mardi 31 mai 2016

Nous en aurons raison

Voilà longtemps que je voulais écrire un article sur ce sujet, depuis les attentas du 7 janvier 2015 en fait. Mais je voulais également prendre mon temps pour le faire, d'abord par respect pour les victimes et leurs familles: je trouve le déluge de paroles sur les chaînes et sites d'informations après un attentat indécent et peu compatible avec le silence qui convient au travail de deuil, ainsi qu'au temps de la réflexion, plus que jamais nécessaire. Je n'avais pas encore publié mon papier que les attentats du 13 novembre 2015 à Paris puis du 22 mars 2016 à Bruxelles ont été perpétrés, confirmant en tout point mes intuitions. Là encore les media se sont concentrés sur l'émotionnel pur, ou encore sur les savantes analyses de politologues, sociologues, sécuritologues et autres islamologues qui n'avaient pour effet que d'augmenter la panique et la confusion. On en viendrait presque à croire qu'ils sont les alliés objectifs des terroristes, en mobilisant toute leur énergie pour nous faire peur. Au milieu de ce fatras les seules paroles que j'ai retenues sont celles d'Antoine Leiris, journaliste et époux d'une des victimes du Bataclan. C'étaient les seules paroles sincères, sensibles et sensées, inspirées par l'amour de la vie.

 

 

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vendredi 25 mars 2016

Un hiver avec Schubert (et avec Olivier Bellamy)

Un hiver avec Schubert, c'est le titre d'un livre d'Olivier Bellamy, publié récemment chez Buchet Chastel, qui regroupe une quarantaine de texte courts, comme autant d'articles d'un dictionaire amoureux et savamment désordonné de Schubert. C'est là l'oeuvre d'un mélomane et non d'un musicologue: abandonnant toute prétention à l'exhaustivité, l'auteur a toute liberté pour nous raconter son Schubert, pour oser des rapprochements, des comparairons littéraires, des divaguations musicales et métaphysiques. Pour notre plus grand bonheur !

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dimanche 27 mars 2011

La musique éveille le temps, par Daniel Barenboim

Daniel Barenboim, le pianiste et chef d'orchestre bien connu, a déjà eu l'occasion de s'expliquer sur son engagement politique, sur la musique de Wagner, sur Israël et la Palestine dans de nombreuses interviews. Il avait également publié un livre Parallèles et Paradoxes avec l'intellectuel palestinien Edward Saïd qui fut avec Barenboim l'inspirateur du projet du West-Eastern Divan Orchestra, à savoir un orchestre symphonique de jeunes qui regroupe des Israéliens, des Palestiniens, des Syriens, des Libanais et d'autres nationalités, et qui cherche à susciter une meilleure compréhension mutuelle des peuples du Proche-Orient. Du reste nous avons déjà parlé de ce orchestre dans le journal de Papageno.

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Ce nouveau livre, La musique éveille le temps, publié en 2008, est l'occasion de regarder en arrière, de faire le point sur 10 ans avec le West-Eastern Divan et sur 60 ans de carrière comme musicien. Barenboim y développe une philosophie qui cherche et trouve dans la pratique de la musique une sagesse s'appliquant à la vie des individus comme à celle des nations. De même que la polyphonie permet à chaque voix musicale de s'exprimer en écoutant les autres voix, de même une solution de paix entre Israéliens et Palestiniens ne pourra être basée que sur l'écoute et le respect mutuel.  "La musique n'est pas une alternative mais plutôt un modèle", écrit-il. "La diversité du groupe est propice à la coexistence pacifique de diverses identités nationales, et, au-delà, permet à chacun de se libérer des idées préconçues sur l'autre". Et encore: "Lorsque les Palestiniens et d'autres Arabes se joignent à des Israéliens pour faire de la musique, le principal élément qui manque dans la vie politique de la région, à savoir l'égalité, est déjà une donnée".

