MusOpen: de la musique open source ?

Le micro-mécénat permet de résoudre l'équation en apparence insoluble de la gratuité conjuguée à la rémunération équitable des artistes.

Comme chacun le sait, le modèle de l'industrie du disque est cassé. Ce modèle reposait sur deux piliers: le droit d'auteur d'une part et la posibilité technique de reproduire la musique en masse sur un support physique d'autre part. Une fois un certain investissement réalisé pour faire la promotion d'un artiste ou d'un album, grâce au monopole garanti par l'État, produire des disques compacts revenait peu ou prou à imprimer des billets de banque. Un business juteux dont les artistes ne touchaient au fond que les miettes: même les groupes de rock les plus connus gagnaient rarement plus de 2 ou 3 euros sur un disque vendu à 15 ou 20.

Nous avions fini par nous habituer à l'objet-disque au point d'oublier son incongruité: la musique est par excellence l'art de l'instant présent, celui d'une émotion partagée entre les artistes et le public à un moment donné. N'est-il pas étrange et même fétichiste de vouloir figer cette émotion sur des galettes en polymères, l'acheter, la vendre, la stocker, la consommer comme une vulgaire boîte de sardines ?

Ainsi la dématérialisation de la musique n'est peut-être qu'un juste retour aux origines, après une parenthèse, une période paradoxale de matérialisation. Le coût de reproduction qui était modeste atteint d'un seul coup zéro: que ça soit sur les réseaux "pirates" d'Internet ou grâce au beau-frère complaisant qui vous prête un disque dur externe bourré jusqu'à la gueule de MP3, il devient facile de récupérer gratuitement d'un coup des milliers d'heures de musique, bien plus qu'on ne pourrait en écouter dans doute sa vie.

Le modèle de l'industrie du disque, fondée sur une rareté artificielle, s'effondre alors. L'unité de facturation (le disque) a disparu, remplacée par un simple fichier qui peut se promener sur un ordinateur, un baladeur ou téléphone portable, une tablette, être copié ou transmis à la vitesse de la lumière. Les tentatives de verrouiller les fichiers (avec les DRM) ou de fliquer les utilisateurs (avec des gendarmes comme la Hadopi) sont vouées à l'échec, j'ai déjà expliqué pourquoi. Pour garantir que Mme Martin n'a pas un seul MP3 "illégal" il faudrait inspecter tous ses ordinateurs et téléphones portables ce qui constituerait une atteinte à sa vie privée totalement disproportionnée avec le but poursuivi.

Par ailleurs, à moins de ne jamais regarder les infos, les internautes savent très bien que les artistes sont encore moins bien payés sur la musique en ligne que sur les ventes de CD. En fait, et la SPEDIDAM s'en plaint amèrement, pour beaucoup d'enregistrements réalisés avant la vente du MP3, les interprètes ont touché un montant fixe en échange d'une cession totale des droits, et ils ne touchent pas un centime sur les ventes de musique en ligne. Eh oui, zéro ! À qui va l'argent quand on achète l'album sur aïe-thunes ? Pas aux artistes, en tout cas !

Enfin, dans le cas du classique et encore plus du contemporain, signalons que la plupart des productions de disque se font à perte, car les ventes ne sont pas suffisantes pour couvrir les coûts. Ce n'est pas la qualité des productions qui est en cause, mais ces disques sont souvent fait par des passionnés de musique justement, dont le marketing et la vente ne sont pas une spécialité.

Résumons la situation actuelle:

  • Une offre de musique enregistrée qui est passée de la rareté à la surabondance
  • Des lois relatives au droit d'auteur obsolètes, inappliquables et inappliquées
  • Une génération de digital natives qui considèrent la gratuité de la musique enregistrée comme un acquis
  • Des artistes qui touchent des crottes de nez voire rien du tout sur la majorité des ventes de MP3 sur les sites "légaux"
  • ... ou qui en sont de leur poche quand ils tentent de s'auto-produire
Apparemment, aucune solution n'est en vue pour permettre aux artistes d'être rémunéré correctement pour leur travail sans chercher à restreindre artificiellement et de manière illusoire la circulation des fichiers musicaux. 

Aucune, vraiment ? Et si au contraire la révolution technologique nous offrait également les éléments d'une solution ? À condition de changer notre manière de penser, et de passer d'une économie de la rareté et du monopole commercial à une économie de l'abondance et de la libre redistribution. Comment est-ce possible ? Grâce au mécénat, et plus spécifiquement au micro-mécénat, également connu sour le nom de crowdfunding. Le principe est simple: au lieu de payer 15€ à SonyUniversalWarner en échange d'un droit assez restreint d'écoute dans le cadre privé et familial, je donne 15€ pour financer un enregistrement avec des artistes qui me plaisent. Le résultat de cet enregistrement sera disponible sous une licence très permissive comme la CC0 de Creative Commons qui se rapproche en gros du domaine public. Il est donc possible d'utiliser ces enregistrement non seulement pour les passer à mon beau-frère mais aussi dans des films, des publicités, des remix.

Est-ce une utopie ? Pas sûr. C'est un peu comparable à ce que fait une radio publique comme France Musique, financée par une petite part de la redevance télé, et qui met des milliers d'heures de musique de très bonne qualité, pour tous les goûts et dans tous les styles, à disposition de tous sur les ondes et sur Internet. Ce qui a fonctionné pour le noyau Linux (qui équipe aussi bien les machines des datacenters géants que les smartphones) ou le navigateur Firefox, à savoir l'open source, pourrait très bien fonctionner pour la musique. Il semble en tout cas que des projets comme MusOpen ont déjà produit des résultats significatifs en mettant un nombre respectable d'enregistrements. D'après le site linuxfx le projet MusOpen a déjà réuni 75.000 dollars pour libérer Chopinet a beaucoup d'autres ambitions. Comme celle de constituer un catalogue de partitions libres de droits elles aussi./p>

Le micro-mécénat permet de résoudre l'équation en apparence insoluble de la gratuité conjuguée à la rémunération équitable des artistes. Au lieu d'investir pour produire un enregistrement puis d'essayer de rentabiliser en vendant des copies (grâce à un monopole garanti par l'État pendant 70 ans au moins), on réunit d'abord un budget grâce aux donateurs, puis on met la musique en ligne gratuitement. Ce n'est sans doute pas la formule magique pour remplacer le capitalisme mais dans le cas de la musique l'investissement étant relativement modeste (on peut produire un album pour quelques milliers d'euros) ça peut fonctionner.

Et vous chers lecteurs ? Seriez-vous prêts à consacrer une partie de ce qui était votre budget disques (ou partitions) au micro-mécénat, à travers des associations comme MusOpen ? Si vous êtes musicien, interprète, compositeur, seriez-vous prêt à céder la plupart des droits en échange d'un paiement fixe d'un montant raisonnable ?