Vibrations lumineuses (Anthony Girard à la Schola Cantorum

Vendredi dernier, nous avons écouté un concert entièrement consacré à la musique de chambre d’Anthony Girard dans la salle César Franck de la Schola Cantorum.

Comme vous êtes tellement cultivées, mes chères lectrices, vous connaissez bien la musique d'Anthony Girard. Délicate, raffinée, un peu hors du temps, ni contemporaine ni archaïsante, authentique avant tout. Anthony Girard écrit la musique qu’il veut entendre, avec une simplicité désarmante, presque enfantine. Influencé par le minimalisme post-contemporain et la spiritualité d’Arvo Pärt, mais aussi par la poésie, il incarne la continuité et la permanence d’une certaine tradition française (Satie, Fauré, Poulenc, Greif et les autres).

Nous commençons par Le porteur de flamme, messager de la joie, interprété brillamment par le dédicataire Philippe Portejoie au saxophone, avec Frédérique Lagarde au piano. Le compositeur nous dit que ce messager de joie est le musicien, chargé d’apporter la douceur et la consolation dans les cœurs. Une belle énergie rythmique grâce aux motifs rythmiques par 5, un peu jazzy, et une vraie sensation de joie. C'est suffisamment rare pour être souligné, tant il y a d'oeuvres contemporaines parfaitement sinistres. C’est une pièce que j’aime beaucoup même si je la trouve un peu répétitive par moments. On peut en écouter une version de concert ici.

Ensuite vient une pièce récente (2024) pour deux flûtes et piano, très brillamment joué par Éric et Patrice Kirchhoff. Magnifiquement écrite pour l’instrument, et la symbiose des deux flûtistes virtuoses fait vraiment plaisir à voir autant qu’à entendre. Girard utilise presque le piano comme une troisième flûte en le plaçant beaucoup dans l’aigu pour dialoguer avec elles, et ça sonne très bien.

Retour du saxophone pour une pièce de 2010, Éloge de la folie. Anthony Girard nous cite un poète soufi qui précise que cette folie n’est pas celle que procure la boisson, mais plutôt l’ivresse amoureuse. Les accords mystérieux du début me font un peu penser aux sugar chords du jazz, ces accords saturés mais pas dissonants. Magnifique écriture mélodique, très inspirée. J’adore.

Ensuite nous entendons les Vibrations lumineuses pour piccolo et piano, où Patrice Kirchhoff nous démontre que cet instrument mélodique entre tous peut être très doux même dans le suraigu.

Et puis vient une petite pièce pour piano à 4 mains intitulée La Rose et son désir. Le compositeur a placé ce texte en tête de la partition, texte qu’il nous lit avant qu’elle soit jouée :

 

A quoi ressemble le sourire de la rose ?

Où se dirigent ses pensées ?

Hautaine et délicate, finement ouvragée. Elle est fière de sa splendeur.

  • Je suis la reine des fleurs.

Un papillon blanc, venu respirer son arôme :

  • La reine, tu en es sûre, qui te l'a dit ?
  • Les poètes
  • Ce sont des menteurs ou des illusionnistes.
  • Regarde combien je suis charmante.
  • L'air est plus léger, le soleil plus brillant. La terre qui te nourrit est pleine de vigueur, la pluie te vivifie.
  • Regarde, regarde et sens à quel point je suis merveilleuse et parfumée.
  • Créature éphémère, tes pétales tombent en poussière.
  • La beauté n'est donc pas immortelle ?
  •  Tu n'es qu'un rêve ; seule la rose immatérielle est éternelle.

 

Je ne résiste pas au plaisir de vous montrer les premières mesures de la partition, qui vous donnent un aperçu du style d'Anthony Girard:

 

C’est une passacaille dont la structure harmonique est simplissime : une série d’accords parfaits qui descendent de façon chromatique et parallèle du Do dièse mineur au La mineur. Quoique prohibées par l’harmonie tonale traditionnelle (ou scolaire), ces quintes parallèles peuvent sonner fort bien … à condition de bien les harmoniser, ce dont nous avons une nouvelle démonstration. Cette série de variations légères et gracieuses, délicatement mélancoliques, subtilement dissonantes, avec un petit rythme de sicilienne, m’ont fait penser à des danseuses de ballet.

Nous terminons par une note festive avec la création d’une nouvelle pièce pour flûte, saxophone, basson et piano. Cette pièce prend par moments des tours plus dramatiques, plus sombres.

Ce fut une soirée fort charmante, un peu hors du temps. Un peu comme une bulle de douceur et de poésie préservée par hasard dans un monde de brutalité, de machines bruyantes et d’égoïsme forcené.