L'orchestre symphonique comme modèle de société ? Les initiatives comme El Sistema de Gustavo Dudamel au Venezuela, ou plus proche de chez nous, le réseau Orchestres à l'école montrent que la musique peut jouer un grand rôle dans l'éducation et la socialisation des jeunes des quartiers défavorisés, et dans la prévention de la violence. Il y a une sorte de magie de la musique qui agit de manière étonnamment efficace. D'autres événements culturels ou sportifs peuvent jouer un rôle social comparable, mais il y a dans le sport une notion d'affrontement et de polarisation du public (songez à un match de foot Paris - Marseille) alors que la musique rassemble. Ainsi, créer des compétitions sportives avec des Israéliens et des Palestiniens contribuerait certainement à une meilleure entente mutuelle et à la paix dans cette région du monde, mais les supporters resteront attachés à la défense de leur nation. Regrouper des personnes des deux nationalités autour d'un projet artistique est un geste plus fort, qui va beaucoup plus loin. Comme le remarque très justement Barenboim, la musique engage en nous toutes les dimensions de l'être: affectives, intellectuelles, et morales.

"On a souvent admiré mes initiatives, en faisant allusion à une certaine naïveté de ma part. Mais je me demande s'il n'est pas encore plus naïf de compter sur une solution militaire qui n'a pas fonctionné depuis soixante ans". Admiré par beaucoup, Barenboim a été également critiqué de manière violente par l'extrême droit israélienne: on l'a traité de fasciste, d'antisémite, etc. Certains ont même voulu lui retirer la nationalité israélienne en 2008, au moment où il a accepté le titre de citoyen palestinien honoraire décerné par l'Autorité Palestinienne.

Naïf, Barenboim ne l'est certainement pas: c'est plutôt sa lucidité qui me frappe à chaque page de ce livre. A propos de la musique de Wagner, il reconnaît sans détour l'antisémitisme déclaré de Wagner, et l'utilisation outrancière que les nazis ont fait de sa musique. Mais il poursuit l'argumentation: les nazis ont cherché à récupérer d'autres chefs-d'œuvre du patrimoine allemand comme la 9e symphonie de Beethoven: faut-il pour autant rayer du catalogue toute la musique qui a été jouée entre 1933 et 1945 en Allemagne ? Qu'on l'aime ou pas, Wagner est tout de même un musicien capital dans l'histoire de la musique occidentale, un de ceux qui a obligé les autres à se positionner pour ou contre, sans laisser personne indifférent. Par ailleurs, continue Barenboim, si on doit respecter la sensibilité de ceux qui associent la musique de Wagner au nazisme et refusent d'écouter sa musique, on peut également respecter le choix de ceux qui ne font pas une telle association. Et un tel choix doit être fait par les individus, et non par le groupe. Autrement dit le refus de la musique de Wagner, s'il est légitime dans certains cas, ne peut être imposé par une tabou à l'échelle de la nation toute entière.

Après un concert du West-Eastern Divan Orchestra à Ramallah en 2005, c'est toujours avec une grande lucidité que Barenboim analyse les réactions du public: ceux qui approuvent et comprennent le projet, et ceux qui jugent indécent de dépenser de l'énergie à des choses aussi futiles que la musique alors que des injustices et des violences si graves sont commises quotidiennement. Le musicien a fait son choix et l'assume, mais il reconnaît et même écoute attentivement l'opinion de ceux qui le critiquent.

Daniel Barenboim évoque également dans son livre sa passion pour la musique, compare la forme sonate et la fugue, évoque le rôle de Bach, Mozart, Spinoza ou Boulez dans sa vie. Pour être franc, cette partie théorique n'est pas ce qui m'a le plus passionné: ce qu'il écrit est souvent juste mais rarement original ou très profond. De même les parallèles qu'il dresse entre formes musicales et structures politiques ont leurs limites. Barenboim est un musicien, et non un intellectuel comme l'était son ami Edward Saïd (dont nous recommandons de manière urgente la lecture de Orientalism ou Culture and Imperalism à ceux de nos lecteurs qui ne le connaîtraient pas). Son livre est intéressant et même passionnant en tant que témoignage d'une vie d'artiste engagé et exemplaire, davantage que pour son contenu théorique. On y trouve certains documents comme le discours historique qu'il a prononcé en 2004 à la Knesset lorsqu'on lui a attribué le prix Wolf. Dans ce discours il cite la déclaration d'indépendance: "Une complète égalité de droits sociaux et politiques, sans distinction de croyance, de race ou de sexe [...] Nous tendons la main de l'amitié, de la paix et du bon voisinage à tous les États qui nous entourent et à leurs peuples". Il pose ensuite la question aux députés israéliens; "pouvons-nous, malgré tout ce que nous avons accompli, ignorer le fossé intolérable entre ce que nous promettait la déclaration d'indépendance et ce qui a été réalisé, le fossé entre l'idée et les réalités d'Israël ?  [...] L'indépendance de l'un au dépens des droits fondamentaux de l'autre a-t-elle un sens ?"

