2009, 23:20 par Sylvain

Bonsoir Patrick,

J'adore vous lire car on sent que ca vous prend aux trippes cette histoire.

Vos arguments sont très intéressants mais vous pointez vous même les contradictions de ces nouveaux modes de diffusion. Ils sont utiles pour les artistes mais en même temps ils révèlent notre individualisme et comportements de "cavaliers seuls". Mais se focaliser seulement sur la demande en parlant de ces sujets est à mon avis une erreur car l'absence d'offre de qualité est tout de même flagrante.

Et puis on en fait beaucoup avec cette histoire de téléchargements car la plupart des gens n'ont de toutes les façons jamais vraiment acheté beaucoup de disques. Regardez autour de vous, vos amis, combien ont ils de disques chez eux ? mp3 ou pas mp3 ca ne change finalement pas grand chose pour la majorité des gens. Ils achetaient un Mylène Farmer tous les trimestres et maintenant c'est tous les semestres ? J'avoue que ca ne me rend pas malheureux et encore moins militant contre ces comportements "pirates".

Pour les autres, les gros consommateurs culturels d'hier ? Ce sont souvent aujourd'hui aussi de gros "pirates", mais la plupart seraient surement prêts à payer pour un service à la hauteur. Mais aucun service de ce type n'existe aujourd'hui. Amazon et Universal ont bien essayé quelque chose aux USA mais ca n'est jamais arrivé chez nous....

Militer pour la liberté de "télécharger" sans payer en comparant le droit au téléchargement au logiciel libre est une anerie monumentale dont se sont persuadés pas mal d'informaticiens fasciné par le modèle de la licence GPL. Mais refuser les nouveaux modes de diffusions et faire obstruction à une offre digne online de ce nom est aussi révoltant.

A force de vouloir faire de la musique un produit, de produire des clips qui ressemblent à des pubs, des singles qui ressemblent à des sonneries de tél et de tous baser sur le support qu'il faudrait renouveler entièrement tous les 5 ans ("changez tout vos vinyles, le CD c'est pour la vie...") les majors ont scié la branche sur laquelle ils étaient assis... les artistes. Mais ce n'est pas au consommateur de trouver un nouveau mode de diffusion, c'est aux "producteurs", je veux dire aux "offreur", ces fameux majors et les artistes inscrits chez eux.

Mais tout ca est tellement mal parti, et totalement réorienté vers le téléchargement, la diffusion gratuite ou des produits dérivés qui n'ont de sens que pour le téléchargement (disques durs, clés usb, offres de téléphonie, CD/DVD, deezer/imeem/musicme). Aussi bien qu'à terme je vois mal comment cette histoire peut se terminer autrement que par une licence globale. D'ailleurs le site dont vous parlez dans votre blog avait décidé de proposer un téléchargement "incognito" pour 5€ / mois, et ils ont été submergés de demandes.

Je vois bien ce qui vous révolte: nous ne sommes pas citoyens et nous comportons comme des idiots individualistes. C'est vrai, mais nous faisons tous tous les jours des aneries individualistes sans penser une seconde aux conséquences pour les autres. Le devoir de l'Etat Providence c'est d'encadrer tout cela afin d'éviter que ca ne dégénère... et pour l'instant, c'est mal barré ! ;-)

Sylvain

2. Le dimanche 19 avril 2009, 10:04 par Papageno

cher Sylvain, il y a tant de points intéressants dans votre réponse que je ne pourrai tous les commenter. Quelques remarques tout de même:

- L'offre légale de musique n'est pas si minable que ça: pour quelques euros par mois, neufmusic propose par exemple un accès à tous le catalogue Universal, et rien qu'avec le rayon classique, il y a plus que je ne pourrai écouter, et la qualité des artistes et des enregistrements est incontestable. Celle de la compression WMA l'est beaucoup moins, mais au total la qualité du son est au moins aussi bonne qu'à la radio, et l'on peut butiner ce qu'on veut.

