Les enfants prodiges, les grands artistes et le Web 2.0

Lorsqu'ils étaient jeunes, Mozart et Liszt ont parcouru l'Europe en diligence (les chemins de fer n'existant pas encore) pour montrer leur talents à Vienne, Bonn, Paris, Leipzig ou Londres.

Les enfants prodiges d'aujourd'hui ont trouvé un moyen plus simple et plus rapide d'atteindre leur audience, en postant les vidéos de leurs concerts sur Internet. Dans celle-ci par exemple on peut voir et entendre le Tzigane de Ravel, une pièce qui rassemble à peu près toutes les difficultés techniques du violon:

On n'a pas malheureusement le nom de l'interprète, la vidéo ayant été postée par une école de jeunes violonistes (le Starling orchestra) pour se faire de la pub. Si ça se trouve il n'est même pas au courant qu'on utilise son travail et son image à des fins publicitaires ! Je trouve ça plutôt choquant de publier une vidéo sans même donner le nom des artistes.

En fait on pourrait facilement passer la soirée à naviguer de clip en clip sur les sites de partage de vidéos. Est-ce que cette pratique va vider les salles de concerts ? Je pense que c'est plutôt l'inverse. Glenn Gould pensait qu'avec l'avènement du disque, les gens cesseraient de se déplacer pour écouter ce qu'ils ont à la maison. Il se trompait du tout au tout: grâce au disque, l'amour de la musique s'est développé plus que jamais. Le concert, le disque, la musique en ligne, la radio, tout cela fonctionne en symbiose. Les stars du classiques, qui vendent beaucoup de disques, sont aussi celles qui remplissent les salles de concert.

Donc, vive DailyMotion et YouTube ?

  • Oui, si c'est pour permettre aux artistes de se faire connaître
  • Non si c'est pour exploiter sans vergogne leur travail (souvent à leur insu)

Le critère pour différencier entre les deux ? C'est tout simple: l'approbation de l'artiste ! Je trouve anormal que les sites publient les vidéos sans s'être assuré d'avoir l'autorisation des personnes qui sont filmées (en France au moins cette approbation est obligatoire au nom du droit à l'image). Leur attitude est d'accepter toutes les vidéos et de ne les retirer que si quelqu'un se plaint. Ce qui veut dire que c'est par exemple Anne-Sophie Von Mutter (ou son éditeur, Deutsche Gramphon) qui doit elle-même faire la chasse aux vidéos pirates. Ce n'est pas normal, c'est à l'hébergeur de prendre ses responsabilités et lorsqu'un fan publie une vidéo pirate d'un concert d'Anne-Sophie Von Mutter, de contrôler que la violoniste est d'accord pour la publication de cette vidéo. Tout cela n'a rien de théorique, voici le mouvement lent du concerto pour violon de Beethoven par Anne-Sophie Von Mutter, avec le philharmonique de Berlin (en 1984):

C'est une pure merveille, mais ni la violoniste, ni les musiciens de l'orchestre, ni le vidéaste qui ont travaillé dur pour produire ce beau DVD n'ont touché un centime lorsque cette vidéo a été postée sur DailyMotion. On pourrait dire que ces clips très compressés (le son est de mauvaise qualité) font en fait de la publicité pour le DVD, mais c'est plutôt l'inverse: c'est ce contenu de bonne qualité (donc cher à produire) qui est pillé par DailyMotion pour attirer du trafic sur son site.

La vérité, la voici: en déléguant la plus grande partie du travail (tournage, montage ou extraction autorisée ou non d'un DVD ou d'un autre support) à des bénévoles, YouTube et DailyMotion exploitent le travail des artistes, sans leur verser un centime. Bien sûr, lorsqu'ils reçoivent une lettre recommandée d'un cabinet d'avocats, ils retirent la vidéo litigieuse du site. Mais c'est loin d'être suffisant ! Il faudrait inverser la charge de la preuve et demander aux hébergeurs de prouver pour chaque clip qu'ils ont obtenu l'accord des ayant droits.

