Le délit de traduction

L'affaire a été rapporté le 8 août par Le Parisien: un adolescent de 16 ans a été arrêté par la police pour avoir publié sur Internet une traduction de son cru des premiers chapitres du dernier épisode d'Harry Potter. Ce pauvre gosse s'est retrouvé au poste avec les voleurs de mobylettes, tabasseurs de vieilles dames et les trafiquants de shit... Il est évident que nos braves fonctionnaires de police trouvent plus facile d'arrêter un paisible lycéen dans la maison de ses parents que d'attraper les chefs des réseaux organisés de prostitution ou de mendicité qui sévissent en plein Paris !

Ce traducteur bénévole et vraisemblablement motivé uniquement par une admiration inconditionnelle et désintéressée pour son héros de roman préféré risque gros face à la justice (à moins que J. Rowling qui est maintenant plus riche que la reine d'Angleterre décide de ne pas porter plainte, soit par clémence soir par la crainte d'une mauvaise publicité).

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Le sort de ce garçon m'émeut d'autant plus que j'ai failli me retrouver dans son cas. J'ai réalisé en effet des arrangements de c]ertaines pièces de Rachmaninoff. Au moment des publier, un scrupule m'a saisi: en avais-je le droit ? Il se trouve que non. Bien que ce cher homme et grand musicien nous ait quitté en 1943, à l'époque où mon grand-père suçait encore son pouce, son oeuvre n'est pas libre de droits en France, elle ne le sera qu'en 2016 (70 ans plus les années de guerre !). Par contre aux Etats-Unis et au Canada j'aurais le droit de commercialiser mes arrangements. Ne cherchez pas la logique, il n'y en a pas.

Les éditeurs ont toujours bataillé pour allonger à 20, puis 50, puis 70 ans après la mort du créateur la durée de "protection" des oeuvres intellectuelles. Leur dernier succès est un amendement "spécial Disney" qui porte à 90 ans la période de protection pour certaines oeuvres, évitant ainsi que Mickey Mouse (crée en 1928 !) tombe dans le domaine public. Leur argument préféré est qu'il faut favoriser la création. Il n'y a pas de mensonge plus grossier. En quoi m'interdire de réaliser et de publier des arrangements de Rachmaninoff favorise la création ? En quoi cela favorise la diffusion de la musique contemporaine auprès du grand public ? C'est exactement l'inverse qui se passe. Pourquoi un orchestre amateur payerait un éditeur (et plutôt cher) pour jouer Chostakovitch ou Messiaen, alors que les partitions de Mozart et Beethoven sont disponibles gratuitement ? Quand aux "ayant droits" qui touchent aujourd'hui des royalties sur l'oeuvre de leur grand-père ou grand-oncle, quel travail créatif ont-ils réalisé ? quels efforts ont-ils fait à part celui de naître ?

En tant que créateur, je suis tout à fait respectueux du droit d'auteur. Je ne pratique pas le "piratage" de musique (bien que l'indigence du catalogue, les complications liées au DRM et le prix trop élevé des sites de musique en ligne expliquent à mon avis l'ampleur du phénomène). Mais on ne me fera pas croire que geler tous les droits sur la musique d'un compositeur jusqu'à 70 ans après son décès favorise la création.

Commentaires

1. Le lundi 14 avril 2008, 16:50 par Lancelot

bravo! Nous avons les memes idees sur tout ca, je suis interprete de la musique baroque sur guitare et je dis que l hypocrisie regne en maitre absolu sur tout ces sujets...