Schubert:arpeggione et lieder, par Antoine Tamestit, Markus Hadulla et Sandrine Piau

Après un premier disque consacré à Bach et Ligeti, et un deuxième à la musique russe (Chostakovitch et Schnittke), l'altiste Antoine Tamestit nous propose un troisième opus consacré intégralement à Schubert, avec la très connue et très belle sonate pour Arpeggione, complétée par des transcriptions de lieder, et terminée par Der Hirt auf dem Felsen en duo avec Sandrine Piau.

Globalement, je partage l'enthousiasme de Philippe du Poisson Rêveur au sujet de cet album (qu'on peut découvrir en streaming sur les sites comme musicme). J'y retrouve toutes les qualités que j'ai pu apprécier en concert comme au disque: une élégance, une merveilleuse souplesse mélodique qui lui permet de dérouler sans accroc le fil invisible du discours schubertien. Le timbre léger, presque fragile, jamais puissant comme celui d'un violoncelle, convient parfaitement à l'intimité de la sonate arpeggione. L'équilibre avec le piano est parfait, le tout donne l'impression d'avoir été enregistré très près des instruments et mixé en studio. Le résultat est en tout cas très convainquant, et à la hauteur des meilleures références discographiques comme celles de Bashmet et Caussé (pour s'en tenir aux altistes, car les violoncellistes nous ont donné nombre de versions excellentes de cette sonate).

Ma seule réserve porte sur le choix des lieder qui accompagnent l'arpeggione. Tous sont très beaux, très doux, très intimes, et très mélancoliques, ce qui donne une certaine impression d'uniformité sur l'ensemble de l'album. Il y a pourtant dans les quelque six cents lieder de Schubert des textes véhiculant toutes sortes d'émotions: le ton peut être oppressé, coléreux, amoureux, enthousiaste, ironique ou désespéré. Et la beauté de l'alto est qu'en plus de la douceur dont Tamestit est un grand spécialiste, il peut également jouer sur d'autres registres, plus rugueux, plus populaire, plus déjanté, des registres que sa noblesse aristocratique interdit au violon. Le choix des textes comme les choix d'interprétation faits dans cet album ne vont pas vraiment dans le sens d'une telle diversité ou d'une recherche des contraste, mais plutôt d'un prolongement du climat de la sonate arpeggione.

C'est peut-être dans la dernière plage du disque: Der Hirt auf dem Felsen (le pâtre sur le rocher), écrit au départ en duo pour soprano et clarinette, que ces choix apparaissent le plus clairement. Quand la voix de Sandrine Piau se fait entendre en reprenant la phrase mélodique énoncée par l'alto, on dirait que c'est la chanteuse qui accompagne l'instrumentiste ! Ce qui apparaît également sur la pochette du disque où c'est l'altiste seul qui est en vedette. L'interprétation comme la prise de son tendent à rapprocher autant que faire se peut le timbre de la voix et celui de l'alto. Un choix qui se défend, même si on peut préférer dans ce lied à caractère populaire une voix plus cuivrée, qui dialogue avec une clarinette plus typée.

Si l'on peut juger toute cette douceur un peu excessive, il n'en reste pas moins qu'Antoine Tamestit montre dans cette pièce une technique parfaite et une souplesse mélodique incroyable dont peu d'instrumentistes à cordes sont capables et qui rend tout à fait crédible le remplacement d'un instrument à vent par l'alto. Comme nous l'avons déjà évoqué, la transcription est aussi une affaire d'interprétation, et ce qui lui convient comme un gant pourrait sonner beaucoup moins bien sous les doigts d'un autre musicien.

En résumé, cet album c'est 58 minutes de miel pour les oreilles. On peut aimer bien sûr les plats plus épicés, mais de temps en temps il n'y a pas de mal à se faire du bien...

Commentaires

1. Le samedi 1 mai 2010, 02:59 par DavidLeMarrec

Oserai-je oser partager mon sentiment, qui est qu'il n'y a pas grand sens à jouer du lied de façon instrumentale. Autant certains airs très mélodiques d'opéra, certains ensembles peuvent s'y prêter, autant le lied est tellement lié au texte, tellement sobre que pour, en tout cas, Schubert / Mendelssohn / Schumann / Wieck, on risque jouer des choses un peu plates en fin de compte, si peu que le lied soit un tout petit peu strophique. Avec du Reger tardif ou du Schindler-Mahler, c'est sans doute beaucoup plus envisageable.
A la rigueur, avec un vent, cela fonctionne parfois, mais pour un instrument avec autant de capacités que l'alto, cela donne un peu l'impression d'un piano qui ne jouerait qu'une note à la fois...

Après ça, je n'aime pas beaucoup le son de Tamestit (ses phrasés pudiques beaucoup plus), mais j'ai déjà constaté que nous n'étions pas sensibles au même type de son sur cet instrument, et il n'y a pas plus subjectif que le timbre, alors je me garderai bien d'en faire sujet de querelle. :)

Bien vu, l'effort jusque dans la prise de son de rapprocher Piau (qui est pourtant un violon très virtuose au départ) de l'alto.

Et à part ça, Schubert c'est chouette et l'alto, ça peut l'être.

2. Le lundi 3 mai 2010, 11:41 par Papageno

La vraie question est peut-être celle-ci: quelqu'un qui entendrait "An der Mond" sans savoir que c'est une transcription pourrait-il facilement le deviner ? Autrement dit, est-ce que ça sonne bien indépendamment du fait que c'est une transcription ? C'est un peu comme la traduction littéraire. Pour moi, un roman bien traduit se lit comme s'il avait été écrit en français, autrement dit les qualités de la traduction doivent pouvoir s'apprécier sans connaître la version originale.

Lorsque Liszt a arrangé son "Liebestraum" (mélodie sur un texte de Freiligsrath) pour en faire le fameux Nocturne n°3 pour piano, il a complètement ré-écrit certains passages et ajouté deux cadences très pianistiques et typiquement lisztiennes. C'est évidemment la solution idéale en matière de transcription, mais pour arriver à cela il vaut mieux être compositeur et comprendre sinon maîtriser le style de la pièce qu'on transcrit. Et quand on ne s'appelle pas Liszt, on peut tout de même faire des transcriptions simples qui sonnent très bien.

3. Le dimanche 9 mai 2010, 00:23 par DavidLeMarrec

Bonsoir Patrick,

Justement, Liebestraum n'est pas une réussite éclatante à mon avis (de même que ses transcriptions de lieder de Schubert), une mélodie un peu fade très simplement accompagnée, et des cadences pour l'épate au milieu (dans Winterreise, ça ne pardonne pas).

Pour la traduction, je ne suis pas forcément d'accord non plus : les vieilles traductions de Dostoïevski peuvent être très agréables à lire et très lointaines de l'original. Elles peuvent être de belles oeuvres en tant que telles, mais apauvrir l'oeuvre de départ.

C'est en cela que l'analogie me paraît mal fonctionner avec la transcription, pour laquelle je suis vraiment d'accord : c'est le produit fini qui compte, même si l'évocation d'une autre oeuvre procure une profondeur supplémentaire à la nouvelle...

Et, donc, ici les transcriptions produisent quelque chose de trop binaire mélodie / joli accompagnement, c'est assez ennuyeux lorsqu'il n'y a pas de texte auquel s'intéresser. On aurait pu conserver cette substance musicale, mais je l'aurais mieux vue intégrée dans un petit ensemble à vents (ou ici à cordes), par exemple ; sans mettre en valeur un soliste.

A part ça, c'est bien de faire original, hein, et je suis un peu fâché de n'être pas convaincu. :-)

Bonne fin de soirée !