L'espoir est tout aussi nécessaire à l'homme que le pain qu'il mange ou l'air qu'il respire. C'est pourquoi, alors que la situation du conflit Israëlo-Palestinien sur le terrain paraît aussi inextricable et insoluble que jamais, il nous faut d'autres Barenboim. D'autres prophètes pour nous rappeler que la paix n'est pas seulement un concept abstrait à l'usage des doux rêveurs idéalistes, mais un processus, un travail comparable aux efforts des musiciens pour atteindre la perfection, et que ce travail a déjà commencé.


jeudi 18 juin 2009

Débuter le violon à quarante ans ?

Un fidèle lecteur de de Journal m'écrit et me demande si c'est une bêtise de vouloir commencer le violon à 40 ans. La réponse est simple. Non ça n'est pas une bêtise du tout. Il faut faire ce qu'on aime. Et ça n'est pas moi qui à 33 ans suis passé à mi-temps pour faire de l'alto et de la composition qui vous dirai le contraire. Dans le pire des cas, en étant pessimiste et en supposant ça ne marche pas du tout et qu'on abandonne après quelques années, l'apprentissage du violon aura été un passe-temps comme un autre. Naturellement je dis cela en pensant à l'apprenti violoniste, pas à son entourage dont la digestion post-prendiale du dimanche peut être sévèrement perturbée par des gammes, arpèges et autres exercices de torture de l'oreille... des autres !

Il y a en France un mythe tenace qui veut que le violon réclame une discipline qui tient de l'ascèse et que si on n'a pas commencé à quatre ans et demi et vécu dans le rythme quasi monacal des classes à horaires aménagées quand on était gosse, on ne pourra jamais apprendre le violon. C'est un mythe. une pure idée reçue. Il y a des gens qui ont commencé le violon ou le violoncelle à l'âge adulte et jouent très bien. J'en connais quelques-uns personnellement, des pros et des amateurs.

L'isolement (et le découragement qui l'accompagne) est sans doute le pire danger qui guette l'apprenti violoniste. C'est pour cette raison que beaucoup de gens abandonnent le piano: ils en ont assez de jouer tout seuls et d'avoir l'impression ne pas faire de progrès. Pour cette raison on peut recommander à qui veut commencer le violon de suivre des cours en école de musique plutôt que des leçons privées, et de faire de la musique d'ensemble (par exemple en duo violon-guitare), du jazz ou de l'orchestre dès que possible. Également, dès que possible, il faut chercher des occasions de se produire devant le public, ce qui est la raison d'être du musicien.

Terminons en conseillant la lecture du livre "le violon intérieur" de Dominique Hoppenot. Son enseignement qui prenait en compte le corps dans sa totalité (et pas seulement les doigts) était assez révolutionnaire à l'époque, mais beaucoup de professeurs intègrent maintenant ces notions à leur enseignement.

mardi 16 juin 2009

Armande de Polignac: le Héron Blanc

Le compositeur du jour est une compositrice: Armande de Polignac (1876-1962). C'était une élève de Vincent d'Indy et la nièce de la célèbre Princesse de Polignac, célèbre mécène qui a soutenu Ravel, Stravinski, Milhaud et bien d'autres.

Pour sa biographie, je vous renvoie au livre Les compositrices en France au XIXe siècle de Florence Launay chez Fayard. Sa musique est quasiment introuvable dans le circuit commercial. Seules deux mélodies sont éditées chez Eschig (Rêverie et Soir au jardin). Aucun disque. Bref c'est la femme invisible, ou plutôt inaudible.

