Paye ta note !

Créée récemment sur le modèle de "Paye ta shnek !", la page facebook Paye ta note ! recense les petites phrases, les remarques ou les gestes qui contribuent à pourrir la vie des musiciennes.

J'aurais bien aimé sélectionner quelques perles parmi les remarques publiées (anonymement) par des centaines de musiciennes, mais j'en ai été découragé par la nullité, la triste banalité, la médiocrité qui s'en dégage. Ce n'est pas drôle en fait le sexisme, c'est juste relou dans le meilleur des cas et agressif ou humiliant dans le pire des cas. On y retrouve les mêmes schémas que dans d'autres professions: la compétence des femmes y est remise en cause, leur physique et leur habillement sont évalués sans bienveillance pour les classer dans en deux catégories ("bonasses" ou "boudin"), avec dans les deux cas des remarques désagréables, voire bien pire.

Moi qui suis un homme, j'ai bien sûr les réflexes biologiquement programmés comme tout le monde. Un beau visage, un décolleté généreux ou une paire de jambes élégamment habillées vont attirer instinctivement mon regard. Lorsqu'on travaille avec des collègues féminines, il y a parfois un petit quelque chose de l'ordre du désir, de l'érotique, de la séduction.

Mais il y a aussi le respect de la personne qu'on a en face de nous, et avec qui on travaille. Les musiciennes sont des musiciens comme les autres, elles ont tout simplement envie de travailler sans qu'on les embête. Et qu'elles soit habillées en mini-jupe ou en jogging informe, elles ne veulent pas être réduites à un objet de désir sexuel, ou de répulsion. Elles veulent encore moins subir les assauts d'un mâle dominant qui abuserait du pouvoir dont il dispose (celui d'embaucher par exemple). Qui serait à l'aise pour travailler dans de telles conditions ?

Notons qu'il peut arriver que des hommes aussi soient victimes de harcèlement voire d'agression sexuelle. Même dans ce cas ce sont très majoritairement d'autres hommes qui sont les harceleurs ou les agresseurs.

L'univers poli et policé de la musique classique cultive un certain vernis de civilité et de courtoisie. Mais il est aussi très conservateur et pas exempt de sexisme, tant s'en faut. Il a fallu pas moins de 150 ans pour que le Philharmonique de Vienne se dise qu'une musicienne d'orchestre pouvait faire le job aussi bien qu'un musicien. Les critiques musicaux continuent à commenter le physique ou la tenue vestimentaire des solistes féminines, ce qui ne leur viendrait même pas à l'idée concernant les solistes masculins. Parfois cela peut prendre des formes plus subtiles, comme la mise en scène du violoniste André Rieu. Entouré de jeunes femmes habillées de longues robes de couleur qui jouent assises et lui debout. Tout cela est souriant, festif et bon enfant (et quelques hommes en smoking sont visibles au deuxième rang de l'orchestre), mais tout de même: on ne saurait mettre en scène le mâle dominant de manière plus explicite.

On pourrait encore citer le plafond de verre qui limite l'accès des femmes aux fonctions les plus prestigieuses et rémunérées, comme chef d'orchestre. Le cas des compositrices est un peu à part car ce métier n'est plus guère respecté ni prestigieux de nos jours, qu'on soit homme ou femme. Je ne connais aucune compositrice contemporaine pour qui le fait d'être une femme ait constitué ni un avantage ni un obstacle. Bien sûr ce n'était absolument pas le cas à l'époque de Clara Schumann ou de Fanny Mendelssohn !

Bref il est grand temps, Messieurs (et je m'inclus dans le lot), de faire amende honorable et de réfléchir sérieusement à la façon dont on se comporte avec nos collègues féminines. L'idéal étant qu'elles se sentent respectées et à l'aise, et que leur physique ne soit ni une condition pour décrocher le job ni une source d'insécurité une fois qu'elles sont au travail. En trois mots comme en cent: respectons les musiciennes !