La quatrième symphonie de Jean Sibelius (première partie)

Si l'on n'est pas familier avec l'univers de Sibelius, il vaut mieux commencer avec la 2è ou la 5è symphonie, ou encore les poèmes symphoniques, plutôt qu'avec la 4è symphonie. C'est pourtant l'une des plus énigmatiques et aussi des plus attachantes oeuvres du compositeur Finlandais. Traversant une période d'épreuves et de doutes sur sa propre capacité à écrire de la musique, il semblerait que Jean Sibelius ait choisi de partager avec l'auditeur ses doutes et ses angoisses plutôt que de chercher à les dissimuler dans une oeuvre trop lisse.

Techniquement, c'est l'intervalle de triton (do – fa#) qui domine l'oeuvre. Cet intervalle, le fameux diabolicus in musica, est la négation même de la consonance, puisqu'il est basé sur un rapport de fréquences égal à la racine de 2, nombre irrationnel qu'on ne peut pas écrire sous forme de fraction. Dès la première mesure, les contrebasses, violoncelles et bassons, dans l'extrême grave, font entendre le triton do - fa#:

exemple 1

La contradiction entre les indications ff (fortissimo) et con sord. (avec les sourdines) indique bien l'état d'esprit tourmenté du compositeur. Alors que les deux notes mi et fa# sont répétées en boucle par des contrebasses qui semblent ne pas pouvoir trouver le repos, un violoncelle solo, dans le grave du registre, énonce une plainte en la mineur:

exemple 2

Les altos puis les violons rentrent, sur des harmonies qui oscillent entre sol bémol (fa#) majeur et ut majeur (à nouveau un rapport de triton). Alors que l'ut majeur semble s'imposer (trémolos ff des violons), un do# (bassons, altos, clarinettes) vient en dissonance et ramène l'harmonie sur fa#. C'est alors l'entrée des cuivres, sur des accords en dissonance par rapport au fa# des contrebasses. Le troisième accord se résout finalement en fa# majeur, mais les retards harmoniques (ré# des violons, mi # et sol ## des cuivres) comme dans le Tristan de Wagner, sont prolongés à leurs extrêmes limites.

exemple 3

En 1911, l'année où Schönberg publia son Pierrot Lunaire, où toutes les relations tonales sont abolies, et le douze demi-tons de la gamme sont considérés comme égaux, Sibelius semble douter: peut-on encore écrire de la musique tonale ? Doit-on résoudre ces dissonances vers un accord de fa# majeur comme la science harmonique l'enseigne ou bien les laisser en suspens ?

Il y aurait encore bien des choses passionnantes à dire sur ce premier mouvement, mais je vais passer directement à la fin. Alors que les derniers développements semblent conduire vers une conclusion tranquille en la majeur, une phrase de clarinette puis un surprenant do bécarre des contrebasses amènent cette conclusion des plus surprenantes:

exemple 4

Un motif de 4 notes, transposition de celui du début (on retrouve l'intervalle de triton mi-si bémol), simplement répété 3 fois, et qui s'arrête sur un la suspendu dans le vide. Est-ce la majeur ou la mineur ? Les dissonances introduites par le fa# et le si bémol autorisent ou interdisent les deux. Sur cette conclusion énigmatique, Jean Sibelius referme la page et invite l'auditeur à se plonger dans son propre silence pour trouver la solution. Il est temps pour moi d'aller dormir, je parlerai des autres mouvements de cette 4è symphonie un autre jour. Un mot sur la discographie: des chefs et des orchestres parmi les plus réputés se sont cassés les dents sur cette partition difficile d'interprétation. J'aime bien la version Leonard Bernstein avec le New York Philharmonic ainsi que celle de Kurt Sanderling avec le philarmonique de Berlin.

Commentaires

1. Le jeudi 5 juin 2008, 16:36 par klari

C'est bien du Sibelius de nous faire jouer fff avec sourdine...

Bon, c'est après-demain, la 5è par le RSO. Plus que deux jours pour maîtriser tous les (nombreux) traits qui m'échappent encore !

2. Le jeudi 5 juin 2008, 21:57 par Papageno

Bon courage ! Je ne pourrais venir vous écouter ni le 7 ni le 8 malheureusement.