C'est donc une oeuvre rarissime que je vous propose de découvrir. Écoutons ensemble le Héron Blanc, paroles de Franz Toussaint d'après Li-Tai-Po (poète chinois du 8è siècle), tiré du recueil La flûte de jade, chanté par L'Oiseleur des Longchamps accompagné par Mary Siciliano, en concert le 27 mai 2009:

Ce grand flocon de neige était un héron,
qui vient de se poser sur le lac bleu.
Immobile á l'extrémité d'un banc de sable,
le héron blanc regarde l'Hiver.

Vous avez certainement entendu le subtil usage des dissonances dans cette pièce, ainsi que la façon dont L'Oiseleur des Longchamps pousse sa voix dans le pianissimo, aux limites de la rupture... certains critiques parlent de "prise de risque", je préfère le mot d'engagement, car il exprime bien le fait que les risques qui sont pris n'ont rien de gratuit mais sont au service de l'expression.

Il ne me reste qu'à remercier chaleureusement les artistes de m'avoir permis de découvrir Armande de Polignac d'abord et ensuite de publier cette pièce dans ce journal. J'ai entendu parler d'un projet de disque. Puisse les mânes capricieuses qui tissent les fils du destin en permettre la réalisation !

vendredi 20 mars 2009

Jean Giono: les vraies richesses

C'est en 1937 Jean Giono publie un essai d'une centaine de pages intitulé Les vraies richesses qu'il est urgent de relire aujourd'hui (on le trouve chez Grasset dans la collection "Les Cahiers Rouges", mais aussi en livre de poche). Voici un extrait de la préface:

La joie que j'ai dans mon cœur (comme celle que Bobi a dans son cœur) je la touche et je la perds dans le même instant parce que je ne peux pas la partager avec tous. Qu'on m'accuse alors d'avoir trouvé une joie plus terrible que délicieuse, j'en suis fier. Mes délices demeureront quand ils seront communs. Mais quand la misère m'assiège ... Et elle est partout dans le monde, mêlée à une sorte de folie. Les hommes ont créé une planète nouvelle: la planète de la misère et du malheur des corps. Ils ont déserté la terre. Ils ne veulent plus ni fruits, ni blé, ni liberté, ni joie. Ils ne veulent plus que ce qu'ils inventent et fabriquent eux-mêmes. Ils ont des morceaux de papier qu'ils appellent argent. Pour avoir un plus grand nombre de ces morceaux de papier ils décident subitement de faire abattre et d'enterrer cent soixante mille vaches parmi les plus fortes laitières. Ils décident d'arracher la vigne car, si on ne l'arrachait pas, le vin serait trop bon marché, c'est-à-dire ne pourrait plus produire des morceaux de papier en assez grand nombre. A choisir entre les morceaux de papier et le vin, ils choisissent les morceaux de papier. Ils brûlent le café, ils brûlent le lin, ils brûlent le chanvre, ils brûlent le coton. Devant l'énorme bûcher de coton, des chômeurs de l'Illinois viennent: «Laissez-nous emplir des matelas, disent-ils, nous couchons sur la terre, nous ne mangeons presque pas. Nous pourrons au moins dormir. » On leur dit: «Non, le coton est en trop. » Ils répondent: « Pas en trop puisque ce coton nous manque. Il nous donnerait des joies, je vous assure,. enfin, des joies c'est beaucoup dire, mais il adoucirait notre misère, il nous permettrait de dormir au souple quand nous n'avons pas assez mangé. » On leur répond: «Non, non, vous n'y entendez rien. Il ne s'agit pas de vous. Ce coton est en trop car, s'il continuait à exister, le prix du coton baisserait et nous, les producteurs de coton, nous aurions un peu moins de petits morceaux de papier. Tout est là, toute la question est là et nous ne serons tranquilles que lorsque ce coton sera devenu de la fumée. Ecartez-vous. » Quand les récoltes sont abondantes, on se lamente: nous avons trop de pêches, nous avons trop de poires, nous avons trop de vin, nous avons trop de blé, trop de pommes de terre, trop de betteraves, trop de choux, trop d'artichauts, d'épinards, de fèves, de lentilles, de haricots. La terre qui continue ses anciennes gloires épaissit-elle la semence des animaux: nous avons trop de vaches, trop de bœufs, trop de porcs, trop de moutons, trop de chevaux, trop de chèvres. Le cortège des bêtes splendides marche à travers les vergers couverts de fleurs,. les champs de graminées caressent doucement le ventre des bœufs. L'homme tremble. L'immense terreur collective ébranle la société,. nos morceaux de papier, nos morceaux de papier! Gouvernements, ministres, députés, rois, empereurs, lois, lois, lois humaines au secours! Nous avons trop de tout, vite, vite, mettons le feu aux champs, éreintons le verger à coups de hache, tuons les vaches, les porcs, les moutons pendant la nuit à coups de couteau dans le ventre, à coups de serpe sur la tête, fauchant à la faux les pattes grêles des troupeaux, et, si ça ne va pas assez vite, canons, canons, canons !

