La liberté ou la mort !

La liberté ou la mort ! est le titre d'une pièce récente pour quatre trombones et électronique live qui a été créée le 17 décembre 2011 à Liège. 

Voici un extrait des notes de programme:

Cette pièce a été commandée par Alain Pire et le Département de cuivres graves du Conservatoire Royal de Liège ainsi que le Centre Henri Pousseur pour le festival Images Sonores 2011.


Le titre fait référence à un roman de N. Kazantzakis, mais cette pièce fut inspirée par les évènements connus sous le nom de “Printemps arabe” qui ne renversèrent pas que des gouvernements, mais aussi les préjugés que les Européens conservaient sur leurs voisins de l'autre côté de la Méditerrranée. Elle est respectueusement dédiée à la mémoire de Mohamed Bouazizi, le marchand de légumes de Sidi Bouzid en Tunisie qui en s'immolant par le feu le 17 décembre 2010 déclencha la révolution tunisienne et toutes les autres. Selon les mots de Hassen Mustapha, il a brisé le “mur de la peur”.


Ce n'est pas une pièce de musique descriptive, mais elle cherche à dépeindre les sentiments d'oppression, de souffrance, de lutte et finalement de triomphe qu'ont connu les combattants de la liberté dont le courage et l'abnégation sont une leçon admirable que les Européens devraient méditer.


J'écrivais cela il y a 5 mois, et l'actualité fut des plus riches depuis: pour s'en tenir au pays du sud de la Méditerranée, la Lybie a vu l'effondrement du régime Khadafi, avec l'aide de l'OTAN, et l'exécution sommaire de son chef; les électeurs en Tunisie et en Egypte ont placé les islamistes (modérés) en tête des législatives; et la Syrie s'est enfoncée dans un confit sanglant dont l'issue paraît incertaine. Et la France a connu le tragique épisode des tueries de mars 2012 à Toulouse et Montauban.

Ces événements sont-ils de nature à remettre en cause le ton optimiste et même idéaliste de ma note de programme de décembre dernier ? Au contraire, ils ont affermi mes convictions. Car le moment où un criminel terroriste abat trois enfants de sang-froid à cause de leur religion n'est pas le moment où il faut céder à la peur, à la haine, ce qui reviendrait à approuver les causes mêmes de ce crime. C'est le moment de témoigner tout d'abord de notre solidarité avec les victimes et leur familles, ce que les Toulousains ont fait massivement. C'est aussi le moment de réaffirmer la volonté de vivre ensemble qui est le ciment de la république. Chrétiens, Juifs, Musulmans ou athées, nous respirons le même air, vivons sous le même ciel et partageons le même territoire. Et lorsqu'un criminel frappe l'un des nôtres, nous sommes tous atteints.

C'est aussi le moment de redire mon indignation envers les fêlés d'extrême droite qui se réjouissent - c'est horrible à dire vraiment - se réjouissent sincèrement de ces événements tragiques car ils y voient une confirmation de leurs théories racistes ou d'un "choc des civilisations". A savoir que le conflit serait le seul mode de relation possible entre des gens n'ayant pas la même religion ou la même culture. Il suffit de se rappeler les yeux brillants et le sourire d'une oreille à l'autre de Marine Le Pen lorsqu'elle a entonné son petit air du "je vous l'avais bien dit" à la télévision. Une chanson qu'elle a prudemment attendu l'identification du tueur avant d'entonner; et on a sans doute poussé de gros "Ouf !" dans son entourage lorsqu'on a su que le tueur était certes un fêlé d'extrême-droite, mais un fêlé d'extrême-droite musulman et pas un copycat du tueur d'Oslo.

En apportant notre soutien aux révolutions tunisiennes et égyptiennes, avons-nous indirectement et sans le vouloir cautionné l'arrivée d'un islam radical au pouvoir ? Les islamistes vont-ils rafler la mise et imposer une dictature pire que la précédente, comme ils l'ont fait en Iran en 1980 ? Bien malin qui saurait prédire l'avenir. Mais il y a des signes qui indiquent que beaucoup ne semblent pas prêts à baisser la tête. L'islam radical n'est au fond qu'une force politique parmi d'autres, comme les Cléricaux sous la troisième république. Et les peuples du maghreb ne tarderont pas à apprendre, s'ils ne le savent pas déjà, que la démocratie ça n'est pas seulement les élections tous les 5 ans, c'est aussi le respect des minorités, l'indépendance de la presse, les contre-pouvoirs comme les syndicats et associations. C'est un énorme chantier qu'ils ont devant eux, chantier qui est très loin de l'achèvement même en Europe, ce qui devrait nous inciter à la modestie. Je crois même que les progrès qui suivront les révolutions arabes pourront nous servir de leçon plus d'une fois.

Qu'on me permette de le redire encore: refuser la peur, la ségrégation et le choc des cultures ça n'est pas faire preuve de naïveté. La ségrégation mène toujours à la violence, le ghetto conduit au pogrom, hier comme aujourd'hui, en Israël, en Bosnie, en Afrique du Sud comme à Toulouse où à Oslo. Nous n'avons pas besoin de plus de murs, plus de frontières, plus de fils de fer barbelés et de militaires en faction. Nous avons besoin de plus plus de solidarité, plus de liberté, plus de dialogue et de compréhension mutuelle. Le prix à payer pour la liberté est élevé, car elle n'est jamais acquise, c'est une construction collective permanente et fragile. Elle ne tient que si on est prêt à tout pour la préserver. Aujourd'hui plus que jamais la seule alternative qui compte c'est vivre libre ou mourir.

Revenons à la musique elle-même: dans ce poème symphonique pour quatre trombones, j'ai volontairement intégré un style tonal dans certains passages, comme le choral final, pour le mettre en contraste avec le début de la pièce qui est plus tendu et dissonant. En revanche j'ai évité les orientalismes (comme les gammes avec seconde augmentée) qui auraient été de mauvais goût. Ayant eu trop peu de temps pour compléter cette partition, je n'en suis pas vraiment satisfait. Toute la partie électronique est à refaire notamment. Cela dit, Alain Pire m'a dit qu'il aimait bien la pièce en dépit de son caractère stylistique mélangé, et a souhaité mettre un lien vers l'enregistrement depuis la page du département de cuivres graves du conservatoire de Liège. Ce qui est certain c'est que les interprètes Alain Pire, Nicolas Villers, Jean-François Cosentinos ont fait un très beau travail sur cette pièce, ce qui à soi seul justifie qu'on partage un bout de MP3 avec nos lecteurs. 


La pièce sera reprise en avril 2013 à Paris (sans doute dans une version remaniée).

Commentaires

1. Le samedi 12 mai 2012, 10:26 par Azbinebrozer

Bravo bravo c'est superbe !
(Je n'entends pas de choc de styles mais des contrastes forts, fiers même !)