Au revoir, monsieur Brendel

Avec un ultime concert à Vienne, le pianiste Alfred Brendel met aujourd'hui fin à 60 ans de carrière. De nombreux commentateurs, musicologues, journalistes, musiciens, et des plus qualifiés que moi, ont déjà embouché leurs trompettes pour lui préparer un beau concert d'éloges, fort mérité il est vrai. Un musicien largement autodidacte, un intellectuel autant qu'un artiste, qui nous laisse une discographie abondante (toutes les sonates de Beethoven, mais aussi toutes celles de Mozart de Schubert et une bonne tranche de Liszt).

Une remarque revient très souvent lorsqu'on parle de Brendel: s'il joue une sonate de Schubert, on croirait entendre la musique de Schubert elle-même, et non une interprétation de celle-ci. La distinction est capitale. Beaucoup de musiciens (et spécialement les pianistes) cherchent avant tout à exprimer leur personnalité, à livrer leur version de telle sonate ou tel concerto célèbre. En exagérant un peu on pourrait dire que comme pour les divas du bel canto, les oeuvres du répertoire ne sont que des prétextes pour exhiber leur virtuosité, leur sensibilité artistique, et entrer en contact avec le public. C'est visible jusque sur les pochettes de disque qui annoncent: "X plays Chopin" ou "Y joue Liszt" et nous proposent des récitals centrés sur l'interprète et non sur la musique elle-même . Or ce que nous apprend Monsieur Brendel c'est que l'interprète doit avant tout:

  1. analyser et comprendre la musique qu'il joue
  2. la restituer au plus proche des intentions du compositeur

Une belle leçon d'humilité ! Quant à la personnalité d'un interprète, quoi qu'il fasse, elle transparait à travers tous ses actes, il n'y a pas lieu de chercher consciemment à l'exprimer. En revanche, si le travail d'analyse de la partition et de restitution dans un certain contexte culturel n'est pas fait, on risque le décalage stylistique voire le contre-sens complet. Comme le déclarait un peu sèchement Maurice Ravel: je n'ai pas besoin qu'on interprète ma musique. Il me suffit qu'on la joue.

Ainsi l'interprète idéal, comme un acteur pouvant endosser tous les rôles, doit être Mozart lorsqu'il joue Mozart et Prokofiev lorsqu'il joue Prokofiev. Cela ne l'empêche pas d'être créatif, bien au contraire. Rien n'empêche de jouer ses propres cadences lors qu'on donne un concerto. Ou d'exécuter une série de variations de Beethoven, puis d'en improviser d'autres sur le même thème...

A lire aussi: Auf Wiedersehen, Herr Brendel de Lucie Renaud.

Commentaires

1. Le samedi 20 décembre 2008, 11:37 par DavidLeMarrec

C'est très beau.

Mais...

Mais justement, il n'est pas possible que l'interprète soit transparent, il opère nécessairement des choix.

Et dans le cas de Brendel, il sont même souvent un peu ostentatoire (les rallentis, les détachés un peu exagéré, comme soulignés, en particulier dans Schubert d'ailleurs).

Dans d'autres répertoires, comme Schumann, le refus de la pédale pose aussi des problèmes techniques (en supprimant une partie du spectre sonore) ou stylistiques (en bannissant le lyrisme du romantisme).

Non, clairement, Brendel opère des choix.

2. Le samedi 20 décembre 2008, 16:14 par Papageno

Oui, l'interprète fait nécessairement des choix, mais doivent-ils être dictés par ce qu'il veut exprimer de sa personnalité ou par ce qu'il veut transmettre de la partition qu'il exécute ? Je préfère la seconde option, sachant que la personnalité d'un artiste s'exprime toujours dans son travail, quoi qu'il fasse.

Il y a 150 ans certains Parisiens chanceux ont peu entendre Liszt jouant Chopin, et d'après certains témoignages d'époque, il le faisait mieux que Chopin lui-même. Mais c'est sans doute parce qu'il mettait sa virtuosité au service de la musique de Chopin et non l'inverse. Il ne cessait pas pour autant d'être lui-même...

Mon prof d'alto (P-H Xuereb) pose parfois la question cette question à ses élèves: est-ce que tu préfères la musique ou l'alto ? Bien sûr c'est une question piège mais la moitié des élèves répondent: je préfère l'alto, ce qui peut indiquer un certain manque de recul par rapport à leur futur métier. Je pense que si on demandait à Alfred Brendel: préférez-vous la musique ou le piano ? il répondrait: la musique, natürlich !

3. Le mardi 6 janvier 2009, 20:22 par klari

non, pas Brendel. Il aurait fait une blague.

(je l'ai vu en conférence, il n'a pas arrêté de répondre avec de fines blagues aux questions pompeuses et attendues du modérateur. il m'a signé une partoche de violon, tiens, après y avoir ajouté quelques indications de nuanes pour que ce ne soit pas trop ennuyeux. Schradieck, en effet...)