Zimerman boycotte les Etats-Unis

Les scandales sont une chose plutôt rares dans le monde feutré de la musique classique, où l'on croise plus de smokings et robe de soirée que de blousons de cuir. Outre le fait que s'assoir en silence dans un lieu à l'acoustique spécialement étudié pour écouter des musiciens est un signe de civilisation parmi les plus exquis qui soit, le niveau stratosphérique atteint par les artistes et le caractère (trop) prévisible d'un répertoire bien connu et pas assez renouvelé réduisent encore les possibilités de mauvaises surprises. Au point qu'un éternuement malencontreux ou la sonnerie d'un téléphone portable étourdiment oublié sont souvent l'évènement le plus désagréable qu'on risque de subir.

Aussi c'est une mini-bombe médiatique que Krystian Zimerman a lancé en déclarant lors d'un récital à Los Angeles, dans le Walt Disney Hall (ça ne s'invente pas), qu'il ne jouerait plus aux Etats-Unis pour cause de désaccord avec leur politique étrangère. D'après le blog de Jessica Duchen, le projet de bouclier anti-missile sur le sol Polonais ferait partie des griefs, mais le centre de détention de Gantanamo Bay a été également mentionné...

Le public a réagi diversement: certains sont partis, d'autres ont siffé ou crié "music, music !" ou encore "shut the f*ck up !". Ceux qui sont resté ont applaudi chaleureusement à la fin du récital. Un peu moins à chaud, les réations des internautes sont partagées elles aussi. Beaucoup soutiennent qu'un artiste n'a pas à transformer un récital en tribune politique, qu'on le paye pour se la boucler et jouer, point barre. Je penserai plutôt du côté de Jessica Duchen qui demande: si les artistes de premier plan ne se mobilisent pas pour les causes dignes d'êtres soutenues, qui le fera ? Chopin, Liszt et bien d'autres se sont mobilisés plus d'une fois. Faut-il rappeler que Lizst a composé en 1832 une pièce pour la défense des canuts (les ouvriers du textile) de Lyon qui s'étaient révoltés contre leurs employeurs ? Ou que Chopin a composé en 1831 son étude révolutionnaire pour manifester sa solidarité avec les Polonais ayant participé à l'insurrection de Novembre ?

Comme le rappelle Noémie Lefevre dans son essai Mémoire de l'art et musique engagée, la notion de musique engagée  est toute romantique, la musique étant par nature abstraite et universelle, et donc moins susceptible de connotations politiques que la littérature ou les arts plastiques. Mais l'engagement des musiciens est de tout temps. Il peut prendre de nombreuses formes, comme les concerts gratuits dans les écoles, les hopitaux, les prisons, ou la collecte de fonds pour une association. Et si parfois un musicien s'aventure à soutenir une cause politique par nature non consensuelle, il arrive bien plus souvent que les musiciens soient ambassadeurs de paix et acteurs du dialogue entre les nations.

Reste une question: pourquoi maintenant ? Y a-t-il eu un déclencheur qui a poussé Krystian Zimerman à décider brutalement de cesser ses concerts aux Etats-Unis, alors même que l'arrivée d'Obama au pouvoir promet des inflexions sur les sujets qui fâchent les Européens ? On sait qu'il y a quelques années, son piano (un magnifique Steinway D modifié par ses soins) a été détruit par les douaniers idiots ou paranoïaques de l'aéroport JFK au prétexte que la colle avait une odeur suspecte. Y a-t-il eu un autre incident plus récemment ? Et pourquoi faire un esclandre devant les Californiens qui sont plus ouverts et beaucoup plus proches des Européens que la moyenne des Américains ? Quoi qu'il en soit, on ne peut que soutenir ZImmerman, la politique étant en démocratie la résponsabilité de tous les citoyens et pas l'apanage de quelques-uns. Le jour où les musiciens seront remplacés par des robots sans âme et sans conscience, qui joueront sans ouvrir la bouche dans toutes les salles du Monde, on devra vraiment s'inquiéter. Ce jour n'est peut-être pas si loin d'ailleurs...

Commentaires

1. Le mardi 5 mai 2009, 16:21 par DavidLeMarrec

Bonjour Patrick !

Cela dit, les artistes sont des citoyens pas plus éclairés que la moyenne en politique (voire - non, j'ai rien dit). Le fait de cogner de l'ivoire toute la journée n'est pas forcément propice à la lucidité.

Non pas que ça empêche d'avoir un avis et de gérer sa carrière en fonction de son éthique. Simplement, ça n'a pas plus de valeur qu'un autre engagement ; et ça n'augmente pas non plus l'intérêt de l'art.

