Hahn, Dessy, Debussy par le Quatuor Tana

Ouï samedi dernier à Bourron-Marlotte dans le cadre des Rencontres musicales de Seine et Marne organisées par ProQuartet, un concert du Quatuor Tana avec trois oeuvres de Reynaldo Hahn, Jean-Paul Dessy et Claude Debussy au programme.

On commence par le 1er quatuor à cordes de Reynaldo Hahn, que je ne connaissais pas et qui est magnifique. Le début évoque un peu Ravel, mais le classicisme épuré de cette oeuvre de 1939 la rapproche davantage de l'unique quatuor de Gabriel Fauré. Sans emphase, l'écriture fait appel aux plus nobles ressources mélodiques et polyphoniques du quatuor. Il existe peu d'enregistrements de cette belle oeuvre méconnue, mais nous pouvons recommander à nos lectrices celui du Quatuor Parisii pour Naïve.

Vient ensuite une oeuvre du compositeur et violoncelliste belge Jean-Paul Dessy, commandée par ProQuartett et créée par le Quatuor Tana en 2009. Le violoncelle tient une place prépondérante dans ces sept miniatures pour quatuor intitulées Tuor, Qua Tuor, ce qui signifie en latin "le regard par où j'observe". Le compositeur précise:

 "Je compose en observant le silence, en contemplant l'espace intérieur. Regarder notre regard, écouter notre écoute ne sont pas de vaines redondances. C'est dans cette vigiliance des sens, dans l'attention portée vers l'Être que la musique me sollicite"

Vous l'aurez compris, ce musicien est porté vers la méditation, proche de la nature, et cela s'entend dans sa musique, qui pourrait évoquer le râga indien. Non pas dans les sonorités ni dans les instruments ou les modes harmoniques, mais plutôt par une écriture qui évoque l'improvisation: partant d'un motif initial au violoncelle qui est répété, varié, développé et porté à incandescence par les 4 instruments avant de redescendre par paliers. Jean-Paul Dessy maîtrise très bien l'écriture pour instruments à cordes: les harmoniques, glissandos, sul ponticello et autres modes de jeu n'ont aucun secret pour lui. L'oeuvre se prête pourtant à une écoute tonale (ou du moins modale, avec un centre tonal bien identifié). Le tout donne une oeuvre très accessible et très actuelle en même temps, et surtout quand elle est jouée avec l'énergie, l'enthousiasme et l'engagement qui sont la marque de fabrique du Quatuor Tana depuis le tout début.

Je m'attriste du départ de l'altiste Maxime Désert. Sa remplaçante temporaire, Élodie Gaudet, est de toute évidence une excellente chambriste, qui s'intègre très bien dans le groupe. Mais elle ne possède pas un caractère aussi extraverti ni une énergie aussi explosive. Le quatuor à cordes est une alchimie à quatre, un très délicat et subtil mariage des sensibilités: espérons que les Tana sauront trouver un nouvel élan et un nouveau souffle avec le ou la nouvelle altiste qu'ils recruteront.

Il n'y a qu'un "bu" entre Dessy et Debussy, comme le fait remarquer Antoine Maisonhaute, premier violon du quatuor Tana. Il nous apprend que Claude Debussy, lors des répétitions avec le quatuor Ysaye, avait annoté et corrigé la partition de son Quatuor, mais que l'éditeur a eu la flemme d'intégrer ces corrections. Même si à l'époque les techniques de typographie musicale rendait ce travail plus fastidieux, ce n'est tout de même pas à son honneur. Comme beaucoup de textes musicaux, celui-ci fut édité dans une version obsolète et non corrigée pendant des décennies...

Laissons là ces anecdotes et plongeons-nous tout entiers dans cet unique Quatuor de Debussy, un vrai miracle, inspiré de bout en bout, qui transcende le jeu des quatre archettistes et nous emmène au Paradis des impressionnistes, si riche en images contrastées qui nous font emportent et nous font rêver...  Que dire après un tel moment de bonheur partagé, sinon bravo et merci !