Bravos de Cologne

De retour de Cologne avec des étoiles pleins les yeux... je pourrais choisir la version sobre en disant simplement: "la création de ma pièce pour 13 altos par Vincent Royer et ses collègues du Gürzenich Orchester à la philharmonie de Cologne s'est très bien passée". C'est vrai mais il y a un peu plus à dire. Comme dit le psaume "je me souviens et mon cœur déborde", et plutôt que d'accumuler superlatifs et épithètes, il est peut-être plus approprié d'user de ce privilège de l'artiste, celui de dire "je", afin de partager ma joie avec vous.

2014-04-26_19.52.15.jpg

J'ai beaucoup aimé travailler sur ce projet. Etant parti d'une pièce pour alto, j'ai imaginé un ensemble d'altos (6 puis 8 puis 12) qui viendraient prolonger les échos d'un soliste, répondre à ses appels, développer ses idées quasi improvisées. Après avoir écrit une partie de la pièce, j'ai bravement enregistré les 12 parties d'accompagnement en re-recording à la maison. Avec l'aide du Centre Pousseur pour diffuser l'enregistrement (et garantir la synchronie grâce à un classique "lecteur de séquences" piloté par une pédale midi et un patch Max/MSP), j'ai joué la partie soliste devant le jury du conservatoire de Liège. C'était en juin 2011. Vincent Royer, qui enseigne la musique de chambre dans le même conservatoire, a écouté cette réalisation partielle et ô combien imparfaite, et m'a encouragé à persévérer malgré les défauts visibles tant dans l'interprétation que dans l'écriture. Un an plus tard il me parle d'un projet de concert d'altos à Cologne pour lequel il pourrait programmer la pièce. Je lui dis banco à condition de réaliser la version longue, en 3 mouvements, que j'envisageais dès le départ.

J'ai aimé écrire pour Vincent Royer. J'ai écouté un certain nombre de fois Vincent en concert, c'est un artiste magnifique dont le son, l'engagement, la chaleur et même la passion, la générosité sont une source d'inspiration pour moi.

J'ai aimé travailler sur cette pièce qui s'appelle "13.2 milliards d'années-lumière" est s'inspire de rien moins que de l'espace infini qui nous entoure et nous fascine. Un ensemble d'instruments à cordes sans basse se prête particulièrement bien à évoquer des sensations de vide, de flottement, de suspension que je recherchais. Ainsi les accords de six, sept, huit sons avec lesquels j'ai travaillé ont une "basse virtuelle", note fondamentale qu'on n'entend pas mais qu'on devine tout de même. Je pourrais vous parler des heures de spatialisation du son, de micro-polyphonies, de textures sonores, mais c'est inutile: la musique doit parler d'elle-même si elle est bien écrite.

J'ai aimé l'accueil simple et amical des altistes du Gürzenich. J'ai aimé surtout la cohésion de ce groupe, le plaisir visible qu'ils prenaient à jouer ensemble, l'enthousiasme pour ce projet qui comportait pas moins de quatre créations. J'ai aimé la qualité de cet ensemble où personne ne cherchait à se mettre en avant mais chacun était bien à sa place, au service de la musique, intensément connecté aux autres musiciens et au public.

2014-04-23_20.51.13.jpg

J'ai aimé l'itinéraire d'improvisation composé par Vincent Royer, dédié à la mémoire de Kristof Bujanowsky. On y sentait beaucoup d'émotion, et l'équilibre entre ce qui est arrangé d'avance et ce qui est laissé aux interprètes m'a donné des idées. J'ai déjà utilisé des passages semi-improvisés dans ma Victoire de Guernica, qui ont très bien fonctionné avec les musiciens du studio de Cergy-Pontoise. Et j'y reviendrai certainement, y compris dans mes pièces destinées aux amateurs.

J'ai aimé les dix grandes secondes de parfait silence qui ont suivi la très belle fin pianissimo e morendo de la pièce lors du concert à la Philharmonie. C'était magique. Cela vaut tout les applaudissements.

J'ai aimé aussi les bravos, les fleurs, et la gentille carte signée par les 13 altistes, mais tout cela est plutôt secondaire en comparaison de ce qu'ils ont donné sur scène et qui restera cher à mon coeur.

Pour toutes ces raisons, je voudrais dire merci, exprimer toute ma gratitude à Vincent Royer (alto solo), à Matthias Kaufman (direction) et aux altistes du Gürzenich Orchester Köln pour ce beau projet artistique, cette aventure à laquelle je suis heureux et fier d'avoir contribué.

Est-ce que j'entendrai à nouveau cette pièce ? Cela n'est pas impossible car il existe de nombreuses fêtes de l'alto, Viola Days, Violarama, autour du globe (à Séoul, à Tokyo, à Paris, au pays de Galles) où des pièces pour 6, 8, 12 altos sont ardemment souhaitées, et bien souvent remplacées par des arrangements de qualité variable. Cela étant dit 13.2 Milliards d'années-lumière n'est pas une pièce qu'on peut déchiffrer le mardi pour un concert le mercredi, bien que je ne recherche jamais la difficulté instrumentale pour elle-même, bien au contraire. Sans compter la partie soliste qui est un petit concerto d'une vingtaine de minutes.

Concernant la partition, je vais expérimenter avec cette pièce une formule qui me paraît bien adaptée aux besoins d'un jeune compositeur en ce début de 21e siècle: à savoir le dépôt à la SACEM couplé avec la distribution gratuite de la partition en PDF sur Internet. Cela offre un compromis entre la protection contre d'éventuels abus, une rémunération si l'œuvre est à nouveau donnée en concert ou radiodiffusée, et la diffusion la plus large possible de mon travail.

2014-04-25_17.47.17.jpg

Je reviendrai sans doute dans la belle ville de Cologne pour d'autres projets de musique de chambre, en attendant que le Gürzenich Orchester me commande une pièce (rêvons un peu). Il se peut également que cette pièce soit réenregistrée en studio pour un projet de disque. L'aventure ne fait que commencer...