Quatuor: une biennale qui tient ses promesses

Le programme de la 5e biennale de Quatuor à Cordes à la Cité de la Musique était fort alléchant: des ensembles très confirmés ou très prometteurs; une programmation inventive qui faisait honneur aux classiques du genre en restant ouverte à la modernité; un hommage à Wolfgang Rihm qui servait de fil rouge à l'ensemble de la semaine. N'ayant pu écouter que deux des 

A tout seigneur tout honneur, c'est au Quatuor Ardittti que revenait le privilège de créer le 13e quatuor de Rihm, jeudi 19 janvier. En un seul mouvement, il dure vingt bonnes minutes. Mes impressions à la première écoute: de bonnes idées, une grande maîtrise du discours mais quelques longueurs. Par moments ce quatuor me fait penser à Janacek, je ne sais pourquoi. Il est sans doute truffé de citations ou plutôt d'allusions comme souvent chez Rihm, mais ça n'est pas là que réside l'analogie. Les deux quatuors de Janacek déploient un lyrisme très tendu, au bord de la rupture; ceux de Rihm expriment plutôt un lyrisme désespéré, postérieur à la rupture, à travers une esthétique du fragment. Imaginez un homme qui vient de briser un objet précieux auquel il tenait beaucoup, et qui regarde les tessons d'un air hébété, incrédule.

Un mot sur les membres du Quatuor Arditti, dont c'était peut-être la centième création: en arrivant sur scène, Irvine Arditti avait le même sourire, le même enthousiasme que si c'était son premier concert. Les quatre musiciens ont joué ce 13e quatuor de Rihm avec autant de passion que de sérieux dans l'engagement. Et ce quatuor a été fort bien accueilli par le public, ce qui m'a fait penser que les préjugés sur la musique "contemporaine" étaient peut-être cela justement: des préjugés.

Ensuite ce sont les Ebène qui ont joué le 13e quatuor de Schubert et le 1er quatuor de Tchaïkovsky. Deux oeuvres de facture classique (forme sonate en 4 mouvements) mais très personnelles dans l'expression. Les mimiques de Pierre Colombet, premier violon, lorsqu'il joue, auraient quelques chose de comique si elles n'étaient pas le produit d'un état intérieur puissant et authentique. Cela fait vraiment plaisir à voir tellement il est immergé dans la musique, tellement il sait y plonger ses partenaires et le public. Et le résultat sonore est à la hauteur. Cependant je déplore l'acoustique assez sèche de cette salle des concerts qui laisse bien passer les violons en étouffant un peu les cordes graves, ce qui gâche un peu le plaisir.

Samedi 22 janvier c'est le Quatuor Hagen que j'ai pu écouter, dans un fort beau programme: Haydn (op 33 numéro 2), Bartok (numéro 4), Brahms (numéro 3), ainsi que deux pièces courtes de Wolfgang Rihm, Tristesse d'une étoile et Fetzen 2. Dans ce programme qui balaie presque trois siècles de répertoire, on serait bien en peine de prendre les Hagen en défaut: techniquement on frise la perfection absolue, musicalement cela parle autant aux sens qu'à l'intelligence. Dans ces conditions il n'y a plus qu'à se caler dans le fauteuil et à prendre son pied de la première à la dernière seconde du concert. Mention spéciale à l'altiste Veronika Hagen, dont les sonorités généreuses et tout en souplesses sont extrêmement séduisantes.