Hélène Grimaud à la Philarmonie de Liège

Nos amis belges n'ont toujours pas de premier ministre (bien que les négociations avancent, paraît-il) mais il auront bientôt le plaisir d'écouter Hélène Grimaud (le 22 octobre prochain) à la Philarmonie de Liège, non avec le Philharmonique d'ailleurs mais avec l'Orchestre National de Belgique (qui accompagne entre autre les lauréats du célèbre concours reine Elisabeth). Elle se produira dans le premier concerto de Brahms, une valeur sûre à défaut d'être un choix particulièrement original. Le reste du programme l'est davantage avec la 3e symphonie d'Albert Roussel et une ouverture de Jacques Leduc.

J'avoue être un peu surpris lorsque la pianiste française affirme dans une interview vidéo qu'elle allait « à contre-courant » choisissant de jouer Brahms. Vraiment ? Comme anti-conformisme on a déjà vu plus forcené ! Je veux dire par là que Johannes Brahms, lorsqu'il joua lui-même ce concerto à Hanovre en janvier 1859, a de vrais risques par rapport aux goûts du public de l'époque: lequel public ne s'est pas privé de siffler copieusement cette musique jugée « incompréhensible ». Mais aujourd'hui, un siècle et demi plus tard, le moins qu'on puisse dire est que ce concerto est entré dans le répertoire. Il a été joué par des centaines, peut-être des milliers de pianistes dans le monde entier, enregistré en disque, diffusé à la radio, sans doute même utilisé dans des publicité pour déodorant industriel ou des musiques d'attente téléphonique... si ça n'est pas rentré dans l'oreille collective, tout ça, je veux bien qu'on m'appelle Engelbert (Humperdinck pour les intimes).

Madame Grimaud, je sais bien que vous avez mieux à faire que de lire des idioties dans les blogs, néanmoins un ami commun aura peut-être la gentillesse de vous transmettre ma demande. Je n'ai franchement aucun reproche à vous faire, tout ce que j'ai entendu de vous était impeccable: Brahms (les Intermezzi surtout), Bach, Beethoven... Je suis un peu mal à l'aise avec tous ces sites de fans qui montrent à gogo vos photos moitié intello moitié sexy, comme si votre toucher ne suffisait pas à séduire, mais j'imagine que vous êtes vous aussi un peu mal à l'aise devant cette starification même si elle vous est profitable professionnellement. 

Quoi qu'il en soit, la prochaine fois que vous viendrez à Liège, adoptez s'il vous plaît l'attitude de liberté et d'aventure qui y subsiste encore, presque 10 ans après la disparition d'Henri Pousseur. tonnez-nous ! Jouez des oeuvres peu connues, testez un peu la résistance de votre public avec les études de Ligeti ou la 3e sonate de Boulez, la résistance de votre piano avec les Klavierstück de Stockhausen; faites partager au public la délicate poésie des pièces de Kurtag ou celle, plus massive et affirmative, de Messiaen; je ne sais pas moi, faites-nous découvrir quelque jeune compositeur (ou compositrice) totalement inconnu; terminez par une impro si vous le souhaitez, essayez-vous au jazz ou au style manouche si ça vous fait envie. En un mot, démontrez-nous que vous êtes une musicienne et pas seulement une pianiste. Que vous êtes une artiste et pas seulement une représentante haut-de-gamme de ce qu'on produit maintenant en série dans tous les Conservatoires du monde (à ce propos, gare à la redoutable concurrence venue d'Asie...). Alors, chiche ?