Trisam Meine Liebe

Les sons déjà couchés dans leur cercueil d'ivoire,
N'excusent qu'un moment ta fièvre et ma pâleur;
Assez; plus de baisers; la chair est sans mémoire;
Tout amour prolongé se résorbe en douceur

Happés diversement par l'immensité noire,
Repoussons, dégrisés, ce fascinant malheur;
Goutte à goutte épanché sur l'obscur auditoire,
Le son du violon roule encor comme un pleur.

N'accuse ou ne bénis que ce complice immense.
Le cœur déjà s'épuise et vivre recommence;
Le nocturne reflux ne nous joint qu'un instant.

Je ne dis pas c'est lui. Ne dis pas ce fut elle.
Tombe, oubli, noir velours, sur la scène immortelle :
Je n'ai fait cette nuit que céder à Tristan.

(Marguerite Yourcenar, in Les charités d'Alcippe, 1930)

(Patrick Loiseleur, Poème I d'après Marguerite Yourcenar, joué par Mathieu Prévot, piano, Olivier Tholliez, clarinette, Patrick Loiseleur, alto)