Piano microtonal à Liège

La conservatoire de Liège propose un concert gratuit autour du piano microtonal le 21 avril 2010 à l'espace Henri Pousseur (oeuvres de Ivan Wyschnegradsky, Bruce Mather, Jean-Yves Colmant). Encadrés par Pierre Thomas et Brigitte Foccroule, les élèves pianistes du conservatoire ont pu découvrir le piano au 1/16e de ton, dont le clavier de 85 touches est identique à celui d'un piano, mais qui couvre seulement un ambitus d'une octave car l'écart entre deux touches consécutives n'est pas d'un demi-ton mais d'un seizième de ton. Ils utilisent également un autre dispositif plus classique, si j'ose dire: deux pianos dont l'un est accordé un quart de ton plus bas que l'autre.

La barrière du demi-ton, le fait qu'on ne puisse pas jouer finement sur la hauteur d'une note, est une des principales limitations des instruments à clavier comme le piano moderne. Si on la fait sauter c'est vraiment tout un monde de nouvelles possibilités qui s'ouvre, et qui n'a été que très peu exploré jusqu'à présent. Il n'y a qu'un seul facteur de pianos qui en propose à ma connaissance (l'allemand Sauter). Le premier exemplaire a été présenté par le compositeur mexicain Julian Carrillo en 1958 à Bruxelles, et il a suscité un certain nombre de compositions depuis les années 1960 à aujourd'hui même si la rareté de l'instrument limite leur diffusion. Pour construire un piano en 1/16e de tons, on ne peut pas prendre un piano ordinaire et changer les cordes: le cadre est entièrement différent car la longueur des cordes varie très peu entre le do grave et le do aigu qui sont séparés d'une octave seulement.

Comment sonne un piano microtonal ? Au début un peu étrange, un peu "faux" surtout les gens qui comme moi ont l'oreille absolue et la mauvaise habitude d'étiqueter les notes (les gens qui entendent 'sol-sol-sol-mi bémol' et non 'pom-pom-pom-pooom'). Après une courte phase d'adaptation, on commence à écouter les battements, les résonances, les frictions, à prêter l'oreille à ces déplacements mélodiques infimes, et à prendre du plaisir ! Contrairement au demi-ton qui est une dissonance assez dure (la plus dure qui soit, nous apprend l'acoustique morphologique), le seizième de ton produit des battements assez doux.
L'ambitus d'une octave est certes un peu étroit mais on contourne souvent cette difficulté en couplant le piano microtonal avec un piano ordinaire, qui pourra donner des basses aussi bien que des aigus pour renforcer harmoniques supérieures.

Un peu plus proche des sensations habituelles le piano en 1/4 de tons donne déjà une coloration harmonique et mélodique tout à fait exotique et intéressante. Je vous invite à regarder par exemple la vidéo extraite d'un documentaire sur la chaîne Mezzo sur le compositeur Zad Moultaka, ou encore à écouter ces trois pièces de Charles Ives, un des précurseurs des micro-intervalles, pour deux pianos accordés au quart de ton:

En tout cas c'est un beau coup de chapeau que méritent les enseignants du conservatoire de Liège pour ce concert (qui n'est qu'un projet parmi d'autres dans une programmation très riche qui marie les classiques avec le jazz, l'improvisation et la musique contemporaine). Malheureusement, ça n'est pas dans les conservatoires français, dédiés au culte exclusif de Chopin, Liszt et Rachmaninoff en ce qui concerne le piano, qu'on voit souvent ce type d'initiative.