- D'une certaine manière la "licence globale" ou plutôt les licences globales existent déjà: ce sont les sites avec abonnement. Le même mode de diffusion pourrait marcher pour les vidéos. Par exemple Dailymotion ou Youtube pourraient proposer un accès "premium" à quelques euros par mois qui permette de regarder les séries télé (une des cibles favorites des téléchargeurs). Mais il ne faut pas se faire d'illusions, très peu de gens souscriront à ces offres tant que le même contenu sera disponible gratuitement et quasiment sans risque sur les réseaux pirates.

- Le CD audio c'est une question de génération: il y a des centaines de disques dans mon salon, et aucun chez mon petit frère qui a 10 ans de moins que moi. Tout sur le disque dur de l'ordinateur ! Et si l'on compte les CD prêtés par un copain et rippés, les mp3 téléchargés ou échangés sur clé USB avec un pote, le prix de revient moyen par album doit être très inférieur à 10 euros...

- Quant au téléchargement "incognito", c'était 5 euros par mois dans la poche des pirates et 0 pour les producteurs. Rien à voir avec une quelconque licence globale !

3. Le dimanche 19 avril 2009, 10:22 par Sylvain

D'accord avec tout ce que vous dites Patrick sauf sur un point: la propension a payer des pirates.

A mon avis les "gros consommateurs culturels" qui achetaient des CD hier et qui ne les achètent plus aujourd'hui n'ont pas quitté les bacs de la Fnac simplement pour des raisons pécunières mais avant tout parce qu'un nouveau catalogue illimité et accessible instatannément s'est ouvert à eux via le Net.

C'est pour cela que je pense que la question d'argent est secondaire, sauf pour les "petits consommateurs culturels". Ils constituent la majorité des gens, comme hier déjà. Ils n'achètent toujours pas de disques, mais certains pirates beaucoup simplement pour accumuler de fichiers audio.... Ils ne sont en général pas prêts à payer quoi que se soit mais à la limite ca ne change rien car hier non plus.

Avant d'avoir été doublé par Deezer, MusicMe offrait une "licence globale" pas mal du tout et j'avais pris un abonnement. Mais l'utilisation n'était pas très pratique et c'est trop souvent le cas de ces sites car ils s'inquiètent trop du piratage. C'est je pense idiot car le piratage existe déjà.

Je voulais juste vous répondre une ligne pour dire "je suis d'accord avec vous" et puis finalement je suis trop bavard... comme d'habitude. C'est un sujet qui m'exaspère pas mal car je n'ai pas la réponse et j'aimerais que nous ayons le meilleur des deux monde: citoyenneté et disparition des comportement de "free riders" et ce nouvel accès à un catalogue musical incroyable.

Bonne journée.

Sylvain

4. Le dimanche 19 avril 2009, 15:52 par DavidLeMarrec

Merci à vous deux pour ce point très riche.

Je partage le sentiment d'hébétude face aux propos qui voudraient légaliser une conduite illégale (et illégitime) collective. Il y a des gens qui travaillent, et qui ont droit à rémunération. Autant les droits d'auteurs post mortem peuvent être amplement discutés et contestés, autant le gagne-pain des compositeurs, interprètes, producteurs n'a pas à être supprimé pour facilité la jouissance de tous - d'autant que le système s'effondrerait instantanément.

L'argumentation comme quoi le téléchargement illégal ne serait pas si nuisible que cela n'enlève rien à l'aspect légal et moral.

Cela dit, je suis de plus en plus sur la ligne de Patrick, favorable à une offre en ligne très attractive, parce qu'il s'avère qu'aucune solution répressive, à part l'interdiction d'accès à Internet à l'ensemble de la population - et la suppression des graveurs et clefs USB... - ne sera efficace.

5. Le dimanche 19 avril 2009, 18:36 par Sylvain

En lisant David je me dis qu'il y a un point majeur que nous n'avons pas abordé. C'est le fait que dans cette histoire les artistes ou les petits labels sont représentés par des "majors" dont les intérêts ne sont pas forcément convergents avec les leurs.

D'ailleurs je discutais avec un ami musicien récemment et lui demandais ce qui se passait pour lui lorsqu'on jouait sa musique sur Deezer. Il m'a répondu "je ne sais pas". Ca en dit long sur la transparence artistes/distributeurs.