Que la rareté revienne! Que la terre soit un désert, pour que je puisse vendre très cher ce petit mouton solitaire, cette petite pêche, à peine deux bouchées. Vous avez faim? Tant mieux, vous me donnerez un peu plus de morceaux de papier! Si je pouvais arrêter les fleuves! Si je pouvais faire aussi que l'eau soit chère! Je vous vendrais de l'eau. Que d'argent perdu dans ce fleuve où tout le monde peut puiser librement.


Les deux tiers des enfants du monde sont sous-alimentés. Trente pour cent des femmes qui accouchent dans les maternités ont les seins secs au bout de huit jours. Soixante pour cent des enfants qui naissent ont souffert de misère dans le ventre de leur mère. Quarante pour cent des hommes de la terre n'ont jamais mangé un fruit sur l'arbre. Sur cent hommes, trente-deux meurent de faim tous les ans, quarante ne mangent jamais à leur faim. Sur toute l'étendue de la terre, toutes les bêtes libres mangent à leur faim. Dans la société de l'argent, vingt-huit pour cent des hommes mangent à leur faim. Soixante-dix pour cent des travailleurs n'ont jamais eu de repos, n'ont jamais eu le temps de regarder un arbre en fleur, ne connaissent pas le printemps dans les collines. Ils produisent des objets manufacturés. Quarante pour cent des objets qu'ils fabriquent ainsi sans arrêt sont sans signification dans la vie humaine. Cinquante-trois pour cent des objets fabriqués qui peuvent aider la vie restent dans les entrepôts, ne sont pas achetés, sont détruits, redeviennent de la matière qu'on redonne à l'ouvrier, qui refait l'objet, qu'on redétruit. L'ouvrier est le seul qui habite totalement dans la planète de la misère et du malheur des corps.

 Sur cent ouvriers entrant aux hôpitaux les médecins qui les examinent ne peuvent plus reconnaître le corps d'un homme à quarante-trois d'entre eux. Les poumons sont devenus quelque chose qui jusqu'à présent n'avait plus de nom, une sorte de monstre anatomique. Mais il y a tant de ces monstres qu'on a été obligé d'inventer un nom: c'est le poumon-usine. Sur ces quarante-trois - je ne sais pas comment dire,. disons: hommes, quand même - sur ces quarante-trois hommes, il n'y a plus rien de vrai: ni cœur, ni sang, ni vue, ni odorat, ni goût. Ce sont les nouveaux habitants de la nouvelle planète de la misère et du malheur des corps. Les bêtes sauvages sont admirables. Un renard saute deux mètres en hauteur, tant qu'il veut. Le cœur d'un oiseau est une merveille. Le poumon des canards sauvages est une joie et une richesse formidables pour le canard. La société construite sur l'argent détruit les récoltes, détruit les bêtes, détruit les hommes, détruit la joie, détruit le monde véritable, détruit la paix, détruit les vraies richesses.

Vous avez droit aux récoltes, droit à la joie, droit au monde véritable, droit aux vraies richesses ici-bas, tout de suite, maintenant, pour cette vie. Vous ne devez plus obéir à la folie de l'argent.


jeudi 5 mars 2009

Debussy, père de tout les bloggueurs

Entre 1901 et 1903, un musicien français jeune encore, brillant, anti-conformiste, déjà connu mais pas encore célèbre (il faudra attendre le succès de Pelléas pour cela) publie des chroniques musicales sous le pseudonyme de Monsieur Croche. Dans ce Monsieur Croche, Paul Valéry ne verra qu'un avatar de son Monsieur Teste, mais c'est bien plus que cela.

