Janacek et la viole d'amour

Leos Janácek, cet immense musicien, avait une passion secrète pour la viole d'amour. Cette viole à sept cordes qui se porte à l'épaule comme un alto, ne comporte pas de frettes, est dotée de douze ou quatorze cordes sympathiques, qu'on ne joue pas et qui ne vibrent que par sympathie.

Le public les entend à vrai dire assez peu (alors que l'interprète en a plein les oreilles, dixit un violiste d'amour), mais elles contribuent au timbre particulier de l'instrument, doux et mystérieux.

viole d'amour (encyclopédie de Didierot)

Comme l'indique l'encyclopédie de Diderot en 1772, tous les instruments dits "d'amour" (hautbois d'amour, flûte d'amour, etc…) sonnent plus bas que les originaux, d'environ une tierce. Cet intervalle ne saurait être considéré comme une règle générale, d'autant plus qu'il existait plusieurs façons d'accorder les instruments.

Cet instrument au charme discret (et désuet) était pratiqué notamment par Chrétien Urhan, altiste et violoniste à l'Opéra, créateur de Harold en Italie. Plus adaptée à l'intimité d'une chambre ou d'une petite salle de concert qu'à la virtuosité tapageuse, elle n'a jamais passionné les foules, mais elle a survécu et cohabité avec la famille des violons alors que la plupart des autres violes - contrebasse mise à part - avaient disparu. On la trouve dans certains opéras de Meyerbeer mais aussi dans ceux de Janácek. Plus récemment, Franck Martin et Paul Hindemith lui ont consacré des pages de musique de chambre, et des compositeurs contemporains comme Grégoire Lorieux s'y sont intéressés aussi, quitte à l'amplifier électriquement.

Écrits dans les toutes dernières années de sa vie, les deux quatuors de Janácek - La sonate à Kreutzer et Lettres intimes - sont des chef-d'oeuvres absolus. Brûlants de passion, sérieux mais irrigués par la sève généreuse de la musique populaire tchèque, on ne peut les comparer qu'à ceux de Bartók (ils sont contemporains du Troisième et du Quatrième).

Or dans la version initiale du deuxième quatuor prévoyait une viole d'amour à la place de l'alto. Cette version a été exhumée par des musicologues et sera donnée en concert le 2 avril 2008 au Conservatoire national supérieur (salle d'orgue) avec Pierre-Henri Xuereb à la viole d'amour. L'occasion de découvrir la version rêvée par Janácek de ces Lettres intimes.

Commentaires

1. Le lundi 10 mars 2008, 20:09 par zvezdo

Intéressant ! il ya des violes d'amour dans l'affaire Makropoulos, non ? (ce serait l'occasion ou jamais)

2. Le lundi 10 mars 2008, 21:28 par Papageno

Non, il y a des violes d'amour dans "Katya Kabanova" et dans "Osud", mais pas dans "l'affaire Makropoulos" à ma connaissance.

3. Le mardi 18 mars 2008, 16:27 par azbinebrozer

Merci pour cette info !
La viole plus douce devrait faire contraste avec les timbres parfois très rêches ou secs des quatuors ?

Pour le concert il s'agit d'un concert conférence. Que peut-on espérer d'un "entrée libre dans la limite des places disponibles" en ces lieux et pour cette manifestation ? Combien de places ? Pas d'info au téléphone pour l'instant...

4. Le mardi 18 mars 2008, 22:55 par Papageno

"entrée libre dans la limite des places disponibles" ça veut dire "il vaut mieux arriver à l'heure"... et si ça peut vous rassurer un peu, les concerts de musique contemporaine suscitent rarement les passions des foules (même s'il s'agit en l'occurrence de musique écrite il y a près de 100 ans).