A suivre donc et bonne soirée !

6. Le dimanche 19 avril 2009, 19:12 par Papageno

C'est vrai qu'il y a toujours eu des artistes et il y en aura toujours. Mais il n'y a pas toujours eu un marché du disque, ni un concept de musique enregistrée en tant que produit commercial fabriqué à grande échelle et vendu par de grandes entreprises: ceux-ci comme celles-là pourraient fort bien disparaître. Avec ou sans piratage, en créant une telle abondance de musique gratuite ou pas chère, Internet pourrait faire à l'industrie du disque ce que Wikipedia a fait aux éditeurs d'encyclopédie papier. Je reparlerai de la relation artistes / majors car c'est un vaste sujet et en matière de respect des droits des artistes, les vrais pirates ne sont pas forcément ceux que l'on croit.

7. Le samedi 25 avril 2009, 10:10 par Raphael (le sus-dit petit frère)

"- Le CD audio c'est une question de génération: il y a des centaines de disques dans mon salon, et aucun chez mon petit frère qui a 10 ans de moins que moi. Tout sur le disque dur de l'ordinateur ! Et si l'on compte les CD prêtés par un copain et rippés, les mp3 téléchargés ou échangés sur clé USB avec un pote, le prix de revient moyen par album doit être très inférieur à 10 euros..."

---> Mais c'est faux ! J'achète plein de CD parce que je soutiens les artistes peu connus et que j'aime l'objet.
J'achète les CD sur marketplace amazon US donc à 7-9€ frais de port compris..
Par contre je serais pas prêt à payer pour du mp3..
Il faut bien admettre que cela m'a permis de découvrir plein d'artistes que j'aurais jamais connu avant et finalement je pense que ça pousse à une sélection de l'achat : Je sais que j'aime le CD que j'achète, ce qui n'était pas le cas avant internet et le mp3

Autre remarque : Le torrent c'est la génération précédente..
Des sites d'hébergement direct de fichiers en ligne comme mediafire, rapidshare, megaupload etc... deviennent ce qu'il y a de plus utilisé.

bisous

8. Le samedi 25 avril 2009, 11:51 par Papageno

Ménon Je parlais de Michel... cela dit tu apportes un éclairage intéressant au débat. Le mp3 pour découvrir, le CD audio uniquement quand on aime, c'est sûr que ça peut expliquer les 50% de baisse des ventes de disques... D'un autre côté il y a Eddy Mitchell qui a poussé un coup de gueule un jour car il en avait marre que des "fans" lui demandent de dédicacer des CD gravés (le plus probablement à partir de mp3 téléchargés sans payer). Donc il y a des gens qui même lorsqu'ils aiment, préfèrent ne pas payer. C'est humain...

Quant à Rapidshare (site allemand) on peut penser que notre copine Angela M s'en chargera dès qu'elle aura fini de nettoyer le bordel dans le système bancaire international :-D

9. Le dimanche 26 avril 2009, 09:14 par Éric

Bonjour,

J’ai failli rater ce sujet. Pas bien.

Je rebondirai surtout sur les propos de Sylvain.

« Militer pour la liberté de "télécharger" sans payer en comparant le droit au téléchargement au logiciel libre est une ânerie monumentale dont se sont persuadés pas mal d'informaticiens fasciné par le modèle de la licence GPL. »

Je passerai sur l’aspect légèrement péjoratif de cette phrase concernant les informaticiens qui reprend davantage une certaine imagerie populaire qui vient de je ne sais où et qui me surprend toujours tant cette profession est composée de profils très différents du fait d’un secteur industriel porteur et qui recrute tout azimut. ;)
J’aurais du mal aujourd’hui à donner une solution comparable au modèle du monde libre que l’on trouve en informatique pour l’industrie audio car je ne suis spécialiste ni de l’un ni de l’autre mais je pense - comme je l’écrivais là : http://www.loiseleur.com/patrick/bl... - que c’est une piste à explorer car cette solution s’est construite en décennies pour l’informatique. Et aujourd’hui, le résultat est là : Linux est en passe de supplanter Windows. Le monde du « libre », malgré sa gratuité apparente, connaît un développement économique viable et il me semble qu’il convient de réfléchir à cette solution pour d’autres secteurs d’activité.