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Les chroniques musicales de Debussy ne ressemblent pas à ce qu'on lit habituellement dans la critique musicale. Il ne prétend pas être l'arbitre du bon goût, celui qui distribue les bons ou les mauvais points, qui couvre de fleurs ou descend en flammes les interprètes. Il s'intéresse autant aux oeuvres qui sont jouées qu'à la manière dont elles sont jouées. Il mélange au fil de la plume des considérations théoriques, des impressions sur le vif, des plaisanteries. Il n'hésite pas à dire je, en assumant totalement la subjectivité de son propos. Le mot clé est celui d'impressions, qu'il souligne lui-même dans le premier article.

Lorsqu'il a re-publié ces textes en 1987, chez Gallimard, François Lesure a eu l'audace de les disposer par ordre chronologique, tels qu'ils ont été publiés à l'époque, et non dans la version re-travaillée par Debussy pour publication en 1926. Malgré les redites, les digressions que Debussy avait éliminées et que François Lesure a donc fidèlement rétabli, c'est sans doute le bon choix éditorial. Outre un tableau de la vie musicale il y a 100 ans à Paris, ces chroniques nous donnent une image vivante et spontanée de la pensée de Debussy. Ans, par exemple, toute l'ambiguïté de son rapport à Wagner (qui balance entre admiration et rejet) apparaît plus clairement.

Ma tendre épouse qui y a jeté un coup d'oeil (elle lit à la diabolique vitesse de 10 pages par minute) m'a dit c'est un blog, ce qui n'a pas manqué de m'interpeller, car c'est exactement l'impression que j'avais eu moi-même. Debussy n'a pas seulement inventé l'impressionnisme musical et le mode I (la gamma par tons, si vous préférez): il a aussi inventé le blog  mélomane, près de soixante-dix ans avant l'apparition d'Internet et cent ans avant l'avènement du Web 2.0. Quel génie visionnaire, tout de même. Et quelle fine plume !

samedi 14 février 2009

L'éternelle jeunesse de la Princesse de Clèves

Elle est née en 1678, elle n'a pas pris une ride, et le président de la république a une dent contre elle. C'est la Princesse de Clèves. La première attaque a été menée par le candidat à la présidentielle, en février 2006:

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jeudi 18 décembre 2008

Au revoir, monsieur Brendel

Avec un ultime concert à Vienne, le pianiste Alfred Brendel met aujourd'hui fin à 60 ans de carrière. De nombreux commentateurs, musicologues, journalistes, musiciens, et des plus qualifiés que moi, ont déjà embouché leurs trompettes pour lui préparer un beau concert d'éloges, fort mérité il est vrai. Un musicien largement autodidacte, un intellectuel autant qu'un artiste, qui nous laisse une discographie abondante (toutes les sonates de Beethoven, mais aussi toutes celles de Mozart de Schubert et une bonne tranche de Liszt).

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samedi 18 octobre 2008

Ernest Chausson, par Jean Gallois

Comment remplir 600 pages avec la vie et l'oeuvre d'Ernest Chausson ? L'auteur du Poème pour violon et orchestre et du Roi Artus n'a en effet laissé qu'une cinquantaine d'opus. Il faut dire que venu tardivement à la musique et décédé à 44 ans, il n'aura été compositeur qu'une quinzaine d'années. Le plus doué des élèves de César Franck, s'il n'a pas écrit autant que Beethoven ou Schubert, tant s'en faut, nous laisse plus d'un chef-d'oeuvre, dans tous les genres: musique de chambre, mélodie, orchestre, opéra.

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jeudi 11 septembre 2008

Binet: les bidochons internautes

La rentrée littéraire démarre très fort cet année avec un nouvel opus des Bidochon (Binet, publié chez Fluide Glacial) consacré à l'Internet. Robert et Raymonde découvrent la joie des e-mails, du spam, des virus, du phising, du googling, du connecting, du pr0n, des Relox et du C!alys pas cher, sans compter les contacts avec une hot line vraiment très chaude...

