Du Bellay, Desportes, Labé, et Marot dans le texte

J'ai toujours aimé la poésie mais depuis quelques mois, celle du XVIè siècle me passionne véritablement: on y trouve une liberté de ton, une folie langagière, une force dont on chercherait en vain l'équivalent dans la poésie classique ou romantique (la poésie moderne et contemporaine, c'est encore tout à fait autre chose).

La question inévitable lorsqu'on lit des textes anciens: faut-il moderniser l'orthographe ? Dans le cas de la prose, ça ce discute. Pour la poésie, il ne faut rien moderniser. La couleur sonore d'un poème vient des voyelles, si on change les voyelles on détruit la couleur. Même remarque pour le rythme, qui est donné par les consonnes. Un autre argument plus fort encore: de façon paradoxale, moderniser la langue revient en fait à nier le fait qu'elle évolue, qu'elle vit. Il faut donc faire l'effort de lire ces textes tels qu'ils ont été écrits, quitte à chercher des mots anciens dans un dictionnaire. En théorie, il faudrait également les lire avec l'intonation d'époque, mais c'est quasiment impossible car on n'a qu'une très vague idée de la manière dont Montesquieu ou Du Bellay prononçaient le Français. Contrairement à la musique, où des traités d'interprétation peuvent donner des indications, on ne dispose d'aucun document donnant la transcriptions phonétique des mots du dictionnaire, ni de l'emplacement des accents dans la phrase ou des usages concernant les liaisons.

Après quelques déceptions avec des éditions poche en langue "semi-modernisée", j'ai finalement trouvé mon bonheur dans la collection de La Pléiade: sous le titre Poètes du XVIè siècle, Albert-Marie Schmidt a regroupé, non une sélection de poèmes mais une sélection de recueils, ce qui permet d'apprécier certains tubes comme Heureux qui comme Ulysse ... ou Je vis, je meurs : je me brule et me noye ... dans leur contexte naturel. C'est une véritable nourriture pour l'esprit, et des plus délectables. Voici pour vous, chers lecteurs, un sonnet extrait des Regrets de Du Bellay:

Seigneur, ne pensez pas d'ouir chanter icy
Les louanges du Roy, ny la gloire de Guyse,
Ny celle que se sont les Chastillons acquise,
Ny ce Temple sacré au grand Montmorancy.

N'y pensez voir encor' le severe sourcy
De madame Sagesse, ou la brave entreprise,
Qui au Ciel, au Daemons, aux Estoilles s'est prise,
La Fortune, la Mort, et la Justice aussi,

De l'Or encore moins, de luy je ne suis pas digne :
Mais bien d'un petit Chat j'ay fait un petit hymne,
Lequel je vous envoye : autre present je n'ay.

Prenez le donc, Seigneur, et m'excusez de grace,
Si pour le bal ayant la musique trop basse,
Je sonne un passepied, ou quelque branle gay.

Du Bellay fait ici (icy ?) allusion à un autre de ses poèmes, l'Epitaphe du Chat. Soulignons pour finir que le branle et le passepied sont des danses populaires (opposées ici au bal, pratiqué par les nobles).

Commentaires

1. Le lundi 23 juin 2008, 15:48 par DavidLeMarrec

Si, si, comme pour la musique, on dispose d'indices assez précis. Et pour ce qui est des liaisons, des accents, on en a une idée tout de même. Comme pour la musique, on ne peut jamais être authentique, mais en tout cas, on sait rétablir pas mal de choses, il y a énormément de travaux savants très documentés sur la question.

A noter que la prononciation restituée adoptée par Eugène Green et ses disciples (Benjamin Lazar aujourd'hui) est inexacte : très archaïsante et systématisée.