Escale à Liège pour le Hollandais Volant

Écouté dans la bonne ville de Liège la semaine dernière, Le Hollandais Volant, quatrième opéra de Richard Wagner, écrit en 1843, et sans doute la première oeuvre où sa personnalité et son style s'affirmèrent nettement, et où les fameux leitmotive, ces thèmes musicaux associés à un personnage ou une idée, furent utilisées systématiquement. Par rapport à Parsifal ou aux Maîtres Chanteurs, cet opéra possède en outre l'avantage de durer à peine plus de deux heures et d'y aller mollo sur le nationalisme allemand, ce qui en fait le candidat idéal pour l'initiation à Wagner.

Le Théâtre Royal de Liège étant en travaux, c'est sous un chapiteau que la représentation se déroule. On entend un peu les mâts du chapiteau grincer quand le vent les secoue, ce qui ma foi est tout à fait dans le thème de l'opéra (les sirènes de police qui traversent de temps à autre étant nettement moins dans le thème marin de cet opéra romantique). Première remarque, les étudiants à Liège ont droit à des places d'opéra à 7€ s'ils prennent un abonnement. Et ce ne sont pas des places de dernière catégorie mais de très bonnes places ! Par comparaison les rarissimes places à 10€ de l'Opéra Bastille font davantage figure d'alibi que d'effort véritable et sincère pour mettre la culture à porté des jeunes et des classes moyennes.

Le principal inconvénient du chapiteau n'est pas tellement dans les bruits extérieurs qui sont en fait assez peu gênants mais dans l'acoustique plutôt sèche qui laisse bien passer les voix et les instruments mais ne leur pardonne pas grand-chose et ne les enveloppe que d'une très mince réverbération. Cela étant dit j'aime écouter de façon très analytique, et le cours d'orchestration dispensé par un Wagner dont on sent bien que le sang lui bouillait dans les veines vaut le déplacement. L'orchestre ne démérite pas: j'aurais aimé de la part de Paolo Arrivabeni des tempi un peu plus enlevés notamment dans le prélude et tous les retours du thème du Hollandais; j'aurais aimé être emporté davantage par ces vagues irrésistibles, mais en dehors de cela les couleurs sont belles et l'orchestre soutient bien les chanteurs sans les couvrir. Côté plateau, c'est un peu inégal. Je ne vais pas jouer au critique musical et distribuer les bons et les mauvais points, disons seulement que je n'étais pas séduit de bout en bout. 

L'ensemble tiendrait tout à fait la route sans les choeurs qui ne sont pas très juste ni en place: en les écoutant je ne peux m'empêcher de penser à la transcription fantaisiste réalisé pour quatuor à cordes par Paul Hindemith du Prélude du Hollandais Volant, transcription dans laquelle le facétieux compositeur expressionniste a introduit décalages et fausses notes sensées reproduire l'effet d'une lecture à vue par un orchestre de station thermale à 7 heures du matin... J'ai l'impression pour faire justice aux choristes que le père Wagner ne les avait pas gâtés avec ces chants de marins plutôt casse-gueule, rapides, très tendus dans l'aigu, en concurrence avec un gros orchestre...

La mise en scène de Petrika Ionesco est assez classique (j'entends pas là qu'elle essaie de raconter la même histoire que le livret, sans chercher à la transposer dans un bar à putes de Berlin-Est dans les années 1960 ou autre genre de relecture post-moderne) et fonctionne très bien. Elle comporte beaucoup d'éléments visuels assez séduisants et évocateurs. En revanche les quelques séquences vidéos (qui représentent une mer houleuse) n'apportent pas grand-chose de plus. De même l'utilité des scènes mimées durant le prélude et le postlude orchestral est contestable: est-ce que la musique ne suffit pas à elle-même pour nous plonger dans l'ambiance durant les 5 minutes de la célèbre ouverture ?


Der Fliegende Holländer (Wagner) - Ouverture par operaliege

C'est tout de même assez gênant de vouloir à tout prix illustrer chaque seconde de musique par un mouvement scénique, comme si on était au cinéma et non au théâtre musical. Je trouve même ces scènes contre-productives car elles apportent une vision des choses qui peut être limitative: ainsi le tableau final est celui du père de Senta pleurant sa fille dans un cimetière: c'est très touchant, mais la musique raconte tout autre chose: Wagner reprend le thème du Hollandais volant pour la première fois en ré majeur: c'est donc la rédemption et une sorte de triomphe de l'amour dans la mort, au-delà de la mort dont il s'agit. Mais comment l'exprimer avec des images ? Parfois le mieux est de laisser la musique parler et l'esprit du spectateur, repu d'images et de musique, vagabonder plus librement. En résumé cette belle mise en scène pèche un peu par excès.

Ce spectacle sera repris en streaming sur internet les 17 et 18 décembre prochain.