Comme le soulignait Patrick, le débat fait écho dans les médias car il fait intervenir des groupes industriels aux intérêts divergents. J’avoue avoir eu peur quand la solution de Madame le Ministre avait pour sanction la suspension de l’accès à Internet du « pirate » mais avec le paiement de l’abonnement qui continuait d’être dû.
Oui, les amis, la solution qui sera mise en place ira à l’encontre des plus faibles, des sans noms, des isolés, j’ai nommé le public ET les artistes (auteurs, compositeurs et interprètes).

« Les majors ont scié la branche sur laquelle ils étaient assis... les artistes. Mais ce n'est pas au consommateur de trouver un nouveau mode de diffusion, c'est aux "producteurs", je veux dire aux "offreur", ces fameux majors et les artistes inscrits chez eux. »

C’est bien là tout le problème. On a tendance à confondre major et artistes qui n’ont pas forcément les mêmes intérêts et dont le destin n’est pas forcément lié, contrairement à ce que les uns essaient de faire croire aux autres. Les maisons de disques sont avant tout des entreprises pilotées par le service marketing et qui répondent à des critères ou des besoins de marché. Les « produits » proposés sont formatés en conséquence pour rentrer dans des cases rentables.
Tu es un jeune cadre dynamique qui bosse à la Défense. Tu payes trop d’impôt. T’en as marre des week-ends en famille à Deauville et t’as envie d’horizon lointain. Bref, t’es un rebelle ? Alors achète Florent Pagny : http://www.di-arezzo.co.uk/multimed...
Sérieux, c’est un marché de niche là, non ? Quand l’ « art » devient outil de propagande.
Bon, qu’est-ce que je disais ?
Oui, les maisons de production (de diffusion) ne sont qu’un intermédiaire qui « brouille » le message entre l’artiste et le public et qui ne promeuvent que ce qui est « profitable » à leurs actionnaires. Or la création artistique n’est pas un produit comme un autre. L’artiste qui crée une œuvre y met de lui-même et tout intermédiaire est superflu et négatif.
L’informatique est aujourd’hui un outil puissant et mâture qui permet à l’artiste de diffuser son œuvre à moindre coût. Si vous supprimez les major ou toute autres maisons de production qui dépensent des milliers d’euros pour promouvoir un artiste (toujours les mêmes) vous remettez tous les artistes sur un même plan d’égalité dans le lien primordial public artiste.
Combien vivent de leur métier ? Peu. Une meilleure répartition des gains en ferait vivre davantage. Ce système ne tient que par le rêve inavoué de l’artiste de toucher le jack pot.

Encore une chose : la solution n’est pas dans la répression toujours plus forte des fraudeurs mais dans l’éducation civique. Mais pour cela, il faut que les règles mises en place soient claires et pas hypocrites.

10. Le dimanche 26 avril 2009, 12:49 par Sylvain

Bonjour Eric,

J'avoue que j'ai bien ris au paragraphe sur Florent Pagny, vraiment très bien vu, d'autant plus que j'avais moi même réfléchi à une petite blague sur Pagny mais que je n'avais pas réussi à la formuler aussi bien que vous. Vos arguments se tiennent tous. Mais je ne crois pas pour ma part que le modèle du logiciel libre puisse s'appliquer à la musique et je pense qu'il faut impérativement payer quelque chose pour que le modèle économique se tienne.

Sans trop entrer dans la technique des licences "libres" informatiques, elles ont fonctionnées à mon avis pour plusieurs raisons que l'on ne retrouve pas dans la musique.

