Notre Flamme de Paris

Beaucoup a déjà été dit sur l'incendie de Notre-Dame de Paris, mais vous me permettrez, chères lectrices, d'y ajouter quelques réflexions.

Notre_Dame_The_Fallen_Angel_Eugeniu_Gorean.jpg

The Fallen Angel, par Eugeniu Gorean

Il a fallu que ça arrive en plein milieu de la Semaine Sainte, entre le Dimanche des Rameaux où les chrétiens célèbrent l'arrivée triomphale de Jésus dans Jérusalem, et le Vendredi Saint où ils commémorent sa mort sur la croix. Pendant les quarante jours du Carême où les croyants sont invités à jeûner et plus généralement à renoncer à la vanité des biens matériels, au profit des biens spirituels.

Les croyants, ceux du moins pour qui la spiritualité est plus importante que la religion, se souviendront certainement que leur religion a commencé en cachette, dans les catacombes de Rome et d'autres cités. Que le premier pasteur de cette communauté de croyants est mort en martyr, et des milliers d'autres avec lui. Les cruels attentats du Sri Lanka viennent de nous rappeler également qu'aujourd'hui encore on continue à tuer des gens parce qu'ils sont chrétiens. On en tue aussi parce qu'ils sont musulmans, bouddhistes, hindous, juifs, etc: c'est la violence religieuse qui existe encore aujourd'hui bien que Stephen Pinker ne manquerait pas de nous rappeler qu'elle a fortement diminué depuis l'époque des croisades ou de la révocation de l'Édit de Nantes par Louis XIV. Face à ces violences contre les personnes, les dégâts purement matériels subis par un bâtiment, même si c'est un des joyaux de notre patrimoine et de notre histoire, peuvent paraître secondaires. Et ils le sont.

Les croyants savent que Dieu ne réside pas dans ces lieux de pouvoir et d'orgueil mais dans le coeur des pauvres et des petits. Ils accueillent cette destruction (dont on ignore encore les causes, même si les complotistes se sont mis en action avant même que les flammes soient éteintes) comme une invitation supplémentaire à l'humilité, à l'espérance et à la charité. Ils ne font pas de la religion un marqueur identitaire destiné à tracer une frontière entre "nous" et "les autres", frontière d'autant plus absurde qu'elle est tracée au nom de Celui qui nous a légué la prière Notre Père et cet unique commandement, adressé à tous les êtres humains: aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés. Celui dont la naissance dans une étable à Bethléem le rapproche bien plus des réfugiés syriens que des bourgeois du XVe arrondissement et des Français qui revendiquent agressivement leurs "racines chrétiennes".

Les mélomanes sont soulagés d'apprendre que le grand orgue n'a pas subi de dégâts importants et pourra probablement être nettoyé et remis en état. Ainsi que les vitraux des magnifiques rosaces Nord et Sud, de nombreuses statues, tableaux et oeuvres d'art irremplaçables. En revanche la belle Maîtrise de Notre Dame se retrouve sans domicile fixe (mais pas complètement au désespoir car Paris compte d'autres Églises dont certaines sont aussi grandes que la cathédrale).

Beaucoup ont critiqué la générosité des donateurs (surtout les milliardaires) qui se cotisent pour la reconstruction. Une polémique sans réel fondement: si l'on regarde les chiffres, nous dépenserons infiniment plus collectivement pour la solidarité (maladie, chômage, retraite) que pour tout l'entretien du patrimoine, reconstruction de Notre Dame incluse. Avec ce type d'arguments, la cathédrale n'aurait sans doute jamais été construite à une époque où l'on mourrait de la faim et de la peste plus encore que des guerres incessantes. J'ai surtout été ému pour ma part par les dons et messages de solidarité venant de personnes de confession juive ou musulmane, ou encore sans religion. Notre Dame est notre trésor commun, un lieu destiné à nous rassembler et non à nous diviser. Quel beau message que cette unité nationale autour de la reconstruction de notre cathédrale !

À propos d'unité, les débats font rage (nous connaissons la passion des Français pour la polémique) au sujet du projet de reconstruction. Faut-il reconstruire à l'identique la Flèche créée par Viollet-Le-Duc au XIXe siècle, en remplacement de l'ancienne flèche démontée à la fin du XVIIIe car elle tombait en ruine ? Cela reviendrait à nier l'incendie de 2019 qui appartient d'ores et déjà à l'histoire. Tout en respectant l'histoire et la nature de ce bâtiment, je crois qu'on pourrait en concevoir une autre. En effet les cathédrales sont des bâtiments vivants, pas des fossiles. Ce sont de fabuleux vaisseaux à voyager dans le temps, qui nous relient à nos ancêtres aussi bien qu'à celles et ceux qui viendront après nous. Alors, pourquoi pas une belle flèche en acier qui tournerait sur elle-même comme une flamme gigantesque, montrant que notre foi est un buisson ardent et non un fétichisme de l'histoire, que c'est une foi conquérante qui regarde vers l'espérance et non vers le passé. On l'appellerait: Notre Flamme de Paris !

J'entends d'ici la voix des conservateurs qui vont hurler comme si on cherchait à violer leur grand-mère. Ils l'ont fait également quand on a construit la Tour Eiffel ou la pyramide du Louvre. Dans beaucoup de grandes villes, les bâtiments les plus célèbres et les plus visités sont aussi ceux qui ont été le plus durement critiqués lorsqu'on les a mis en chantier. En architecture comme en musique, l'audace déplaît toujours, elle suscite de fortes résistances et de rudes combat; mais si elle est alliée avec le génie, avec le temps elle s'impose et triomphe comme une évidence.