Wagner contre Wagner

L'information semble avoir peu ému, tant ce côté-ci du Rhin que de l'autre. Gottfried Wagner, descendant direct de Richard du même nom, est fort en colère contre la programmation du prélude du 3e acte de Lohengrin lors du concert dirigé par Daniel Barenboïm le 9 novembre dernier pour célébrer les 20 ans de la chute du mur de Berlin. Musique qu'il qualifie de chauvinistischen Kriegsaufputschmusik c'est à dire en gros de nationaliste et va-t'en-guerre, et par là même fort peu adaptée à la circonstance. C'est le Tagesspiegel qui le rapporte (lire également la déclaration complète de Gottfried Wagner ici). Le même concert incluait la cantate Un survivant de Varsovie (1947)  d'Arnold Schönberg, une oeuvre qui se situe politiquement aux antipodes puisqu'elle parle de l'insurrection du ghetto juif de Varsovie en 1943 (et de la répression impitoyable qui s'ensuivit).

Richard Wagner était nationaliste et ouvertement antisémite, ce qui ne l'empêchait pas d'avoir des amis juifs. La question a été amplement débattue dans d'innombrables livres et articles, et il n'est guère nécessaire d'y revenir ici. Mais sa musique ? Est-elle chauviniste ou anti-sémite ? Est-ce qu'il peut exister une musique nationaliste ? Et à quoi donc pourrait-on la reconnaître ?

Bien qu'il existe des hymnes nationaux, on ne peut que répondre par la négative. La musique véhicule des émotions, des sentiments, pas des opinions politiques ou des leçons d'histoire. Aucune oeuvre de musique symphonique n'est capable d'exprimer des propositions comme "la pomme est sur la table" ou bien "Chirac est un pourri" ou encore "les Turcs sont responsables du génocide des Arméniens en 1915". Le privilège, le pouvoir de dire le monde, est celui des mots et des écrivains. écrivain au sens large, chacun de nous ou presque ayant ce pouvoir de prendre la plume pour dire le monde.

Ainsi la musique ne peut avoir de signification politique que par ricochet, par association avec d'autres éléments, textes ou symboles. La force des symboles n'est pas à négliger. Quelles auraient été les réactions du public si le concert avait commencé par l'hymne de l'ex-RDA ? ou l'Internationale ? ou l'hymne des JO de Berlin de 1936 ? (composé par un certain Richard ... Strauss !).

Dernier point à considérer, en sus des associations d'idées qu'elle peut susciter, ou ne pas susciter, et peut-être avant tout autre chose, la musique a aussi une valeur esthétique intrinsèque. Ce prélude du 3e acte de Lohengrin est souvent joué en concert car cette ouverture est un petit chef-d'oeuvre qui exprime les sentiments d'impatience joyeuse et de bonheur festif comme nulle autre. On peut certes trouver un côté martial dans ces sonorités cuivrées et ces rythmes pointés, mais ce sont là des qualités (ou des défauts) qu'on trouve aussi bien dans notre Marseillaise, ou dans les ouvertures de Berlioz et Beethoven.

Daniel Barenboïm, qui a le premier introduit la musique de Wagner en Israël, ce qui a suscité des remous, a certainement réfléchi à la question lui aussi, avant de trancher. Peu de musiciens ayant oeuvré autant que lui à faire tomber barrières et préjugés, je pense qu'on peut lui faire confiance et lui laisser le mot de la fin. Oui, tout bien pesé, il ne faut pas s'interdire de jouer la musique de Wagner. Même lors d'une cérémonie internationale où l'on fête la réunification pacifique de l'Allemagne et de l'Europe.

Commentaires

1. Le dimanche 15 novembre 2009, 12:30 par Azbinebrozer

Ah cliché, cliché quand tu nous tiens... ;- )
"Quand j'entends du Wagner, ça me donne envie d'envahir la Pologne." Woody Allen