Les dialogues sont savoureux, et le dessin toujours aussi efficace:

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Je ne voudrais pas gâcher votre plaisir de le découvrir, mais Binet a trouvé une façon très visuelle, très parlante, très bidochonesque de décrire les heurs et malheurs de l'internaute. La résistance têtue des Bidochon à toute forme de modernité - que ce soit le taï-chi, la télé, la voiture, la macrobiotique ou le téléphone portable - a quelque chose d'héroïque et de profondément touchant.

En bref 2008 est un grand cru pour les Bidochon !

jeudi 26 juin 2008

Dominique Hoppenot: le violon intérieur

Dominique Hoppenot, pédagogue du violon bien connue, disparue en 1983, s'était fait une spécialité de récupérer des violonistes (amateurs ou professionnels) au bord du gouffre, de leur redonner la confiance, le plaisir de jouer, et les bases de la technique. Son approche originale prenait en compte tout le corps et pas seulement les doigts ou les poignets, a fait beaucoup d'émules et si elle n'est pas la seule, Dominique Hoppenot est l'une des personnes qui ont contribué à changer l'enseignement du violon.

le violon intérieur

Les conseils que donne Dominique Hoppenot sont basés sur une connaissance fine de l'anatomie, une longue expérience: les nombreux dessins expliquent des positions justifiés par l'équilibre de tout le corps, la dynamique de mouvements qui sont toujours la résultante d'une force et d'une autre force opposée. Le but visé étant un état de décontraction et de concentration qui permette d'aborder et de résoudre les redoutables difficultés que pose la pratique du violon.

En dehors des violonistes (et altistes), ce livre ne risque pas de passionner les foules car on y a parle de technique, de pédagogie, mais guère de musique. Sauf erreur de ma part aucun nom de grand compositeur ou d'œuvre importante pour violon n'est cité dans le livre, vraiment centré sur le jeu du violon et le son. Mais pour les violonistes c'est un véritable livre de chevet ou plutôt de pupitre. Quel que soit leur niveau c'est une invitation à revenir aux sources, à se remettre en question, et parfois tout simplement à retrouver le bonheur de jouer.

vendredi 20 juin 2008

Du Bellay, Desportes, Labé, et Marot dans le texte

J'ai toujours aimé la poésie mais depuis quelques mois, celle du XVIè siècle me passionne véritablement: on y trouve une liberté de ton, une folie langagière, une force dont on chercherait en vain l'équivalent dans la poésie classique ou romantique (la poésie moderne et contemporaine, c'est encore tout à fait autre chose).

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mercredi 4 juin 2008

Debussy: Correspondance

Publié chez Gallimard en un gros pavé de 2300 pages: la correspondance de Claude Debussy.

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lundi 26 mai 2008

Messiaen par Nigel Simeone et Peter Hill

Les livres sur Messiaen se classent en trois groupes:

  • ceux écrits par Messiaen lui-même, comme Technique de mon langage musical et le monumental Traité d'Ornithologie et de Composition en sept volumes. Ces ouvrages s'adressent avant tout aux compositeurs, musicologues et interprètes.
  • les livres d'entretiens réalisés de son vivant (comme celui qu'a réalisé son ami Claude Samuel en 1967)
  • enfin, les livres posthumes (comme Permanences d'Olivier Messiaen: Dialogues et commentaires publié par Claude Samuel en 1999)

La biographie publiée par Nigel Simeone et Peter Hill chez Fayard entre dans la troisième catégorie.

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mercredi 21 novembre 2007

Daniel Levitin: This is your brain on music

Pourquoi reconnaît-t-on l'air d'une chanson (comme joyeux anniversaire) même lorsqu'il est transposé, déformé, ou même chanté à l'envers ? Qu'est-ce que l'oreille absolue ? Comment notre cerveau peut-il extraire le tempo d'un morceau de musique (ce qui nous permet de taper du pied ou de frapper les mains en rythme) ? Notre mémoire musicale est-elle analytique ou synthétique ? Pourquoi et comment prenons-nous du plaisir à écouter de la musique ? Comment reconnaissons-nous le style musical que nous préférons de manière quasi-instantanée ?

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