Le concert dont vous êtes le héros

Mardi soir nous étions au FLOW, une belle péniche-salle de concert, pour un "Concert sous hypnose" proposé par le saxophoniste et compositeur Geoffrey Secco. En quatuor avec un batteur, un guitare-de-bassiste et un pianiste, ce musicien nous propose rien moins qu'un voyage initiatique à l'intérieur ... de nous-mêmes, dans un monde magique dont nous sommes les héros, et dont la musique à dominante jazz nourrie d'influences multiples, de voyages et de rencontres aux quatre coins du vaste monde (Australie, Pérou, Clichy-sous-bois...). 

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Après un premier morceau très enjoué, élaboration autour d'une note répétée et rythmée un peu comme un message en morse, avec des brèves et des longues, Geoffrey Secco nous explique à quelle sauce nous serons mangés. Il s'agit de nous faire entrer dans une sorte de transe chamanique grâce aux techniques de l'hypnose ericksonnienne. Le saxophoniste mélange allègrement les concepts du développement personnel, également appelé coaching en bon franglais (rappelons qu'un coach désigne à l'origine un cocher chargé de fouetter les chevaux ou les mules pour tirer la carriole), et ceux des médecines traditionnelles utilisant diverses forme d'hypnose. Il peut se le permettre bien sûr, car c'est un artiste et les artistes ont tous les droits, et avant tout celui d'oser et d'aller au bout de leurs projets et de leurs rêves.

Bon enfant, je me laisse guider par sa voix qui alterne avec celle de son saxophone ténor, je pose les mains sur les genoux, ferme les yeux et c'est partie pour le voyage intérieur ! Pour nous guider dans ce parcours, outre le morceaux spécialement composés pour chaque étape, Geoffrey Secco nous propose des images pour nous aider à mobiliser nos souvenirs conscients ou non, à nous connecter à des émotions profondes: la forêt, le mur, la caverne, l'animal-totem... oui mais est-ce que ça marche ? La réponse est très personnelle. Vous l'avouerais-je, chères lectrices, j'ai eu un flash, une sorte de vision durant ce concert sous hypnose qui m'a profondément bouleversé et fait pleurer abondamment. Une vision relative à mon enfance et bien trop intime pour que je la raconte dans ce journal, qui m'a secoué et puis fait du bien, en me soulageant. D'un autre côté, ma charmante voisine m'a dit qu'elle avait bien aimé la musique, et qu'elle avait passé un moment agréable, sans plus.

La réaction à ce "concert sous hypnose" est donc très intime et personnelle. N'est-ce pas le cas de n'importe quel concert ? J'ai toujours été frappé par les différences de perception stupéfiantes entre deux spectateur assis côte à côte au même concert. Une personne pourra être ravie (au sens propre) et transportée, quand l'autre va soupirer d'ennui. L'une sera éblouie par l'orchestre, quand l'autre trouvera les aigus du ténor un peu trop "poussés" et le registre médian de la mezzo-soprano un peu faiblard...

La notion même de concert sous hypnose tient du pléonasme. Est-ce que tout concert n'est pas une forme d'hypnose ? Qu'on soit assis ou debout, qu'on écoute du Beethoven ou du Daft Punk, l'exercice est le même. On oublie nos soucis à l'entrée, on fait taire nos préoccupations mondaines (ce qui se traduit de nos jours par l'extinction du smartphone), on se rend pleinement disponible pour la musique qui va inonder notre esprit et nous faire entrer dans un état de transe légère ou intense, selon le talent, la présence des interprètes, selon nos goûts et notre propre disponibilité aussi. Pour citer un exemple parmi mille autres, le chef d'orchestre Sergiu Celibidache était connu pour sa présence hypnotique qui s'imposait aux musiciens de l'orchestre mais aussi à tous les spectateurs, faisant de chaque concert un moment particulier. C'est sans doute pour cette raison qu'il était réfractaire aux enregistrements réalisés en studio et même en live. C'est aussi pour cela qu'il serait vain de polémiquer sur les tempi assez lents qu'il adoptait dans les symphonies de Bruckner, son répertoire de prédilection. Lorsqu'on entre en transe et qu'on se plonge dans la musique comme dans un océan sans limites, la perception du temps change, il ne saurait être question d'ennui, et l'accélération du tempo n'apporterait rien sinon une forme d'agitation parasite.

Nous avons tous le souvenir de moments où la découverte de telle ou telle musique a été un véritable choc émotionnel et esthétique. La musique possède ce pouvoir étrange et mystérieux de nous connecter à nos émotions au-delà des mots (même lorsque c'est une chanson avec des paroles). Expérience unique, intime, intransmissible, propre à chacun. Est-ce que le concert-coaching de Geoffrey Secco fera cet effet sur vous ? Rien ne le garantit. Vous pourriez simplement écouter un bel album de jazz, aux sonorités exotiques et parfois un peu archaïsantes, ou encore être légèrement agacée par le côte un peu trop appuyé et didactique du parcours proposé. Pour ma part ce fut un moment très intense dont je suis sorti joyeux et soulagé, mais un peu secoué tout de même. Et je suis infiniment reconnaissant à Geoffrey Secco d'avoir ouvert la porte de ce voyage intérieur, et de m'y avoir accompagné avec douceur et bienveillance. Pour celles qui douteraient des vertus thérapeutiques de la musique, en voici une nouvelle preuve.

Commentaires

1. Le samedi 12 janvier 2019, 01:56 par Emy

Juste énorme !