Et amollir le cueur des inhumains...

Blason de la Larme

Larme argentine, humide et distillante
Des beaulx yeulx clairs, descendant coye, et lente
Dessus la face, et de là dans les seins,
Lieux prohibez comme sacrez, et sainctz ;


Larme qui est une petite perle
Ronde d’embas, d’enhault menuë et gresle,
En esguisant sa queuë un peu tortuë,
Pour demonstrer qu’elle lors s’esvertuë,
Quant par ardeur de dueil, ou de pitié
Elle nous monstre en soy quelque amitié ;
Car quand le cueur ne se peut descharger
Du dueil qu’il a, pour le tout soulager,
Elle est contente issir hors de son centre,
Où en son lieu joye après douleur entre.
Larme qui peult ire, courroux, desdain,
Pacifier, et mitiguer soubdain,
Et amollir le cueur des inhumains,
Ce que ne peult faire force de mains.
Humeur piteuse, humble, doulce et benigne,
De qui le nom tant excellent et digne,
Ne se debvroit qu’en honneur proferer,
Veu que la mort elle peult differer,
Et prolonger le terme de la vie,
Comme l’on dit au livre d’Isaie.
O liqueur saincte, ô petite larmette,
Digne qu’aux cieulx (au plus hault) on te mette,
Qui l’homme à Dieu peulx reconcilier,
Quand il se veult par toy humilier.
Larme qu’appaise et adoulcit les Dieux,
Voire esblouit et baigne leurs beaulx yeulx
Ayant pouvoir encor sur plus grand’chose,
Et si ne peult la flamme en mon cueur close
Diminuer, et tant soit peu esteindre,
Et toutesfois elle pourroit bien teindre
La jouë blanche et vermeille de celle,
Qui son vouloir jusques icy me celle.
O larme espaisse, ô compaigne secrette,
Qui sçais assez comment amour me traicte,
Sors de mes yeulx, non pas à grandz plains seaux,
Mais bien descendz à gros bruyans ruisseaux :
Et tellement excite ton pouvoir,
Que par pitié tu puisses esmouvoir
Celle qui n’a commiseration
De ma tant grande, et longue passion.

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Maurice Scaeve (extrait des Blasons du Corps Féminin, 1550)