Tout d'abord il y a environ 20 ans, une grande entreprise, Microsoft, dominait totalement le marché et le monde informatique (monde que j'ai caricaturé volontairement, mais je connais très bien ce monde...) s'est senti le devoir de réagir face à "ce grand méchant". Lorsque Linus Thorvald a décidé de reprendre le noyau d'un vieux système (Minix) il ne se doutait pas qu'il offrait à ce moment là une occasion rêvée à de petites groupes qui communiquaient par Internet et/ou BBS de participer à la construction d'un premier "Os libre". Dans la musique c'est différent, car si les majors distributeurs dominent le marché sous une forme plus ou moins oligopolistique, aucun artiste n'a autant de poids et aux dernières nouvelles, Pagny ne domine pas la scène lyrique comme la scène pop française :-).

Ensuite, même s'il y a peu d'études sociologiques sur les développeurs informatiques, je pense que leur profil explique en majeur partie leur forte implication dans le logiciel libre. Désolé de les caricaturer encore une fois, mais je pense que personne ne fais jamais rien sans intérêt, et l'on participe toujours à quelque chose avec l'idée d'en tirer un intérêt quelque part. Une question qui revient souvent lorsqu'on parle du noyau de Linux ou d'autres logiciels libres, c'est "quel est l'intérêt des développeurs" ? A mon avis il est au moins double: (1) participer à quelque chose "d'utile" et le plus souvent d'international plutôt que de passer du temps devant son ordinateur à naviguer sur des sites dans rien produire quand on est passionnés, et (2) se faire un nom dans le métier, même si c'est dans un niche de développement. On peut retrouver une de ces motivations intérêt sur la diffusion gratuite des mp3 des petits groupes peu connu (ie: Jamendo) mais quelle serait l'intérêt pour Florent Pagny de donner ses oeuvres, à part réduire ses impôts ?

Enfin, le modèle "libre" montre malheureusement aujourd'hui ses limites, avec Linux qui ne supplante rien du tout mais qui est devenu une usine à gaz qui n'a plus rien a voir avec Unix, qui copie son interface sur les plus grands du monde Windows/Apple, innove peu et se retrouve au final encore plus complexe que Windows. C'est dommage car ce système était prometteur mais quand il y a trop de développeurs, au final, ca devient un vrai fatras (très différent de FreeBSD par exemple) et ca crée plus de confusion que ca n'apporte réellement quelque chose.

Mais en 2009 Google vous donnera surement raison, car ils nous proposerons gratuitement ce qu'ils proposent déjà en Chine. On verra à ce moment la si le modèle gratuit fonctionne, mais de mon côté Google symbolise tout ce qui me fait peur dans l'informatique moderne: un big brother qui a su gagner l'affection de la communauté par un joli modèle de développement, base la totalité de son offre sur la popularité ex-anté (en gros: le clic avant de voir la page) et qui devient un conglomérat possédant des données personnelles historique comme l'informatique n'en a encore jamais vu.

Pour finir, je reviens sur mon raisonnement qui est simple. D'une part on ne peut aller contre les technologies d'Internet, et il y aura toujours moyen de télécharger de la musique sans payer. D'autre part, il faut rémunérer les artistes afin qu'ils puissent vivre de leur musique s'ils le souhaitent, même ceux qui ne souhaitent pas faire de concerts. Ca laisse à mon avis peu de places pour autre chose qu'une licence globale couplée avec une plateforme efficace de téléchargement, qui pourrait être proposée par la SACEM ou les providers Internet (comme le fait neuf).

Sylvain

ps: Pour l'anecdote, je me suis offert les CD de Penélope de Fauré et Padmavati de Roussel il y a peu, et autant dire que je ne les ai pas trouvé à la Fnac du coin.

11. Le dimanche 26 avril 2009, 18:57 par Papageno

La différence entre les logiciels libres et la musique est qu'il existe un modèle économique pour le logiciel libre où l'on paye pour le support. L'entreprise où je travaille utilise GCC et paye un petit paquet de milliers d'euros par an à une PME pour le support technique: les développeurs de cette PME ne sont pas de joyeux hippies bénévoles, mais des experts plutôt bien payés. Du moins autant que leurs confrères qui développent des logiciels propriétaires.