(Vu les tendances déviantes de ce carnet, il aurait peut-être fallu préciser en titre qu'il ne s'agissait pas de Tabea, non ? Ca m'étonnait beaucoup, à la lecture du titre.)

Par ailleurs, effectivement, c'est étonnant, ce contretemps.

2. Le mercredi 6 mai 2009, 13:07 par Papageno

Les artistes peuvent s'engager pour toutes sortes de causes, des plus consensuelles au plus contestables. Ils peuvent faire et dire des conneries comme tout le monde. Mais ce ne sont pas tout à fait des citoyens lambda: outre le fait que la célébrité peut donner un certain poids à leurs paroles et à leurs actes, les artistes sont le miroir d'une époque: qu'ils en soient conscients ou non, ils projettent les valeurs, les peurs, les espoirs, les obsessions d'une culture dans laquelle ils sont baignés et qu'ils contribuent à créer.

Et même pour les musiciens classiques, qui n'écrivent pas eux-mêmes les paroles de leur chansons (voire ne chantent pas du tout, quel chose bizarre !!), le fait de jouer ou ne pas jouer devant tel ou tel public peut être significatif. C'est un cas un peu extrême, mais on peut évoquer par exemple Furtwängler dirigeant son orchestre devant Adolf Hitler pour l'anniversaire du Führer en 1942...

(aurais-je vu le nez d'un troll ? gloires soit rendues en tout cas à Tabea ZImmerman, cette grande dame de l'alto !)

3. Le mercredi 6 mai 2009, 18:35 par DavidLeMarrec

Patrick, ne regardez pas ainsi votre nez, il est très bien comme ça. Oui, Tabea est immense.

(En réalité, je viens de comprendre pourquoi j'ai été induit en erreur : Zimerman s'écrit avec un seul "m".)

On est d'accord que c'est significatif, mais en l'occurrence, pour Furtie, ça ne voulait pas dire ce que l'on croyait, puisqu'il faisait acte de résistance en protégeant les musiciens juifs de son orchestre et en refusant de faire le salut nazi...

Ce que je veux dire, c'est que les artistes ne sont pas forcément plus éclairés que les autres pour parler des problèmes du monde. Et souvent, ils le sont moins, parce qu'ils sont moins en prise avec certaines réalités, tout simplement. [Ce qui ne veut absolument pas dire qu'ils ne peuvent avoir raison ni que que les autres sachent forcément ce qu'il en est, on est bien d'accord.]

En tout cas, l'anecdote est pittoresque ! Et il semblerait que M. Zimerman ait quelque retard dans la lecture des journaux du jour. :-)

4. Le vendredi 8 mai 2009, 13:50 par Éric

"Et pourquoi faire un esclandre devant les Californiens qui sont plus ouverts et beaucoup plus proches des Européens que la moyenne des Américains ?"

Je ne suis pas un spécialiste de l' "américain moyen" mais je ne suis pas sûr de ce que vous avancez. San Francisco n'est pas représentatif de la Californie et élire gouverneur l'autrichien Schwazenegger les rendent-ils plus proches des européens ?
Enfin, les "européens, ça ne veut pas dire grand chose non plus.

5. Le lundi 11 mai 2009, 15:13 par Morloch

Ce n'est pas bien grave pour les américains, et d'ailleurs je dois avoir 2 ou 3 (très bonnes) versions de toutes les pièces qui constituent l'intégralité du répertoire de Zimerman (j'avoue que j'ai peu de mérite, ça ne prend pas trop de place).

6. Le mercredi 13 mai 2009, 19:07 par DavidLeMarrec

Morloch, tu pousses, tout de même. Zimerman joue essentiellement du grand répertoire, mais il joue à peu près tout le grand répertoire, ce qui est loin d'être le cas de tous ses collègues. [Et tout très bien en plus.]

7. Le jeudi 14 mai 2009, 17:24 par Morloch

Bon, j'avoue qu'il y avait un brin de mauvaise foi... De ce que je connais, il fait toujours les interprétations les plus magistrales et impressionnantes, mais pas toujours les plus attachantes.

Il a tout de même mis un certain temps à se lancer, après sa période "je m'enferme 4 ans dans un deux pièces de Varsovie pour enregistrer les quatre ballades de Chopin, les 4 années suivantes seront pour les impromptus de Schubert...". C'est peut-être qu'il a réalisé qu'à ce train là, il n'était pas rendu...

Il faudra que je le réécoute, la presse musicale française l'éreinte de plus en plus, c'est signe qu'il doit faire des choses magnifiques.