Commentaires

1. Le vendredi 9 novembre 2007, 23:46 par Dominique

Bien sûr c'est "bluffant" mais combien de ces jeunes prodiges (il y en a toujours eu à toutes les époques)survivent par la suite ?. Il suffit de regarder le palmarès des grands concours internationaux depuis 50 ans pour découvrir une quantité de noms parfaitement inconnus de prétendus génies qui, aujourd'hui, végètent sans doute dans une petite école de musique ou un orchestre de deuxième catégorie ou font tout autre chose. Sur le plan de la technique, on recule constamment la limite d'âge en amont et quand on songe que Jacques Thibaut a eu son prix de conservatoire avec un concerto de Viotti qu'on n'oserait plus proposer dans un cours moyen...C'est la même chose avec le tennis. La musique commence une fois qu'on a maîtrisé la technique et les exhibitions de petits prodiges de cirque sont souvent le produit d'un activisme familial dont la victime a souvent du mal à se remettre, sur le plan psychologique également. Si encore on pouvait être sûr que les intéressés éprouvent du plaisir à " descendre" le répertoire (hélas toujours le même)...

2. Le samedi 10 novembre 2007, 19:26 par ChOmP

Je suis d'accord sur le fait que les artistes doivent retirer quelques bénéfices matériels lorsque l'on utilise leurs travaux; mais sans ces sites de partages de vidéos, jamais je n'aurais pu voir, par exemple, des concerts époustouflants de Miles Davis.

La musique est avant tout une histoire de partage et pour ceux n'ayant pas de gros budget, ces sites permettent à tous de bénéficier d'un petit moment de rêves.

3. Le samedi 10 novembre 2007, 21:18 par Patrick

ChOmP, comme vous j'ai découvert plein de musique passionante sur Internet (et sur les sites de partage de vidéos).

Dans le cas de Miles Davis, cet artiste nous a quittés en 1991. Je ne sais pas ce que dit la loi au sujet des vidéos amateur dont le sujet est une personne décédée: si ça se trouve ces vidéos sont libres de droits.

Mais il y a beaucoup d'artistes bien vivants, eux, qui tentent tant bien que mal de vivre de leur travail. Et ils ont autre chose à faire que de scanner YouTube pour traquer les vidéos pirates !

Bien sûr ils peuvent poster des choses sur Internet pour partager leur passion: mais c'est à eux de le faire et personne d'autre !

Moi-même, comme beaucoup de musiciens, j'ai posté quelques MP3 de ma musique sur mon site. Je ne suis pas une star de l'alto, donc c'est très peu probable que ça arrive, mais si jamais je retrouvais une vidéo d'un de mes concerts qui a été postée sans me demander mon avis, je pense que ça me ferait tout drôle.

Les radios et les télés sont gratuites et financées par la pub, comme les sites de partage de vidéos, mais la grosse différence c'est qu'elles payent les artistes et les producteurs de contenu. Rien à voir avec le pillage auquel YouTube et DailyMotion se livrent, en dépit de leurs promesses.

Encore une fois: le partage, oui, mais avec le consentement explicite des artistes. YouTube et DailyMotion devrait s'assurer de ce contentment a priori (c'est à dire avant de rendre la vidéo publique) et non a posteriori.

4. Le mardi 5 février 2008, 14:08 par Dominique Bertrand

Pour répondre à Dominique. J'ai eu l'occasion de collaborer avec Maria Joao Pires, pianiste prodige ayant fait son premier concert à l'âge de quatre ans, et ayant accompli une carrière exceptionnelle. Elle affirme que ce qui tue un enfant prodige, c'est l'exploitation éhontée qu'en font les adultes, et les transferts affectifs démesurés dont ils peuvent faire l'objet trop tôt. Elle-même fait travailler des enfants prodiges, passionnée par ces "cas" qui remettent en question bien des certitudes sur la notion de transmission.