Pour la musique, c'est un peu différent:une fois qu'on a l'album on a tout le produit et on n'a pas besoin de support technique. D'un autre côté la musique c'est avant tout la rencontre entre les artistes et le public, la musique enregistrée est un medium parmi d'autres pour permettre cette rencontre, pas celui qui est apparu en premier ni le meilleur sans doute même s'il permet de toucher le public le plus large. Avec les supports physiques (33 tours, CD audio) la musique enregistrée s'est développée jusqu'à devenir une véritable industrie. Mais la dématérialisation de la musique permet une diffusion encore plus large en faisant encore baisser le prix unitaire. Ce prix qui peut- descendre jusqu'à 1 euro par disque avec le CD audio, va-t-il, doit-il baisser jusqu'à zéro avec le mp3, et par là même tuer l'industrie du disque ? Peut-être. Mais il y aura toujours des artistes, c'est une certitude.

12. Le dimanche 26 avril 2009, 20:33 par Éric

Sylvain,

On est bien d’accord qu’il faut payer à un moment ou à un autre. Je n’ai jamais dit le contraire. Mozilla Foundation doit générer pas loin de cent millions de dollar de revenus annuels.
Concernant le monopole de Microsoft, il se résume aux micro-ordinateurs d’IBM et compatibles, c'est-à-dire une petite partie du marché (c’est sans doute pour cela qu’IBM le leur avait sous-traité). À cela, il faut ajouter le système d’exploitation des mac et surtout le marché des serveurs allant des mini-ordinateurs et superordinateurs (87.80 % tournent sous Linux : http://www.top500.org/stats/list/32...).
De plus, votre avis sur l’usine à gaz et la complexité de Linux est très personnel. Windows aura d’ailleurs très rapidement revu sa copie avec Vista dont la lourdeur était inadaptée aux netbook qui rencontrèrent un grand succès commercial.
Quant à décrire le développement de la licence libre et l’ « open source » à une bande de joyeux drilles qui veulent se rendre « utile » et se « faire un nom », là encore la caricature est grossière.
Open office a été développé par Sun Microsystems, Novell et IBM pour concurrencer Micrsoft et est maintenant de plus en plus utilisé par les entreprises comme la gendarmerie, le ministère des finances, etc.
Les logiciels professionnels de gestion libres et ouverts se multiplient également et permettent à bon nombre de sociétés de conseils de vivre plus qu’honorablement.

Pour en revenir au sujet de la musique, votre vision de l’informaticien qui développerait gratuitement des logiciels en guise de carte de visite pour montrer son savoir faire peut être comparé aux artistes qui enverraient leur maquette dans l’espoir de signer dans une maison de… disque ( :) ).
L’open source des logiciels permet justement aux développeurs et aux utilisateurs de se réapproprier le logiciel qui n’est plus propriétaire d’une multinationale. Vous me voyez venir avec mes parallèles :
développeurs <=> artistes
utilisateurs <=> public
logiciel <=> œuvre
Internet et le téléchargement peut permettre aux artistes de se réapproprier leur travail. Une opportunité à saisir.

Après, comme beaucoup de gens, ma première source d’écoute de la musique est le streaming. Oui, souvenez-vous : la radio. Les programmations musicales des chaînes de radio sont enregistrées informatiquement. Il leur serait très simple de les fournir à la SACEM ou autre pour redistribuer précisément les droits d’auteur. Sans doute, une première loi à voter dans ce sens. La licence globale est sans doute la solution la plus simple mais certainement pas la meilleure.

13. Le dimanche 26 avril 2009, 20:35 par Éric

Désolé pour les redites, je n'avais pas vu le post de Papageno.

14. Le dimanche 26 avril 2009, 21:07 par Sylvain

Il y a tellement d'arguments qui se tiennent dans ce débat qu'au final, on n'avance pas car il faudrait trancher et aucune solution n'est parfaite.

Ca me fait penser à une phrase de Michel Audiard, tirée d'un taxi pour Tobrouk: "Un intellectuel assis va moins loin qu’un con qui marche."

Bon ben voila, c'est un troll... ;-)

Sylvain