Trop de créativité et pas assez de créations

Revenons sur le mouvement d'humeur de S. Cambreling ce matin à la radio (et sur le mien, consécutif au premier). Le problème de l'opéra aujourd'hui ne se limite pas à la sociologie du public parisien: à l'heure où les productions d'opéras voyagent de Bruxelles à New-York et de Salzbourg à Moscou, il est tout à fait global.

À Salzbourg en 2006, j'ai vu des productions (Don Giovanni, Idomeneo) auxquelles on aurait pu faire les même compliments et les même reproches qu'aux productions parisiennes de Simon Bocanegra et La Traviata, à savoir:

  • un respect scrupuleux de la partition
  • un plateau vocal tout à fait bon dans l'ensemble
  • une mise en scène moderne, agressive, que certains adorent et d'autres détestent.

L'origine du problème est double:

  • un compositeur mort depuis 100 ans au moins
  • un metteur en scène bien vivant, lui, et qui cherche à s'exprimer

Il y a très peu de créations d'opéras aujourd'hui. Toutes les grandes maison font l'essentiel de leur programmation avec les classiques du répertoire. Du coup, la question essentielle devient celle-ci: comment moderniser La Traviata ? Quelle lecture de Don Giovanni proposer aujourd'hui ? Et les metteurs en scène, soucieux de reconnaissance, cherchent désespérément à se démarquer, non seulement par rapport aux références à la société du XIXè présentes dans la Traviata, mais aussi par rapport aux productions célèbres des années 50 ou 60, disponibles en DVD. Ce souci d'originalité et de modernisation comporte un risque: se retrouver en porte-à-faux avec l'oeuvre originale, voire même en proposer une lecture complètement à contre-sens.

Le vrai problème aujourd'hui n'est pas que le public d'opéra aime siffler et huer (ça a toujours existé). Il est encore moins sur la manière dont telle ou telle production traite ou maltraite Cosi fan Tutte. Le problème c'est qu'on n'écrit pas assez d'opéras, et que les rares compositeurs qui le font ont énormément de mal à se faire jouer. Les artistes comme le public on finit par s'y faire: la nouveauté, ce n'est pas une création (un nouvel opéra). La nouveauté, c'est la N+1-ième production de Lohengrin ou de Tosca. Ainsi les débats, les polémiques enflammées, les triomphes et les scandales portent non sur la musique mais sur la mise en scène. Au fond c'est bien naturel: c'est la seule chose qui change d'une année sur l'autre. Pour la musique, c'est toujours pareil. On pourrait quasiment passer un disque au lieu de louer les services d'un orchestre et d'un chef.

Les maisons d'opéra aujourd'hui sont un lieu privilégié pour la créativité des metteurs en scène, mais le mot "création" a quasiment disparu de leur vocabulaire.

Commentaires

1. Le mercredi 20 juin 2007, 12:32 par Eric

Des articles comme on aimerait en lire plus souvent.

Pourquoi l’époque contemporaine est-elle aussi réticente aux nouvelles créations d’opéras ? Une commande à un compositeur est-elle si cher que cela à l’échelle du budget de la France ou des budgets de mécénat des grandes entreprises ?

Le renouveau entraînerait certainement une retombée positive quant à la fréquentation des salles et une dynamique relationnelle entre compositeurs, interprètes et public serait relancée. Du temps de Verdi, si je ne me trompe, l’opéra était populaire. Dès la fin de la première représentation de Nabucco, le peuple reprenait spontanément « Va pensiero ». Sans tomber dans le populisme, je pense qu’il y a quelque chose à faire. Télérama regrettait récemment que le rayon « classique » de la FNAC rétrécissait comme peau de chagrin. Plutôt que de crier au cynisme des distributeurs, quelque chose est à faire pour rendre ce secteur d’activité économiquement viable dans un premier temps, à défaut d’être rentable, à l’instar de l’industrie du cinéma français qui a su mettre en place un système de financement quasi-salvateur et insufflé par une volonté politique forte.

Je me permets un parallèle avec le commerce de biens de consommation courante. La concentration et le nombre de magasin vendant les mêmes types de biens créent l’affluence de clientèle. Les parisiens savent que du côté de Pigalle, on trouve beaucoup de magasins de guitare. Et ils s’y rendent.

Qu’on arrête de parler d’élitisme dans l’opéra, qu’on arrête de nous dire que c’est compliqué à monter pour justifier le fait qu’il y a si peu de nouvelles créations aujourd’hui. Je suis informaticien. Les gens qui utilisent des logiciels se moquent de savoir si le développeur en a bavé pour le réaliser. Ils veulent juste que le logiciel fasse ce qu’il a à faire, sans bugger.

Bref, parler à notre sensibilité, faites nous vibrer. Cela touchera le plus grand nombre et donnera envie à tout un chacun de découvrir ou redécouvrir l’opéra. Et cela passe vraisemblablement par de nouvelles œuvres.